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- Portrait
Julius Hirsch, le foot, la guerre, la mort
Talentueux joueur du début du XXe siècle, Julius Hirsch aurait pu devenir une figure forte du football allemand. Mais les deux conflits mondiaux successifs l'en ont empêché, d'abord, avant de le tuer. Il était le premier international allemand juif et est probablement mort dans le camp d'Auschwitz.
Il y a des devoirs de mémoire qui transcendent les disciplines pour s’imposer à tous. Le football n’est évidemment pas exempt et doit lui aussi se souvenir. D’autant qu’il a été touché, lui aussi, par la barbarie et l’extermination. La Seconde Guerre mondiale et le régime nazi ne se sont pas privés pour lui prélever un tribu de force. Ce tribu, Julius Hirsch le représente parfaitement. Petit wunderkind du football germanique du début du siècle dernier, cet attaquant a par deux fois vu sa carrière être stoppée nette par les absurdités de la guerre. La première, c’était entre 1914 et 1918, lorsqu’il est parti sur le front pendant quatre ans. La deuxième, c’était le 8 mai 1945, date à laquelle on pense qu’il est mort. « Pense » parce que Julius Hirsch, malgré sa carrière réussie et son patriotisme, avait un grand défaut aux yeux du régime allemand : il était juif. Une tare si grande partagée par tant de personnes. Une appartenance religieuse qui ne lui a même pas valu de figurer dans les registres du camp d’extermination d’Auschwitz.
Famille nombreuse et petit commerce
Le 7 avril 1892 à Karlsruhe, petite ville du Sud-Ouest allemand dans le land de Bade-Wurtemberg, la famille Hirsch s’apprête à accueillir un nouveau membre. Un septième enfant (pour le double de grossesses) : Julius. Comme l’explique l’écrivain Werner Skrentny dans un livre qu’il a consacré au footballeur, les parents de Julius sont marchands. Très vite, le jeune Julius démontre des aptitudes hors norme balle au pied. Il rejoint le club de la ville, le Karlsruher FV – liquidé en 2004 pour raisons financières, mais de nouveau actif depuis 2007 – dès l’âge de dix ans. Sa vision du jeu et sa technique incomparables lui permettent de grimper les échelons rapidement, et il n’est même pas encore majeur quand l’entraîneur de l’équipe première, William Townley – l’un des pères fondateurs du football en Allemagne – lui donne sa chance. Et c’est peu dire que l’Anglais a eu du flair sur ce coup. Pour sa première saison, Julius Hirsch rayonne sur son côté gauche. Quelques mois plus tard, à 18 ans seulement, il remporte son premier titre de champion d’Allemagne avec le KFV. Dans cette toute petite ville qui, paradoxalement, réunit un des plus grands publics d’Allemagne, Julius Hirsch devient une légende, au même titre que ses partenaires en attaque, Gottfried Fuchs et Fritz Förderer.
Autres temps, autres mœurs. À cette époque-là, les footballeurs ne vivaient bien évidemment pas de leur activité sportive. C’est donc tout naturellement que Julius Hirsch suit les traces de son père en devenant lui aussi marchand. Une activité professionnelle qui ne l’empêche pas de continuer à surprendre l’Allemagne du football. La saison suivant son premier titre, il est sélectionné pour la première fois en équipe nationale, devenant ainsi le premier juif à évoluer sous le maillot allemand. Après plusieurs sélections convaincantes – dont un match d’anthologie le 24 mars 1912 face aux Pays-Bas – le natif de Karlsruhe est convié à participer aux Jeux olympiques de 1912, à Stockholm. Si l’Allemagne a été éliminée dès le premier tour, Hirsch et ses copains en ont profité pour corriger la Russie seize buts à zéro lors du premier match du tournoi de consolation. En 1914, Julius remporte un deuxième titre de champion d’Allemagne avec un autre club, celui de la ville de Fürth, en Bavière. Juste avant que le devoir ne l’appelle.
Patriote mais juif
Alors que le jeu des engrenages entraîne l’Europe dans un conflit interminable et plus meurtrier que jamais, Julius Hirsch s’engage dans l’armée allemande avec ses frères. Patriote et dévoué à la cause pour laquelle se battait son pays, Julius part combattre sur le front avec Max, Rudolf et Leopold. Ce dernier tombera au combat au printemps 1918. La fratrie Hirsch fut décorée et tout redevint « normal » pour le petit prodige de Karlsruhe qui retrouva les terrains de football. Avant de vouloir passer de l’autre côté de la ligne de touche pour devenir entraîneur. Les années passent et les soucis financiers de Julius Hirsch s’accumulent. La difficile conjoncture économique à laquelle doit faire face le marchand se double d’un contexte pesant de remise en question de l’identité allemande. Après l’arrivée d’Hitler au poste de chancelier, tout bascule pour Julius Hirsch. C’est donc en 1933 qu’il apprend que les clubs allemands, dont ses anciennes équipes, ne peuvent plus accueillir de juifs en leur sein. Hirsch le patriote est alors traqué par la nation pour laquelle il avait joué et combattu.
Les années 1930 sont déjà des années de cavales pour Julius Hirsch, qui fuit à la fois un contexte économique défavorable et un pays qui veut sa peau. En 1939, après un voyage à Paris et une lourde dépression nerveuse, Hirsch revient en Allemagne. S’il n’est pas déporté au début du conflit, c’est parce que Julius est marié avec une chrétienne aryenne, Ellen Hauser. Avec son statut de Mischling, Julius évite un temps la déportation. Mais sait qu’il ne pourra se cacher longtemps. Pour protéger leur famille, les Hirsch décident de divorcer et de faire baptiser leurs enfants. Au printemps 1943, Julius Hirsch monte dans un train duquel il ne descendra qu’une fois arrivé au camp d’extermination d’Auschwitz. Il a alors 51 ans. Personne ne connaît la date exacte de son décès. Ses enfants ont eux aussi été déportés, mais ont survécu. Tout comme sa femme. Parmi ses anciens coéquipiers juifs, Gottfried Fuchs a échappé à la folie en fuyant vers le Canada. Depuis, pour honorer la mémoire de Julius Hirsch, la Fédération allemande de football décerne chaque année le prix Julius Hirsch à toute personne ou organisation luttant contre la discrimination, l’exclusion, la xénophobie et le racisme.
Par Gabriel Cnudde
Pour aller plus loin : Julius Hirsch. Nationalspieler. Ermordet de Werner Skrentny