- Un jour, un transfert
- Épisode 9
Júlio Baptista au CFR Cluj : la bête de foire
Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Le neuvième épisode de notre saga nous emmène en Roumanie. À l’été 2018, les dirigeants du CFR Cluj se ruinent en offrant une dernière danse de 43 minutes chrono à Júlio Baptista, l’ancien Merengue aux 47 sélections avec la Seleção. Entre gouffre financier, escapade à Londres, genoux en charpie et sourires Colgate devant l’armoire à trophées, le passage de La Bestia en Transylvanie, à 36 ans, aura beaucoup fait tousser.
« Ce que je veux faire à Cluj ? Je veux jouer au football par plaisir. Au Real, à Arsenal, à la Roma, la pression a toujours été immense. Je veux vivre à fond chaque instant, comme si je retournais en enfance. J’ai sans doute encore un an et demi à tirer avant de définitivement raccrocher les crampons, alors je veux profiter de chaque jour qu’il me reste en tant que footballeur. » Le vœu de Júlio Baptista semble pieux, mais sa fugace histoire avec la Roumanie et le CFR Cluj résume – quasiment à elle seule – les folies financières des magnats du football roumain, pour beaucoup fossoyeurs professionnels et piteux gestionnaires de patrimoine. Une interrogation majeure titille les observateurs extérieurs : qu’importe son CV inspirant, comment un seul responsable du recrutement a pu croire en la réussite sportive d’un joueur au physique d’haltérophile, proche de la quarantaine, et sans match officiel dans les jambes depuis deux ans ?
Ceinture, clubs de golf et poker menteur
« La Bestia ». Le surnom menaçant dont son président à Séville, José María del Nido, l’a affublé n’a pas effrayé Nelu Varga, le patron du CFR, un ancien proprio de boîte de nuit au caractère rude, depuis reconverti dans la pierre. Il aurait quand même dû lui donner un indice sur son appartenance à un lointain passé. En réalité, Varga voulait frapper fort, ramener un nom sans s’embarrasser avec son coût. Et si en plus cela permet de faire un peu d’ombre à Gigi Becali dans l’espace médiatique, bingo. Les Grenats de l’Ardeal, pas peu fiers d’avoir glané leur quatrième titre de champion après une pause de six ans, ont un objectif déclaré : la Ligue Europa, après l’élimination prématurée en C1, contre Malmö. Ils ont aussi les yeux plus gros que le ventre, plus de 400 jours après être sortis de la redoutable période d’insolvabilité, synonyme de premier déclin.
De son côté, Júlio Baptista parle spontanément d’« une opportunité offerte par son bon ami, Toni Curea » et du « plus petit salaire qu’il ait jamais eu ». Curea, agent de joueurs et médiateur de transferts en tout genre, se veut discret. Seulement voilà, sa mauvaise réputation et sa filière espagnole le précèdent. Samuel Okunowo (14 matchs au Barça), Júlio César Santos Correa et Francisco Molinero au Dinamo Bucarest entre 2003 et 2009, Juan Ramón López Caro sur le banc de Vaslui en 2010 : autant d’anonymes et de flops coûteux faisant de « Ceinture » – la traduction littérale de son nom de famille – un vrai rapace à cheval sur les commissions. De quoi laisser songeur.
Après une pige de dix mois en MLS, sous le soleil floridien d’Orlando et en compagnie de son meilleur ami Kaká, la terreur Baptista s’était pourtant éloignée du rectangle vert durant une bonne année et demie. Aperçu sur les terrains de golf à travailler son swing, habitué des World Series of Poker de Las Vegas où il teste ses qualités de bluffeur, l’ancien milieu offensif giallorosso n’a plus grand-chose à voir avec un joueur professionnel lorsqu’il sort de sa préretraite, en août 2018.
Rockstar désaccordée
Présenté de manière pompeuse comme « le joueur le plus titré de l’histoire de la Liga 1 » par la presse, le Paulista de naissance déborde de charisme et enflamme les talk shows avec son sourire ravageur. Marca, L’Équipe et ESPN reprennent l’information, la machine médiatique est en marche. Alors, le football roumain serait-il subitement redevenu attrayant ? Il continue de dilapider ses modestes revenus issus des droits TV, à creuser son déficit, et à plonger au classement des coefficients UEFA, surtout.
Huit jours après son arrivée à Cluj, Júlio Baptista entre en jeu face au Gaz Metan Mediaș à la place d’Alexandru Ioniță. Le temps s’arrête pour vingt minutes… qui représenteront, au bout du compte, près de la moitié de son total famélique en sept mois (43 !). Le verdict est sans appel : jusqu’à son départ acté en mars 2019, le Brésilien aura touché 4186 euros pour chaque minute disputée. Ce qui le place – dans cette catégorie précise – juste derrière Cristiano Ronaldo dans la hiérarchie mondiale, et devant le futur Ballon d’or Luka Modrić. Avec ses 52 000 euros net par mois, le coup marketing s’avère être un poids mort.
C’est limpide : l’homme qui valait 25 millions en 2005 a beau « faire attention à sa ligne, impressionner ses coéquipiers avec un simple regard », dixit son président Iuliu Mureșan, il crache ses poumons sur un terrain, et cartonne surtout à la salle, en exhibant sa carrure apollinienne devant l’objectif. Son âge ? Un détail, puisqu’il ressemble à CR7. Les traits du flop se dessinent tôt, après l’élimination en barrage de la Ligue Europa contre le F91 Dudelange (0-2, 2-3), formation luxembourgeoise qui accède à la première phase de groupes de l’histoire du Grand-Duché. Entré à la place de George Țucudean à la 68e minute d’un match retour disputé en Roumanie alors que son équipe est menée 0-2, Baptista ne le sait pas encore, mais c’est la dernière fois qu’il évoluera plus de 45 secondes dans une même rencontre.
Le saut de Dudelange
Des sources internes affirment encore aujourd’hui que le transfert du Brésilien, en plus de faire un trou béant dans le budget, n’était même pas réglementaire. « Júlio Baptista devait à tout prix être présent sur la liste UEFA pour la double manche contre Dudelange. Son arrivée en urgence est un caprice qui venait d’en haut, aucun contrôle médical n’a été fait en amont, livre en détails un membre du staff de l’époque, autour du coach Toni Conceição. Contre Sepsi, en septembre, il lui a fallu seulement deux foulées pour tirer une tête d’enterrement. Son corps ne supportait plus la moindre secousse. Juste après, on l’oblige à faire une IRM. Là, on découvre que le cartilage de son genou gauche est déchiqueté, et que celui du genou droit a subi une lésion. En plus, c’était quelqu’un qui voyageait beaucoup, quitte à passer des jours entiers dans un avion. Son immunité était réduite, et il était sujet aux allergies. »
La cerise sur le gâteau arrive sur commande, un mois après « le transfert du siècle » , lorsque le CM de la page Facebook du CFR Cluj enfonce le couteau dans la plaie. Un post aux allures de troll, félicitant l’ancien attaquant du Real Madrid pour sa présence au gala The Best, organisé à Londres par la FIFA et récompensant le meilleur joueur de l’année civile. Une belle balade aux frais du contribuable. « Nous sommes fiers qu’un de nos joueurs ait participé à un tel événement mondial ! » Méritait-il seulement ce qualificatif ? Jusqu’en mars, avant de rompre son contrat et de prendre sa retraite, Júlio Baptista continue de vivre d’haltères, de développés couchés et d’abdos en étant payé à ne rien faire, tout en servant d’ambassadeur dans les milieux mondains. Cela n’empêchera pas le CFR d’enfiler les titres comme des perles, et encore moins de rêver de Mario Balotelli deux ans plus tard. Mais en coulisses, le phare transylvain vit toujours au-dessus de ses moyens, dans une bulle, et peine à camoufler ses dettes de 26,3 millions d’euros. Plus que le Dinamo Bucarest et l’Astra Giurgiu réunis, deux entités dont le monitoring affiche la mort cérébrale.
Et si le transfert de Júlio Baptista au CFR Cluj était en fait essentiellement un grand moment de l’histoire du football luxembourgeois ?
Par Alexandre Lazar
Tous propos recueillis par AL, sauf ceux de Júlio Baptista, tirés de Gazeta Sporturilor.