Bonjour Julien. Le Paris Foot Gay a annoncé sa disparition le 29 septembre dernier. J’imagine que vous traversez une passe difficile.
C’est très difficile. Pour tout vous dire, je suis en arrêt de travail depuis une semaine. Arrêter ce combat, qui me tenait à cœur, a été une décision terrible à prendre. Depuis, j’ai aussi eu plein de sollicitations médiatiques, qui sont très fatigantes. Mais c’est seulement un gros coup de fatigue, rien de plus.
Pourquoi le Paris Foot Gay tire-t-il sa révérence ?
Tout simplement par lassitude. Je dirais même par épuisement de nos forces. Depuis plusieurs mois, nous constatons un recul de nos partenaires historiques, ceux qui nous accompagnent depuis douze ans, dans leur volonté de lutter contre l’homophobie.
Vous pouvez nous donner quelques exemples concrets ?
Oui, c’est le cas de la mairie de Paris, qui a signé notre charte en 2011. Avec eux, on a monté des actions formidables au Parc des Princes, les journées B.Yourself, qui permettaient à des dizaines de jeunes de la région de venir au Parc, de rencontrer Vikash Dhorasoo, d’être sensibilisés aux questions d’homophobie. Mais depuis que M. Jean-François Martin est devenu adjoint aux sports, on n’a plus eu aucun retour. On l’a sollicité des dizaines de fois par mail, mais il n’a jamais daigné nous répondre… Sauf le 2 octobre, quand on avait déjà annoncé la fin de nos activités. À ce moment, le cabinet nous a proposé plusieurs dates. En gros, on a attendu que nous soyons morts et enterrés pour nous proposer le rendez-vous qu’on attendait depuis des mois.
Ce n’était pas non plus un investissement léger. Les subventions de la mairie représentaient la moitié de votre budget…
Oui, mais on lui a bien précisé que s’il fallait réduire la voilure en matière de financement, cela ne posait pas de problèmes. Au-delà du soutien financier, ce qu’on demandait avant tout, c’est la mise en œuvre d’actions. On a besoin de soutien moral et public, on est des militants. C’est ce qui nous fait tenir. On attendait un signe fort, que la ville nous dise : « On est là, avec vous, on va continuer ensemble… » Ce silence de plusieurs mois nous a mis à genoux. Attendre que l’association soit morte pour nous proposer un rendez-vous, c’est indécent. C’est se moquer de nous, alors que l’on parle de choses sérieuses. Ils ont réussi à nous faire crever.
Avez-vous vu une grande différence en matière de soutien depuis le départ de Bertrand Delanöé ?
(Il réfléchit) Non, je pense plutôt qu’on a été victimes du choix de la mairie de Paris de privilégier une autre approche que la nôtre. En 2013, quand la mairie nous a demandé de soutenir la candidature des Gay Games de 2018, nos rapports ont commencé à se tendre. C’est une approche communautaire, ce qu’on a toujours repoussé. Le Paris Foot Gay, c’était une équipe composée majoritairement d’hétéros. On a toujours refusé d’être étiquetés comme un club de l’entre-soi. Les démarches communautaires renforcent la vision ségrégative. On leur a répondu poliment que cela nous gênait de les soutenir, et les relations se sont tendues. Par la suite, on a perdu notre terrain d’entraînement à la place d’une association LGBT, qui venait à peine d’être créée… Cela a été le début d’une série d’incompréhensions.
Avec le recul, comment expliquer ce manque de soutien politique ?
C’est une question difficile. Les manifs pour tous ont réussi leur travail d’intimidation, alors qu’il n’y avait déjà pas de volonté forte. Je prends l’exemple de Hollande qui déclenche le processus du mariage pour tous en précisant tout de suite que les maires qui ne souhaitent pas marier les homosexuels auront une totale liberté de conscience. On comprend déjà qu’à la base, tout ça est mal emmanché.
Déjà l’association s’était affaiblie en août 2013 avec la partition des Panam Boyz, qui avait fait polémique. Plusieurs de vos anciens joueurs ont claqué la porte après vous avoir critiqué en interne. Avec le recul, est-ce que cela a été un gros coup dur ?
Oui, car on a fait courir des rumeurs sur le fait que nous n’avions plus d’équipe, ce qui était totalement faux. Les faits sont indéniables : on a eu un tournoi à l’INSEP en septembre 2013, avec nos nouveaux joueurs, puis en octobre 2013 on a participé au tournoi avec le variété club de France… Il y avait beaucoup d’avantages à jouer pour le PFG, les candidats ne manquaient pas. Reconstituer l’équipe après la partition a été assez facile. De toute façon, la vocation de notre équipe de football n’a toujours été que d’être la vitrine de notre association. Malheureusement, la lassitude l’a emporté. Humainement, c’est compréhensible.
Sur un plan humain, justement, vous avez été victime d’une agression homophobe en juillet 2015, alors que vous regagniez votre domicile. Est-ce que cette mésaventure a joué un rôle dans votre décision d’arrêter ?
C’est une question importante. Je ne peux pas nier que cela ait pesé dans ma décision personnelle. J’ai 41 ans, j’avais déjà eu des problèmes par le passé, mais là, c’était la première fois que j’ai dû faire face à une agression aussi violente. Cela n’avait rien à voir avec mes activités militantes, mais dans ma tête, je me suis dit qu’on s’épuisait et que finalement le phénomène ne fait que progresser. À quoi ça sert de se battre ? Quand on se pose cette question, c’est le début de la fin.
Paru en décembre 2013, le rapport Karam (inspecteur de la jeunesse et des sports, ndlr) indique que la lutte contre l’homophobie dans le foot présente un état alarmant et stationnaire. Pourquoi les mentalités ont-elles tant de mal à évoluer ?
Personne ne condamne, personne ne fait rien. Nos préconisations, les mêmes que celles du rapport, sont rangées au placard. À savoir : renforcement des sanctions contre les clubs, formation des éducateurs sportifs et généralisation des commissions de surveillance dans les stades. À ma connaissance, il n’y a que le PSG qui montre l’exemple. Nous, on met des chiffres sur la table : 41% des joueurs professionnels et 50% des joueurs en centre de formation ont des opinions hostiles aux homos. Ces chiffres alarmants sont repris et connus par le ministère des Sports. Pourtant, rien ne se passe.
Vous pensez que le monde du football est bien plus homophobe que le reste de la société ?
Dans le foot, l’homophobie est la norme qui fédère collectivement le groupe. L’homosexualité est un tabou, autour duquel règne une véritable omerta. Aucun joueur en activité n’est en mesure de révéler son homosexualité, et ce n’est pas un hasard. Partout, l’homophobie est latente, quand elle n’est pas exacerbée. Jouer contre un club de tapettes, battre une équipe de tarlouzes, c’est banal.
À ce titre, vous avez longtemps tenu le rôle de vigie solitaire…
Nous, on se considère comme des lanceurs d’alerte. Et on sait le sort qu’on leur réserve actuellement.
Vous avez un exemple récent en tête ?
En octobre 2014, on a dénoncé un chant des supporters de l’OM. On s’est pris une volée de menaces et d’injures sur les réseaux sociaux. On a porté plainte, engagé des frais de justice importants, beaucoup d’énergie aussi. En mars 2015, le parquet de Marseille a reconnu les faits d’injures homophobes, mais a décidé comme peine de simples rappels à la loi, pour seulement quatre personnes. Parmi ces quatre, il y a un type qui vient de republier des injures homophobes sur notre mur Facebook en mode : « Bande d’enculés, ça vous apprendra à porter plainte. » Cela entre dans la catégorie du découragement. Il n’y a aucune fermeté. Suite à l’affaire OL-OM, René Malville a publié une vidéo dans laquelle il déclare : « On s’en bat les couilles de dire que Valbuena c’est un pédé, il n’y a jamais eu de sanctions. » Il a raison ce gars ! Il a tout compris !
On mesure votre déception. Pourtant, en douze années de lutte, certaines choses ont changé. Tout n’a pas été inutile non plus !
Bien sûr. Notre plus belle victoire, c’est de voir que neuf clubs professionnels ont signé notre charte contre l’homophobie, même si 31 autres ont refusé. Par ailleurs, on a pu mettre en place plusieurs actions de formation avec le PSG et les Chamois niortais, deux clubs qui montrent l’exemple. Enfin, en 2011, il y a aussi eu notre clip contre l’homophobie. C’est quand même une manière concrète de sensibiliser la population. Beaucoup de footballeurs comme Ludovic Giuly ont participé. Même Loulou Nicollin…
Louis Nicollin, c’est un gars qui a insulté Pedretti de « tarlouze » en direct avant de se ranger à vos côtés…
C’est symptomatique. Loulou, c’est l’exemple même d’une homophobie un peu inconsciente. Il a suffi d’aller le voir et de discuter avec lui pour qu’il comprenne les enjeux. Il suffit d’être un peu ferme, de dire : « Non, ça ne va pas » pour qu’il arrête. On a démontré que c’est possible de combattre le phénomène en allant à la rencontre des acteurs du monde du foot. Par exemple, on organisait à l’INSEP des rencontres avec des clubs de supporters du PSG, de Montpellier ou de Bordeaux… C’étaient des séances très constructives. Les supporters se sentent parfois discriminés, ils peuvent donner leur point de vue. On ne veut pas les empêcher de faire la fête dans les tribunes. On est pour l’ambiance, sans homophobie.
Quels sont les personnalités qui ont compté dans votre aventure ?
Pascal Brèthes, notre ancien président, a mené le combat de front pendant des années et je tiens à lui rendre hommage. Au niveau de nos parrains, Agnès B, Philippe Stark et Vikash Dhorasso ont été des soutiens fidèles… Mais si je devais vraiment féliciter quelqu’un, je choisirais Alain Cayzac. Sous son impulsion, le PSG a été le premier club à prendre pleinement ses responsabilités.
Vous avez eu peur quand les Qataris sont arrivés ?
On s’est posé la question de l’avenir de notre partenariat. Mais nous avons immédiatement été reçus par Jean-Claude Blanc, le directeur, qui nous a rassurés sur la volonté du PSG de continuer cette lutte. Les promesses ont été tenues. Au contraire de Marseille par exemple. L’OM, c’est le cas typique. On se retrouve face à un avocat qui nous explique que les chants homophobes font partie du folklore et de la tradition. Un avocat qui ne connaît pas la loi, donc.
Avec le recul, un des grands moments de votre aventure, c’est votre combat contre le FC Chooz en 2010. Le club avait refusé d’octroyer une nouvelle licence à un joueur homosexuel (Yoann Lemaire, ndlr) avant que vous n’interveniez…
C’est un des marqueurs de l’histoire du PFG, c’est vrai. Cela a vraiment été l’acte de naissance médiatique du PFG, au même titre que l’affaire avec le Créteil Bébel, en 2009, un club communautaire qui avait refusé sans raison valable de jouer contre notre équipe. À l’époque, on était en capacité de soutenir le joueur, victime des préjugés. On a mis tout nos moyens et toutes nos forces dans ce dossier. En revanche, comme d’habitude, on a saisi le conseil national d’éthique qui n’a jamais rien fait…
À ce jour, Yoann Lemaire reste le seul licencié de la FFF à avoir fait son coming out. Il risque de rester seul encore longtemps…
Oui, le rapport Karam indique par exemple noir sur blanc que des sponsors ont récemment demandé à un joueur de foot de s’afficher avec une femme pour faire taire certaines rumeurs. Les sponsors sont fébriles par rapport à un éventuel coming-out, ce qui rend dangereux et incertain le fait de révéler son homosexualité. De plus, une carrière de footballeur pro, c’est court. Les différentes enquêtes montrent que les joueurs de foot subissent déjà des pressions très fortes, avec à la clef très souvent des syndromes dépressifs importants. Faire son coming-out, c’est se tirer une balle dans le pied. Dans les conditions actuelles, je ne vois pas un footballeur prendre ce risque.
À combien estimez-vous le nombre de joueurs homosexuels dans le foot professionnel en France?
Nous n’avons aucune donnée. Certes, il y a des joueurs qui font des déclarations en off, mais il n’y a pas vraiment de statistiques fiables.
Si vous deviez deviner…
Si on considère que 5% de la population est homosexuelle, on peut penser qu’une fois rapportée au nombre de joueurs, ça en fait au moins 10 ou 20 dans le monde professionnel. Quand vous regardez un match avec 22 joueurs, statistiquement, l’un d’entre eux est probablement homosexuel. Mais ils sont obligés de rester cachés. Regardez l’exemple de Ian Thorpe, le nageur australien. C’est un homo qui a quand même réussi à décrocher cinq titres olympiques. On ne peut pas dire que ce soit une chochotte, comme Gareth Thomas, le rugbyman gallois. Or, il a préféré garder le silence plutôt que de faire son coming out, qui aurait été dramatique pour sa carrière… On ne l’imagine pas, mais porter le poids de ce secret, psychologiquement c’est terrible.
À l’étranger, il y a eu des comings-out ces dernières années. Anton Hysen en Suède, Robbie Rodgers aux États-Unis, Thomas Hitzlsperger en Allemagne. Est-ce que cela vous rend optimiste pour la suite ?
On regarde ça avec intérêt et satisfaction. C’est exactement ce que l’on souhaite. Seulement, certains pays sont plus avancés que nous sur ces questions. Aux Pays-Bas, la Fédération a un char à la Gay Pride. Vous imaginez ça en France ? Noël Le Gräet sur un char à la Gay Pride, je peux vous le dire, c’est pas pour demain. Maintenant, on n’en demande pas autant non plus. Si déjà il y avait un discours officiel plus volontaire, cela mettrait davantage en sécurité les joueurs susceptibles de vouloir faire leur coming-out… Cela coûte quoi ? Cela ne coûte rien ! Seulement du courage… Le problème, c’est que la LFP n’en a pas.
Quel est votre programme pour la suite ? Votre combat va-t-il subsister sous une autre forme ?
Je ne sais pas. C’est sûr, nous restons très liés par l’aventure qu’on a vécue tous ensemble, marquée par de belles victoires dont on peut être fiers. Nous avons accumulé une belle expertise sur ce sujet. Évidemment, cela nous attriste de gâcher tout ce travail et de tourner la page. Nous avons besoin de prendre du recul pendant quelques mois, avant de pourquoi pas repartir au combat. Il y a encore tant de choses à faire que ça nous donne l’idée de continuer. Quelque chose va subsister. On reste fondamentalement des militants. Vous savez, on ne peut pas se résigner à quelque chose d’aussi stupide que l’homophobie.
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