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Julian Palmieri : « J’en avais marre du football pro »

Propos recueillis par Thomas Andrei, à Bastia
Julian Palmieri : « J’en avais marre du football pro »

De 2013 à 2016, le SC Bastia a disputé moult rencontres avec un secteur défensif composé de cinq Corses : Cioni, Squillaci, Modesto, Cahuzac et, sur le flan gauche, Julian Palmieri. Si ses quatre coéquipiers ont rangé les crampons, le latéral vient de signer au FC Lupinu, club de Régional 3 fondé en 2020. Pour quoi faire ? Pour participer au développement d’un « grand club populaire », à une époque à laquelle le Sporting n’en serait plus tout à fait un. C’est du moins ce qu’explique l'intéressé dans les gradins du stade d’Erbajolo, au sud de Bastia, accompagné du président Loïc Capretti. Et d’un peu trop de moustiques.

Qu’as-tu ressenti quand Yannick Cahuzac a annoncé la fin de sa carrière en mai dernier ? Ça m’a fait bizarre. Je pense qu’il n’avait pas envie de faire la saison de trop. Mais, avec son âme de leader, je pense qu’il aurait pu faire une année de plus. Comme beaucoup, j’étais un peu surpris, parce que je le voyais finir au Sporting, mais ce n’est plus la politique du club. Ils veulent tourner la page des anciens. C’est comme ça. Tant pis pour eux. Maintenant, Cahu fait le tampon entre le staff et les joueurs à Lens, un club hyper famille, qui correspond très bien à ses valeurs. Je suis content pour lui. Il est d’une gentillesse très rare dans ce milieu. Les gens peuvent comprendre que, pendant toute sa carrière, ils se sont fait une mauvaise image de lui.

Tu as quitté le Sporting pour Lille en 2016. Pourquoi n’es-tu jamais revenu ?On va parler clairement : quand je pars de Lille (le 31 août 2017, NDLR), je gagne 80 000 euros par mois. Je résilie et j’accepte de retourner au Sporting, alors en Ligue 2, pour 15 000 euros par mois. Dans l’idée, tout le monde devait rester. Jean-Louis (Leca), Cahu, Toto (Squillaci). Si tout se passait bien, on remontait assez vite. Malheureusement, les dirigeants – ces génies – nous ont menti. Les dettes montaient à bien plus que 5 millions, et nous avons été rétrogradés en N3. On m’a demandé si je voulais rester. J’ai dit que je pouvais signer en amateur pour aider. Ma maman venait de mourir. J’avais refusé Caen. Mais je ne garantissais pas de rester toute l’année. Les impôts te prennent sur l’année précédente. Si je passais de 80 000 à 2000 euros par mois, j’allais me faire démonter. Je n’aurais pas pu payer. J’allais avoir mon chômage et je ne voulais pas de salaire. Le Sporting disait qu’ils ne pouvaient pas ne rien me verser. Alors j’ai dit : « Écoutez, je vais trouver encore une année ou deux avec un bon petit salaire pour finir de payer mes impôts et une fois que tout est payé, je viendrai en amateur. » Il y a des clubs de Ligue 1 qui m’appelaient. Je n’avais pas trop envie, mais Fred Hantz était à Metz et m’a convaincu. J’ai dit à Ferrandi (Claude de son prénom, alors nouveau président du Sporting, NDLR) que j’allais y aller. On s’est serré la main.

Je venais jouer au Sporting pour zéro euro. Puis Chabert a dit : « On n’a pas besoin d’anciens, et encore moins de lui. » Ils venaient de faire deux montées de suite et ils se sont pris pour les rois du pétrole…

J’ai fait mon année à Metz, puis au Gaz. Ça ne s’est pas bien passé, parce que je me suis pris la tête avec Della Maggiore, qui se prend pour un autre. Il s’est pris pour José Mourinho, mais à la fin, il a fait comme à chaque fois : il s’est planté. Bref, j’avais fini de payer mes impôts et j’ai dit à Ferrandi que je reviendrais la saison d’après. Le coach, c’était (Mathieu) Chabert. Ferrandi m’a dit qu’il ne savait plus trop, que la politique avait changé. J’avais 32 ans ! Il m’a dit qu’ils allaient réfléchir. Je suis rentré à Bastia et je suis revenu vers lui. Il m’a dit qu’ils n’avaient pas les finances. Je lui ai dit : « Mais je ne te parle pas d’argent ! Je viens jouer gratuitement ! » Je venais jouer pour zéro euro. Puis Chabert a dit : « On n’a pas besoin d’anciens, et encore moins de lui. » Ils venaient de faire deux montées de suite et ils se sont pris pour les rois du pétrole… Quand tu vois ce que fait François Modesto (directeur sportif de Monza, en Serie A, NDLR), ce que fait Lorenzi (Grégory, directeur sportif de Brest, NDLR), qui vient de faire signer Slimani. Quand tu vois qu’on a eu Landreau et Rothen… On aurait pu aider. On en avait envie. Mais ils n’ont jamais fait appel à nous. Parce qu’ils savent que, contrairement à eux, on connaît le football. Et qu’on ferait peut-être les choses différemment.

Ta dernière saison pro, c’était donc en 2018-2019 au GFC Ajaccio. Qu’as-tu fait, entre-temps ?J’ai eu un petit passage à vide pendant deux ans. J’étais fatigué de tout ce qu’il se passait autour du football. Je savais que c’était la fin de ma carrière et je n’avais pas fait le deuil de ma maman. Tout ça, d’un coup, c’était un coup derrière la casquette. J’avais besoin de couper. Ma belle-fille voulait rentrer à Bastia, alors nous sommes rentrés. On vit à Cardo, au-dessus de Bastia. Un village sympathique avec une belle place, une église, deux très bons petits restos. On a deux chiens. J’aime bien être un peu en retrait. Je ne vois pas beaucoup de monde. Ça m’arrange. Les grandes villes, le stress, les foules et tout ce qui va autour, ça ne m’intéresse pas trop. Je suis né à Lyon, mais je suis arrivé à Bastia à 13 ans. C’est ma ville. J’ai été élevé à la bastiaise. Mon père est bastiais. Ma mère aussi, mes grands-parents aussi. Mes enfants aussi. Ça me paraissait logique de rester ici.

De l’extérieur, le Gaz me faisait penser au Sporting dix ans plus tôt. Ça m’a attiré. Mais pas du tout. C’est un club qui n’a jamais grandi et ne grandira jamais.

Tu as aussi vécu à Crotone, Istres, Paris, Lille et Metz. Qu’est-ce que Bastia a que ces endroits n’ont pas ?J’ai grandi dans l’amour de la ville de Bastia et du club. Maintenant, je peux le dire : quand j’ai signé à Lille, j’ai fait mes premières crises d’angoisse. À 30 ans. Parce que j’avais quitté quelque chose auquel j’étais viscéralement attaché. Ce que j’ai ressenti à Bastia, je ne l’ai ressenti nulle part ailleurs. Quand tu joues pour ce club, dans ce stade, tu sais qu’il y a un passé. Je ressens beaucoup ces choses-là. Tu ressens une ferveur, un truc qui t’oblige à jouer avec le cœur. Et c’est une chose que je n’ai ressenti nulle part ailleurs. Malheureusement.

Tu n’as pas ressenti ça au stade Pierre-Mauroy ?(Il rit.) Non ! C’est une ferveur particulière. Je n’ai retrouvé ces sentiments nulle part. Même pas à Ajaccio. Pourtant, quand j’ai signé au Gaz, c’était pour ça. De l’extérieur, le Gaz me faisait penser au Sporting dix ans plus tôt. Ça m’a attiré. Mais pas du tout. C’est un club qui n’a jamais grandi et ne grandira jamais. C’est aussi ce qui m’a poussé à arrêter. Il n’y avait pas d’ambition.

Tu vas sur tes 36 ans et tu travailles avec Alexandre Ruiz sur Free. Pourquoi signer dans un club de Régional 3 créé il y a seulement deux ans ?Parce que le FC Lupinu va très bien avec ma philosophie. Je ne veux pas cracher dans la soupe, mais certaines choses que j’observe dans le football moderne me gênent. La nouvelle génération, par exemple, qui se croit déjà arrivée. Tu vois les mecs jouer, on dirait qu’ils ont 600 matchs de Ligue 1, alors qu’ils ont une demi-saison de Ligue 2. Au niveau des clubs, j’en avais marre du football pro. À Bastia, le bling-bling, les strass, les paillettes, ce n’est pas les choses que l’on préfère. Ce qui nous caractérise, c’est le foot populaire. La ferveur. Et le FC Lupinu, c’est ça. On y retrouve plusieurs générations. C’est géré par des gens intelligents, avec la tête sur les épaules. Loïc m’a donné rendez-vous à la Flûte enchantée, la boulangerie du cousin de ma femme, où les dirigeants ont l’habitude de se réunir. Il m’a eu avec un café ! J’ai été plus que correct dans mes négociations de contrat, je crois…

Le FC Lupinu est géré par des gens intelligents, avec la tête sur les épaules. Loïc m’a donné rendez-vous à la Flûte enchantée, la boulangerie du cousin de ma femme, où les dirigeants ont l’habitude de se réunir. Il m’a eu avec un café !

C’est quoi pour toi, le foot populaire ?C’est un football dans lequel on ne se prend pas pour un autre. Où l’on sait d’où on vient. Et où il y a une vraie passion. Le foot populaire rapproche les peuples et réunit des gens qui n’auraient, sinon, peut-être pas fait connaissance. On y retrouve plusieurs milieux et toutes les cultures. Aujourd’hui, au FC Lupinu, nous ne faisons qu’un. Nous sommes ambitieux, mais avec modestie.

Sportivement, que vise Lupinu cette année ?Julian Palmieri : Loïc, vas-y, réponds ! Loïc Capretti (président du FC Lupinu) : Depuis la mort du CAB (qui a fait fusion avec le FC Borgo, une ville de banlieue, pour devenir le FC Bastia-Borgo, NDLR), il n’y a plus de club amateur à Bastia. L’Étoile filante bastiaise a été absorbée par l’AJ Biguglia, une commune au sud de Bastia. L’objectif est de structurer et de monter les échelons le plus vite possible. Parce qu’il y a un créneau à prendre. Bastia est une ville de football sans club amateur ! Tous les fondateurs du club sortent de quartiers défavorisés, mais ont tous réussi. On veut que ce soit un vecteur de lien social pour les jeunes du quartier. Julian Palmieri : Voilà. Petit à petit, ces clubs se sont fait absorber. C’est le football…

Capitaliste ?Voilà ! Et un peu chichi-pompon. François Modesto fait aussi partie du club. On aimerait que ce quartier soit reconnu à sa juste valeur. Si on peut aider des jeunes via le football et les accompagner à côté, ce serait idéal.

Je ne suis pas d’accord avec ce qu’est en train de devenir le Sporting. Ça devrait être un club comme Lupinu, avec une ferveur à part, un club un peu spécial. Les dirigeants ont décidé d’aseptiser un club sacré.

C’est aussi parce que le Sporting n’a pas voulu vous intégrer que Modesto et toi vous retrouvez à Lupinu ?Là, si le Sporting m’appelle, je n’y retourne pas. Je ne suis pas d’accord avec ce qu’est en train de devenir le club. Ça devrait être un club comme Lupinu, avec une ferveur à part, un club un peu spécial. Les dirigeants ont décidé d’aseptiser un club sacré.

D’un côté, le Sporting que vous souhaitez est-il adapté au monde du football actuel ?Tu peux avoir un côté un peu chaud sans être trop chaud. Quand on était en Ligue 1, il y a eu des choses très chaudes, c’était très tendu, mais ça passait.

Jusqu’à que cela ne passe plus, non ?Il y a un juste milieu à trouver. Alors que les dirigeants sont en train de faire du Sporting Club de Bastia un club banal. Dans la structuration, notamment. Ce qui faisait la force du Sporting, c’était les joueurs du cru. Les Bastiais. Aujourd’hui, les dirigeants n’ont pas envie de ça et changent la mentalité du club. Le Sporting perd de sa splendeur.

Comment décrirais-tu Lupinu à quelqu’un qui ne connaît pas ?C’est un quartier au sud de Bastia où l’on trouve de tout. Des gens de toutes les origines. Des vieux, des jeunes, des musulmans, des chrétiens… C’est de grands immeubles, des tours, mais c’est comme un grand lotissement. On pourrait croire que c’est le bordel, mais il ne s’y passe rien. Surtout si tu compares avec certains quartiers du Continent. Jusqu’à mes 12 ans et demi, j’ai grandi à Bron, puis à Saint-Priest (deux villes de la métropole lyonnaise, NDLR). Quand on parle de quartiers chauds, je sais de quoi je parle. Mais que ce soit en France, aux États-Unis ou en Corse, c’est dans les quartiers qu’il y a le plus de morts de faim. C’est comme ça. Les gens ont envie de s’en sortir et sont plus affamés que tout le monde. Moi, c’était pareil. Il fallait être plus fort que tout le monde pour y arriver. Parce qu’on partait de plus loin.

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Propos recueillis par Thomas Andrei, à Bastia

Photos : Louis Maurel et Iconsport.

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