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Bellingham : le Brexit à contre-sens
Quitter son Angleterre natale pour rejoindre l’Allemagne et Dortmund, c’est le choix fort qu’a fait Jude Bellingham à seulement 17 ans. Un destin singulier pour un jeune talent anglais pour qui tenter sa chance à l’étranger en début de carrière est tout sauf une pratique courante.
Métronome du milieu du Borussia Dortmund à seulement 19 ans, Jude Bellingham va disputer ce mercredi soir son 22e match de Ligue des champions face à Chelsea. Un total élevé pour un joueur de son âge, qui le classe devant les meilleurs jeunes de sa génération comme Camavinga, Pedri ou encore Gravenberch. Ce temps de jeu, précieux dans la constitution d’un futur grand footballeur, l’international anglais a été le chercher en traversant la Manche à 17 piges. Après 44 matchs avec Birmingham, le gamin de Stourbridge, une petite ville des Midlands de l’Ouest, a les équipes de Premier League à ses pieds. Sir Alex Ferguson en personne lui fait la visite des installations du centre d’entraînement de Manchester United, mais son choix est fait. Direction l’Allemagne et le Borussia Dortmund. « Manchester United a une équipe fantastique, mais j’étais tellement heureux de l’intérêt de Dortmund que c’est devenu mon choix numéro 1, déclarait Jude Bellingham en 2020. La façon dont ils intègrent les jeunes joueurs dans l’équipe première est d’un niveau supérieur. Il n’y a pas un seul club en Europe qui le fait comme eux. Il y a beaucoup d’espoirs qui, s’ils en avaient l’occasion, brilleraient, mais ils n’en ont pas la chance pour une raison ou une autre. »
Pour beaucoup des jeunes espoirs anglais, quitter le pays si tôt s’apparente à de la folie. Un risque inconsidéré, puisque toutes les grandes stars anglaises se sont construites ici, dans le meilleur championnat du monde. Alors pourquoi aller voir ailleurs ? « Longtemps la Premier League a été considérée comme the place to be, développe Jonathan Wilson, journaliste anglais au Guardian. Beaucoup de jeunes joueurs en Angleterre ont peur de disparaître des radars s’ils partent et que leur expérience à l’étranger n’est pas concluante. » Les cas de talents qui se sont construits ailleurs, comme Jadon Sancho et Jude Bellingham au BvB, Mason Mount au Vitesse Arnhem ou encore Marcus Edwards à l’Excelsior Rotterdam, se comptent sur les doigts d’une main. Un frein culturel empêche de nombreux espoirs de sauter le pas. « En Angleterre, la culture conservatrice est très présente. On ne se concentre pas assez sur l’apprentissage d’autres langues parce que l’anglais est la deuxième la plus parlée au monde. C’est une question d’éducation, continue l’auteur du bouquin référence La pyramide inversée : l’histoire mondiale des tactiques de football. La jeunesse anglaise n’est pas habituée à voyager, découvrir de nouvelles cultures ou un autre type de football, alors que ça pourrait permettre à ces espoirs de revenir encore mieux armés pour faire leurs débuts en Premier League. »
Home sweet home
Le facteur économique joue un rôle important dans la volonté des jeunes footballeurs anglais de se focaliser sur leur territoire pour percer. À titre d’exemple, un joueur de Bournemouth, actuel 19e du championnat anglais, peut prétendre à un salaire aussi élevé qu’un joueur d’un bon club de Ligue 1, Paris Saint-Germain excepté. Un immobilisme motivé également par la « Homegrown Player Rule ». Cette règle, mise en place en 2006-2007 par la Premier League, pousse les clubs anglais à développer les « talents locaux ». Une initiative plus ou moins concluante. En mars 2015, Greg Dyke, l’ancien président de la Football Association (FA), avait même milité dans ce sens pour aider l’équipe nationale à remporter la Coupe du monde 2022 au Qatar. Avec plus ou moins de succès : « Quand on regarde les effectifs des Three Lions, Coupe du monde après Coupe du monde, il y a très peu de joueurs qui évoluent dans les championnats étrangers (dans les 26 sélectionnés par Gareth Southgate pour la Coupe du monde 2022, seul Bellingham évoluait à l’étranger, NDLR), note Mathieu Faurie, correspondant en Angleterre pour Canal +. Cet entre-soi, marqué par le manque de diversité culturelle, est souvent pointé par les médias pour expliquer les éliminations successives de l’Angleterre au Mondial. » Un cocon confortable dont certains commencent à s’extirper progressivement, faute d’avoir un temps de jeu nécessaire pour éclore. « Aujourd’hui, les pépites anglaises commencent doucement à tenter leur chance à l’étranger, observe Mathieu Faurie. Arrêter de ne jouer que contre des équipes de jeunes londoniennes, découvrir une autre approche tactique que la formation à l’anglaise leur permet de grandir. Les parcours de Bellingham ou Tomori (AC Milan) ont sans doute ouvert la voie. » Face aux Blues ce mercredi, Jude Bellingham, joueur le plus valorisé au monde, devrait dépasser les 9000 minutes jouées avec Dortmund, total qu’il n’aurait probablement jamais atteint s’il avait été, par exemple, joueur de Chelsea.
Par Thomas Morlec
Propos de Jonathan Wilson et Mathieu Faurie recueillis par TM.