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Jude Bellingham, au nom du père
Chez les Bellingham, le football est une histoire de famille. Jude, 19 ans, brille avec les Three Lions pendant ce Mondial. Jobe, le frère cadet, fait toujours ses classes à Birmingham. Et tous deux essayent de marcher sur les traces du papa, Mark, légende des divisions semi-professionnelles anglaises.
« J’étais à Halesowen lorsque Mark est arrivé, se souvient Gary Hackett, ancien coéquipier de Mark Bellingham dans ce modeste club de cinquième division anglaise de la banlieue de Birmingham, au micro de The Non-League Paper. En 1995, il n’avait que 19 ans, jeune et innocent, mais déjà tellement fort devant le but. Et plus le temps est passé, plus il devenu monstrueux. C’était le genre de buteur qui pouvait être totalement inoffensif pendant 90 minutes, mais t’en planter deux entre la 91e et la 93e. » Au fil de sa carrière, Mark est passé par vingt clubs des divisions non-league anglaises, et la légende raconte que la machine à buts a eu le temps de marquer à 700 reprises.
La brigade offensive
Southam United, Paget Rangers, Cradley Town, Bromsgrove Sporting, Hinckley AFC, Wolverhampton Casuals, Bedworth United, Sutton Coldfield Town, Daventry Town, Causeway United, Stourbridge, Hednesford Town, Leamington, Bromsgrove Rovers, Halesowen Town, Newport County, Cheltenham Town, East Thurrock et enfin Chelmsford City, tous ont subi la loi d’un buteur hors pair entre 1994 et 2018, footballeur le jour et policier la nuit. « Honnêtement, je ne sais pas comment il faisait, reprend Jason Cadden, entraîneur de Leamington entre 2008 et 2009, le soir, dès la fin de l’entraînement, je voyais Mark quitter le terrain en courant. Il prenait rapidement sa douche, sautait dans sa voiture pour commencer son service de police à 22 heures. » Avant de fouler les pelouses des écuries de D4, D5, D6 et D7 anglaises, Mark jonglait avec sa vie de famille et emmenait ses deux jeunes fils, né en 2003 pour Jude et 2005 pour le plus jeune, aux entraînements.« Bravo à lui, c’est tout à son honneur. Et il a joué jusqu’à la quarantaine en plus. » « L’éducation qu’il a donné à ses enfants vient de là, elle est exemplaire, rajoute Maxime Colin, ancien coéquipier de Jude et toujours coéquipier de Jobe à Birmingham. Le travail, l’esprit du devoir, Mark vient et venait souvent pour conseiller ses fils et véhiculer ces valeurs. Jude était déjà aussi mature qu’un professionnel de 30 ans à 16 piges. »
Souhaitant ne perdre aucune minute des carrières de ses deux enfants, et dans l’incapacité de concilier son métier de garde avec le sport, l’avant-centre anglais a rangé les crampons à 43 ans, marquant de son empreinte chacun des clubs où il est passé. Son plus grand fait d’armes reste une saison à 48 buts qui a permis à Leamington de grimper en D6 en 2009. « Je me souviens surtout de sa mentalité. S’il ratait une frappe, ça ne le dérangeait pas. S’il en ratait dix non plus. Mentalement, il était si bon que la onzième rentrait », clame Jason. Si aucune de ses statistiques n’a jamais été véritablement référencée, la légende raconte qu’il a planté plus de 700 caramels. « Lorsque nous sommes montés, je me suis demandé s’il avait le niveau,se remémore Jason. Finalement il a marqué dès le premier match et un doublé au second. Il aurait pu jouer dans des ligues plus élevées. »
Apprendre du père, apprendre du fils
Sur le bord de ses terrains, son premier fan était Jude Bellingham, aussi natif de Stourbridge. « Il aimait jouer au football, mais son travail passait avant tout, replace tout de même le milieu de terrain du Borussia Dortmund au micro du Guardian en 2020.Sans ça, c’est vrai qu’il était passionnant à voir jouer. Je le suivais souvent le week-end et c’est là que j’ai commencé à tomber amoureux du football. » Au-delà de la passion, Jude Bellingham se nourrit du style rugueux de son père et de son courage pour s’attaquer aux gangs criminels dans les rues de Birmingham avec le costume policier des West Midlands juste après les matchs. « Je pense que mon style de jeu reflète bien certains traits de celui de mon père. Je l’ai beaucoup observé quand j’étais petit. »
On l’a encore vu lundi, au moment de récupérer tous les ballons lors de l’entrée en lice réussie de l’Angleterre – six duels remportés, le plus grand total de la partie. « Par exemple, mon père ne se jetait jamais, jamais je ne l’ai vu tacler. Je fais pareil », s’inspire Jude. Aujourd’hui, c’est au tour de Mark Bellingham de voir son fils rayonner depuis le bord des terrains, et d’apprendre de son fils : « J’ai l’impression de vivre des expériences qu’il n’avait peut-être pas vécues. » Si Jude ne battra sûrement pas le record de son père chez les West Midlands Police – Mark était parvenu à fusionner travail et ballon rond l’espace d’une saison en 1998 –, difficile de faire mieux que d’avoir les clés d’une sélection en Coupe du monde à seulement 19 ans.
par Matthieu Darbas
Propos de Maxime Colin recueillis par MD