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Juan Román Riquelme l’a fait
Dimanche dernier au stade Diego Armando Maradona, dans le quartier de La Paternal à Buenos Aires, Juan Román Riquelme et son club formateur, Argentinos Juniors, ont accompli leur mission : remonter en première division argentine. Retour sur les six derniers mois du numéro 10 exquis, qui aura finalement réussi à dompter « l'enfer de la B Nacional ».
En juillet dernier, quelques nuits après la déception de la finale de la Coupe du monde et à quelques jours du début d’une nouvelle saison de football argentin, Juan Román Riquelme fait la Une. Toute la journée, sur toutes ces chaînes de télévision argentines dévoreuses de scandales, l’éternel visage fermé du Diez apparaît. Des « Riquelme dit non à Boca » , les gros titres deviendront rapidement « Argentinos Juniors : une piste envisageable ? » et puis enfin « Incroyable : Riquelme revient à La Paternal » . La Paternal, c’est le petit quartier du club d’Argentinos Juniors. Quelques petits pâtés de maison dans l’Ouest d’une capitale tentaculaire. Un club connu pour son centre de formation extraordinaire, surnommé « la pépinière du monde » : les plus grands Cinco et les plus grands Diez du pays y ont répété leurs gammes. Sergio Batista, Fernando Redondo, Esteban Cambiasso ou même Néstor Ortigoza ; Diego Maradona, Juan Román Riquelme et même Leonardo Pisculichi. Mais en 1996, alors que Román a 18 ans, le club est relégué et doit vendre. Avec deux autres gamins, l’enganche (le neuf et demi, ndlr) est anonymement envoyé à Boca, le club de son cœur.
« Si j’ai de quoi manger aujourd’hui, c’est grâce à ce club »
Pour Argentinos, Román n’a donc jamais été un héros : un seul match avec l’équipe réserve, au mieux. Employé du club depuis 40 ans à divers postes, de coordinateur de la formation à entraîneur, Carlos Balcaza a vu passer tout le monde. Un matin hivernal en août, alors qu’il supervise l’entraînement des moins de 18 ans où joue Sebastián Riquelme – le petit frère – Carlos accepte de retirer son gros bonnet pour nous raconter l’histoire du grand frère : « Chez nous, Riquelme était un petit mec. Il voulait absolument jouer enganche, mais dos au but, il se faisait tout le temps bouffer. Son père venait me voir après l’entraînement, et me disait « Allez, laisse-le partir, je veux qu’il s’amuse, moi ». Et je lui répondais « Non, je veux le garder, il compte pour nous, mais je ne peux pas t’assurer qu’il sera tout de suite titulaire ». Un jour, j’ai eu l’idée de le faire jouer au poste de numéro 5, devant la défense. Je lui ai dit de courir après son adversaire, de lui prendre la balle et ensuite de s’amuser. Avec sa vision du jeu, il s’est très vite fait remarquer. » À Boca, Riquelme devient une idole. L’idole, malgré des différends avec quelques dirigeants et pas mal de hinchas. Un champion inébranlable, trois Libertadores, et plein de jolis rêves. Durant tout ce temps, Argentinos vit des difficultés. Une saison en deuxième division en 1996-97, puis deux autres de 2002 à 2004, et la rechute en 2014. Malgré le retour de Leonardo Pisculichi, le beau pied gauche de River, Argentinos tombe dans « l’enfer de la B » .
Mais pour Riquelme, Argentinos représente quelque chose : « Si j’ai de quoi manger aujourd’hui, c’est grâce à ce club. J’ai la chance de pouvoir nourrir une famille, et je le dois à Argentinos, qui m’a élevé quand j’étais tout petit, et m’a laissé passer à Boca. (…) J’ai grandi d’une certaine façon, maman et papa m’ont appris à être reconnaissant, et cela a beaucoup pesé dans ma décision. » Fin juillet, Román revient. Non pas en Superman, mais en homme de devoir, avec une seule mission en tête : « Rendre à Argentinos tout ce qu’il m’a donné. » Quand il enfile le maillot du Bicho devant une dizaine de milliers de personnes lors d’une « présentation galactique de quartier » , le meneur longiligne a plutôt la mécanique d’un joueur retraité que celle d’un Cristiano Ronaldo. D’ailleurs, en faisant revenir les deux autres vieux guerriers Cristian Ledesma et Matias Caruzzo, Argentinos s’arme avec son passé pour mieux imaginer son futur. Finalement, l’enthousiasme est encore plus grand qu’il ne l’était six mois plus tôt en première division.
« Tu veux jouer à ma place ? »
Avec son éternel numéro 10 sur le dos, Riquelme invente des solutions dès la première journée. Le 9 août contre Boca Unidos, devant un stade venu pour lui, Riquelme lance une frappe rasante à 25 mètres des cages à un quart d’heure de la fin. Le périple est lancé. Quelques blessures, des matchs fermés au possible, des ballons qui volent… Et des stades à l’ancienne qui font par moments ressusciter un football d’ailleurs, comme lorsque Riquelme s’arrête avant de tirer un coup franc, se tourne vers la tribune et lance un « tu veux venir jouer à ma place ? » à un supporter bruyant. Mais la « B Nacional » est infernale, et Argentinos traverse une crise. Incapable de s’adapter à cette deuxième division à laquelle ses joueurs ne sont pas habitués, malgré les ouvertures de son 10, Argentinos coule au classement : 5 buts marqués lors des 12 premières journées. Quand il est presque trop tard, le technicien et légende du club Claudio Borghi fait ses valises. Le Bicho est à 7 points de la zone des promus avec 7 matchs à jouer. Mais Pipo Gorosito et sa coupe de cheveux mythique débarquent et redressent le navire « avec du travail et quelques corrections, parce que les miracles n’existent pas » .
Sur les six prochains matchs, les Rouge et Blanc ramènent 15 points sur 18 possibles. Et Riquelme dessine, dessine et dessine encore avec sa semelle… Dimanche dernier, il suffisait d’un match nul pour prendre le wagon de cette toute nouvelle Primera à 30 équipes : mission accomplie (1-1). Román aura fait taire ses détracteurs en ne manquant que 5 matchs sur 20, avec un beau parcours jusqu’en demi-finale de Copa Argentina (ce coup franc contre Racing et cette panenka contre Estudiantes…). En allant jouer contre Guarani à Corrientes, Riquelme aura fermé quelques bouches sans réussir à ouvrir le score : oui, Román et ses pieds d’aristocrate étaient prêts à faire les déplacements dans le si redouté « Intérieur » du pays. Peu importe la catégorie, Román aura produit une nouvelle saison de magie à 36 ans. Et s’il répète à chaque entretien que « le football m’a donné plus que ce j’avais prévu » , il a certainement donné plus à Argentinos que ce que le club pouvait attendre d’un meneur de jeu de 36 ans. Le jour de l’obtention de la promotion en Primera, même la Bombonera aura chanté son nom – ce qui aura provoqué quelques sifflets. Riquelme, lui, semble tranquille. « Maintenant, je vais profiter, prendre du maté, me faire des asados et passer du temps avec mes amis, comme toujours. Joyeux Noël à tous. Hein, un retour à Boca ? Moi, je suis hincha de Boca. Depuis toujours. Mais on verra. Je sais pas. »
Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires
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