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Juan Manuel Vargas : « Nous devons nous convaincre qu’on peut le faire »
Après presque dix ans en Europe, le Loco Juan Manuel Vargas est rentré au pays. Plus précisément à l’Universitario de Deportes, son club de toujours. Sous un soleil de plomb, au centre d’entraînement de la U posé en périphérie de Lima au bord du Pacifique, Vargas prend le temps de parler du football péruvien, de ses premières amours et de sa folie.
Tu es revenu en janvier dernier à Universitario, ton club de cœur. Ça te fait quoi ? La vérité, c’est que j’ai eu la sensation de revenir chez moi, dans ma maison à l’Universitario, après toutes ces années. C’est une joie immense de jouer à nouveau ici. Je l’ai fait surtout pour tout recommencer de zéro. J’avais terminé une étape de ma carrière en Europe, j’avais des propositions pour rester dans des clubs européens, mais je voulais retrouver cette envie de jouer et ce sentiment d’appartenance. Je me suis couché sur beaucoup d’argent, car j’avais envie de revenir.
Ce « sentiment » qu’incarne le club formateur, cette envie d’y revenir, c’est quelque chose de très sud-américain, non ? J’ai vu énormément de cas de Sud-Américains dans ce cas. Certains reviennent plus jeunes que d’autres, d’autres juste pour prendre leur retraite. Moi, je l’ai fait à un moment où je pense qu’il me reste quatre ans de haut niveau. Je suis revenu à la U en janvier, j’ai signé un contrat jusqu’à juin. Ça s’est bien passé, donc je suis resté. À l’avenir, je ne sais pas si j’irai à nouveau à l’étranger ou si je resterai ici. En réalité, j’aimerais rester ici, mais je ne sais pas ce qui arrivera. Dans le football, on ne peut pas savoir, il faut vivre au jour le jour.
Le Pérou t’avait manqué ? J’ai ma famille ici, j’ai cinq enfants. Ma femme trouvait qu’il n’était pas encore temps de rentrer. Mais moi si, j’avais un peu perdu l’envie, j’étais moins enthousiaste, moins heureux en réalité. J’avais rompu mon contrat avec le Betis et je voulais rentrer au pays pour retrouver l’envie. La vie de footballeur, c’est une vie d’expatrié, il te manque toujours quelque chose du pays. Ce qui me manquait le plus, c’étaient mes amis, ma ville, mon quartier. Des trucs simples, comme être au coin de la rue avec les potes, parler de tout, oublier le football en fait.
La vie de footballeur expatrié est-elle fatigante ?Tu n’es pas chez toi. Tu te reposes après l’entraînement, tu passes tout ton temps chez toi. La maison, la maison, tu finis par tourner en rond. Maintenant, je suis à Lima, je peux aller partout. Je peux aller voir ma tante, mon cousin, un pote quand je le veux. Je revis, en réalité. Je retrouve une vie normale. Le foot, je n’y pense que le matin quand je m’entraîne et c’est tout.
Tu as passé six mois sans jouer avant de revenir, c’est un moment difficile pour un joueur ?Oui en fait, j’avais rompu mon contrat et je me suis dit que c’était un bon moment pour passer du temps en famille. Quand tu joues au foot, tu passes aussi à côté de beaucoup de choses, entre les mises au vert, les voyages… C’est du temps en moins passé en famille. Et cette pause m’a fait du bien, pour me rendre compte d’une autre réalité. C’était un congé nécessaire. Mais le retour est toujours difficile, il faut retrouver le rythme, au début tu es un peu à contretemps. Je ne suis pas encore à 100%, mais ça va arriver.
Tu as toujours été fan de l’Universitario ? Depuis tout petit, je suis hinchade la U. Enfant, j’allais dans la barraau stade. Plus qu’un joueur, je suis un fan. Donc oui, jouer pour la U a toujours été mon rêve. Je crois que c’est un sentiment qui dépasse toute autre chose quand tu nais fan d’un club. Mon idée quand j’ai commencé à jouer à la U en 2004, ça n’était pas de partir en Argentine ou en Europe, c’était de faire carrière à la U, porter ce maillot toute ma vie. J’ai grandi dans le vestiaire avec le Puma Carranza qui était ma plus grande idole et qui a fait toute sa carrière ici. Je voulais l’imiter.
Tu n’as plus été appelé en sélection depuis un Pérou-Venezuela en mars 2016. Tu comptes y revenir ?Oui, mais chaque chose en son temps. La sélection c’est évident que j’ai envie d’y revenir, mais pour le moment, je veux déjà faire les choses bien avec l’Universitario, et la sélection viendra ensuite.
Le fait de ne jamais avoir disputé de Coupe du monde avec le Pérou, c’est quelque chose que tu portes un peu comme une croix ? Je crois que oui, c’est un échec. Le Pérou n’est pas allé au Mondial depuis 1982. On a eu une super génération et on n’a pas pu se qualifier, c’est une épine dans le pied, ça te coupe un peu les jambes. Pour tout footballeur, jouer un Mondial, c’est un rêve, donc oui, il y a cette frustration de ne pas avoir réussi. Et l’envie n’est pas à remettre en cause. Je ne sais pas si c’était ma dernière campagne éliminatoires parce que j’ai 33 ans. Mais en même temps, Claudio Pizarro a 38 ans et il joue encore au Werder. J’aimerais suivre ses pas.
Cette génération Farfán, Guererro, Pizarro et toi, qui était surnommée ici les « 4 fantasticos » , a engendré beaucoup d’attentes. Tu crois qu’il a manqué quoi aux 4 fantastiques pour emmener le Pérou à un Mondial ? Je crois qu’en matière de talents, notre sélection n’a rien à envier à d’autres équipes sud-américaines qui se sont qualifiées pour le Mondial. On a fait des super matchs, mais on a aussi perdu beaucoup de matchs stupidement. Je ne me l’explique pas vraiment, mais je me dis merde, il doit manquer quelque chose ! Parfois, on manque de concentration, mais le problème, c’est nous-mêmes. Nous devons nous convaincre qu’on peut le faire, qu’on peut battre tout le monde et se qualifier. (Interview réalisée avant les deux victoires du Pérou face à la Bolivie et l’Équateur, qui ont permis à la sélection péruvienne de remonter à la quatrième place, devant l’Argentine, ndlr.)
Comment définirais-tu l’essence du football péruvien ? Le footballeur péruvien est très joueur. Historiquement, le football péruvien c’est beaucoup de technicité, de toque. Mais je crois que nous sommes un peu en train de perdre cette spécificité parce que le championnat péruvien n’est pas d’un super niveau et il devrait l’être, car il y a plein de joueurs super doués. Je crois que le championnat péruvien devrait être plus exigeant, qu’il y a du travail à faire au niveau des bases, de la formation, du professionnalisme. Alors le Pérou pourrait exporter autant de joueurs que le Brésil ou l’Argentine, parce qu’il y a du talent. Je crois que techniquement les Péruviens sont vraiment très forts. Mais nous ne faisons pas les efforts suffisants, nous sommes contents de jouer notre championnat local et il manque cette faim de partir, d’aller dans d’autres championnats. On reste dans ce confort.
Toi, c’est le fait de partir en Europe qui t’a fait acquérir cette exigence ?Moi, je voulais jouer à l’Universitario, rien de plus. Et puis, pour des raisons économiques, la U a dû me vendre en Argentine et c’est là qu’est venue cette envie de jouer en Europe.
Ta meilleure époque en tant que joueur, c’était quand ?Lorsque l’on a disputé la Ligue des champions avec la Fiorentina en 2010-2011, j’étais à un super niveau, dans la forme de ma vie. Et je suis resté à un niveau assez haut lors de mes années italiennes, mais pas tout à fait au niveau de cette saison-là.
La Fiorentina, c’est un club spécial pour toi ?La Fio, je la porterai toujours dans mon cœur, parce que c’est, avec Catane, le club qui m’a permis de découvrir le football européen, de m’imposer. Et puis Florence, ce sont sept années de ma vie. Trois de mes enfants sont nés là-bas. Le club m’a énormément soutenu dans des moments difficiles, les gens ont été super avec moi.
Quand tu étais à Catane, il paraît que tu étais courtisé par le Real ou le Barça, il y a des regrets de ne pas avoir jouer là-bas ?Oui, j’ai lu ça, mais je n’ai pas eu de contacts directs avec ces clubs. Mais oui, il y a eu de l’intêret à un moment. C’est vrai que ça m’aurait plu de jouer pour un de ces grands clubs, mais en même temps, à quel joueur ça ne plairait pas ? Et puis quand tu joues avec des joueurs aussi forts, le football devient plus facile.
Quel est le meilleur joueur avec qui tu as joué dans ta carrière ? J’ai joué avec plein de supers joueurs. Mais si je devais t’en donner un qui était très spécial, ça serait Adrian Mutu, hyper fort. David Pizarro aussi a une qualité incroyable, une science du jeu. Mais en plus des joueurs, je garde surtout les personnes, plus que les footballeurs. Un footballeur fait son boulot sur le terrain comme tout le monde et c’est très bien, mais en tant que personne, je te dirais Ambrosini, Mario Gómez, Gilardino, Frey qui sont des personnes en or. J’ai beaucoup appris avec eux.
Ta spécialité, ce sont les centres et les coups de pied arrêtés, tu as appris comment ? Je suis toujours resté après l’entraînement pour travailler les centres. Bon, aujourd’hui, je ne le fais plus trop. Mais je restais toujours une demi-heure après l’entraînement, je mettais deux plots et je visais précisément le point de penalty en essayant plusieurs techniques de frappe. Ça, j’ai commencé à le faire en Europe surtout. À la Fiorentina, je bossais beaucoup les coups francs. Je crois que ça a marché hein, parce que Gilardino, je ne sais pas combien de buts il a marqué sur mes centres, mais vraiment beaucoup. (Rires.)
D’ailleurs, il a dit que tu étais le meilleur centreur du monde.À cette époque, c’était fou, c’était un moment où j’étais un peu en état de grâce, je suis toujours un bon centreur, mais à la Fio, avec Gilardino, c’était dingue. Mes centres étaient téléguidés, ils arrivaient sur lui, à l’endroit parfait à chaque fois, il n’avait plus qu’à la pousser au fond.
Tu as appris à jouer dans la rue aussi ?Oui complètement, je viens d’un quartier assez chaud de Lima, Diego Ferrer à Magdalena del Mar. Ma famille est très foot, j’ai grandi dans cette ambiance. Mais j’ai toujours joué dans la rue, deux pierres pour faire les buts, un vieux ballon et on jouait. Il y avait des coups, des bastons parfois. J’avais 14 ans et je jouais contre les grands de 30 ans et il fallait y aller, sinon tu te faisais massacrer. Ça frappait fort, il y avait des tacles violents. Mais la base, tu l’apprends là-bas, c’est souvent ce qui rend le footballeur sud-américain particulier. À l’inverse, mon fils a 5 ans, je crois que je vais le mettre dans la rue pour qu’il apprenne, parce qu’il passe sa journée avec l’iPad, et moi, je n’ai pas grandi comme ça ; les temps changent. On a grandi en jouant au football, au trompo (sorte de toupie péruvienne). Cette enfance s’est un peu perdue.
Pourquoi on t’appelle El Loco ? Ça vient d’ici. Je ne pense pas être fou ! Mais je suis hyperactif, je déteste rester tranquille. Je ne tiens pas en place, je ne peux pas rester assis au même endroit. Dans une réunion quand je m’ennuie, je tire l’oreille du voisin ou je balance des boulettes en papier. Du coup, j’ai fait des choses un peu inconscientes, je sortais d’une maison de deux étages en sautant, je me demande pourquoi j’ai fait ça, mais je n’y avais même pas réfléchi, c’était instinctif. Mais cette « folie » m’a emmené là où je suis aujourd’hui. J’ai toujours été un mec instinctif, frontal, un fonceur qui voulait arriver loin. En étant « normal » , je n’aurais sans doute pas réussi.
Au Pérou, on t’appelle aussi Chucky. Pourquoi ? En fait, je me suis cassé le front en jouant au foot. Je suis tombé sur un banc en pierre et donc j’avais une énorme cicatrice au milieu du front, je l’ai toujours d’ailleurs. À l’époque, je ressemblais à la poupée du film et mes potes des équipes jeunes de la U m’ont appelé ainsi.
Propos recueillis par Arthur Jeanne, à Lima