- En partenariat avec Dorcel
Joueurs, joueuses, prenez votre temps !
Ode à la préparation des actions, à la multiplication des passes, à la recherche d’un(e) partenaire bien placé(e), à l'entente entre les coéquipiers, au beau jeu, à l’expression collective des actions pour essayer de marquer. Ou pourquoi les lois de l’attraction sont souvent plus fortes que celles de la tactique.
« Le meilleur moment dans l’amour, c’est l’escalier. » Le mot est de Sacha Guitry. Ou bien de Clémenceau. Ou peut-être de Julien Doré. Peu importe. En tout cas, c’est la chose la plus intelligente qui ait jamais été dite sur l’amour. Et sur le football. Pourquoi ? Parce que l’escalier, c’est le moment de silence juste avant l’instant décisif, celui où les mots sont superflus et où la vérité affleure. L’escalier, c’est le nom qu’on pourrait donner à tous ces jeux de construction qui nous ont amenés ici, à toutes ces phases inutiles, langoureuses, ces touches anodines, ces plans qu’on était sur le point d’oublier tout à fait. L’escalier, c’est le sel de la rencontre. Entendons-nous bien, il n’est pas ici question de négliger le travail du finisseur. Sur ce point, le football est toujours un sport où le but est de conclure. Mais apparaît dans cette phrase quelque chose qui nous avait échappé. Ce n’est pas pour rien que Liverpool — You’ll never walk alone — a intégré dans son staff un spécialiste des touches, tentative héroïque, mais maladroite de civiliser l’imprévu. Un conseil : la minuterie éteinte, ne rallumez jamais la lumière.
Car il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas regarder. Pourquoi le chemin plutôt que le résultat ? Pourquoi l’escalier plutôt que la chambre à coucher ? Parce qu’à cet instant précis se joue quelque chose de décisif et fragile. La tactique, les conseils que l’on écoute patiemment pour se rassurer avant de se jeter dans le bain, toutes ces choses ne nous sont plus d’aucun recours au moment du déséquilibre. On le sait, ce n’est pas le schéma qui compte, « c’est l’animation », manière plus polie de dire qu’aucune rencontre n’est jamais exactement la même. On ne peut pas prévoir l’imprévisible. Pourtant demeure un paradoxe : rien ne ressemble plus à une rencontre qu’une autre rencontre. Les histoires sont toujours un peu les mêmes. Avouez-le. On attend, c’est à nous de jouer notre jeu, on fait notre devoir et puis juste après c’est fini. Oui, c’est toujours pareil. En tout cas en apparence. Mais quand on s’arrête et qu’on se souvient, c’est alors que tout se distingue. Cette fois-ci c’était différent. C’est ce qu’on jure le lendemain. D’ailleurs, on peut l’avouer ici, on n’a jamais respecté aucune consigne, aucun plan. On s’est toujours laissé porter par les lois de l’attraction plutôt que celles de la tactique. La différence ? Le feu qui couve. Le désir.
Le terrain, c’est notre escalier. Apprenons donc à aimer les préparatifs, les constructions lentes, le jeu combiné. Non pour la virtuosité de son architecture — le jeu de possession est surtout un jeu de positions, rappelons-le. Mais pour le simple plaisir de patienter. Le français le dit parfaitement, il convient de prendre son temps parce que les instants gagnés sur les automatismes sont ceux que l’on passe à contempler ce moment aux premières loges. On sait déjà qu’on se souviendra de ce geste, cette action, juste avant de les réaliser. Telle est la magie de la rencontre. Les instants de grâce sont à ce prix. Arrivés tout en haut de nos escaliers émotionnels (ou de nos ascenseurs), prenons un instant pour écouter, voir, sentir ce qui est sur le point d’arriver nécessairement. Dans la patience, ce n’est pas la fatalité que l’on contemple, c’est la joie du jeu, le plaisir d’en donner, d’en recevoir. Une caresse, comme une passe décisive, donne momentanément l’illusion d’être le maître du désir. Les grands sportifs connaissent ces moments où les contraintes qui pèsent sur nos vies dociles semblent tout à coup disparaître et obéir à chacune de nos intentions. Alors joueurs, joueuses, arrivés en haut de l’escalier, sachez vous arrêter un instant, contemplez le désir et prenez votre temps.
Par Thibaud Leplat