- C1
- Finale
- Tottenham-Liverpool (0-2)
Jouer comme des Pool mouillés
L'explosion offensive n'aura donc pas eu lieu. Liverpool s'est imposé contre Tottenham en pratiquant un jeu à l'encontre de ce que le public attendait de lui : en étant chiant. Belle leçon.
Il est de ces rendez-vous amoureux où l’on se rend parfois avec plus d’application que d’autres. Un trait de rouge à lèvres soigné, une lichette de parfum dans le cou ou une noisette de gomina sur une mèche rebelle feront peut-être la différence, après tout. Il faut le dire : cette finale de Ligue des champions, conclue sur un air de You’ll Never Walk Alone, a longtemps fait partie de ces soirées-là. On regardait le calendrier en se frottant les mains, préparant son programme, établissant son menu, le but étant d’éviter les distractions pendant une rencontre qui s’annonçait explosive et haletante. Belle ironie : entre la main de Moussa Sissoko, à la 26e seconde de la rencontre, et le but du break de Divock Origi à cinq minutes du terme, il n’y aura rien eu.
Peu de jeu proposé, peu d’émotion à la clé
Rien ayant la valeur d’une analyse définitive, il faut nuancer. Rien, c’est-à-dire rien d’offensif, si ce n’est un dernier quart d’heure plus agité que tout ce qui le précédait. Il fallait peut-être quelque part une forme d’équilibre, après une des éditions les plus renversantes de l’histoire dans ses phases éliminatoires, passée par les remontadas des Reds et de Manchester United, la folie du retour à l’Etihad entre City et les Spurs, l’explosion en mondovision d’une génération dorée ajacide contre la Juventus. Ainsi l’acte final du scénario devait probablement retrouver un peu de sens pour rendre l’œuvre crédible. Le foot, et voilà la morale du soir, ne se gagne pas que sur des exploits, et encore moins en défiant la logique. Liverpool l’a prouvé en faisant justement de l’anti-Liverpool, profitant des erreurs de son adversaire, faisant probablement preuve de moins de naïveté que son opposant du soir. Mais le pinacle de la soirée restera l’intervention d’une Instagrameuse en petite tenue.
Car à la mi-temps, si le tableau d’affichage démontrait numériquement la supériorité de la bande de Jürgen Klopp, il suffisait de baisser le regard pour y voir une statistique probablement plus révélatrice : la possession. 65%-35%. Traduction : Tottenham a la balle, mais n’en fait pas grand-chose. Il faut parfois savoir reconnaître quand un match ne répond pas à ses attentes, même si celles-ci ont probablement été victimes d’une inflation scénaristique. On s’est longtemps fait suer au Wanda Metropolitano, et rien de mal là-dedans : la victoire de Klopp passait pas un brin de réalisme, une assise solide, des contre-attaques censées faire reculer le bloc des Spurs, et un apport de ses latéraux toujours aussi important. Il faut pour cela se rappeler les deux oppositions observées en championnat, deux victoires 2-1 des Reds, la dernière reposant sur un but contre-son-camp de Toby Alderweireld à la 90e minute de jeu à Anfield. Pas de quoi fanfaronner.
Pas dans les livres d’histoire
Quatorze ans après la dernière, cette C1-ci ne bénéficiera jamais d’une ligne spéciale dans les livres d’histoire. Elle n’a ni le caractère historique de la première (1977), ni la folie d’Istanbul (2005), ni le génie du retourné acrobatique de Bale (2018). Mais elle couronne une saison historique qui méritait une médaille pour autre chose que ses records de dauphin, et sacre surtout une équipe caméléon autant capable d’évoluer en contre-attaque que de solidifier les espaces entre ses lignes. Deschamps opinera du chef, on y voit là comme un parallèle avec l’équipe de France championne du monde, les pulsations cardiaques étant laissées de côté au profit d’un pragmatisme à toute épreuve. Les épreuves du passé (six finales perdues pour Klopp tout de même) ont aidé Pool à maîtriser son sujet, et tant pis pour le panache. Les victoires s’acquièrent aussi dans l’indifférence. La France de la Ligue 1 le sait depuis longtemps, mais l’Europe l’avait quelque peu oublié. Et une piqûre de rappel de temps en temps fait parfois autant de bien qu’un rendez-vous terminé seul sous la couette.
Par Théo Denmat