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Josuha Guilavogui : « Personne ne reprochera à Morgan que je marque plus que lui »
Il faut déjà une bonne étoile pour devenir pro, alors quand ce sont deux personnes issues d'une même fratrie qui y arrivent, comment on se l'explique ? C'est toute la question qu'essaye d'éclaircir Josuha Guilavogui, frère aîné de Morgan Guilavogui, qui découvre dix ans après son frère les joies de la Ligue des champions. Interview d'un frère très fier.
Tu as pris l’habitude de débriefer chacun des matchs de ton frère Morgan directement avec lui. Que lui dis-tu depuis qu’il est arrivé à Lens cet été ?
Ce qui est bizarre, c’est qu’aujourd’hui, beaucoup plus de personnes me parlent des matchs de mon frère. Même des coéquipiers à Mayence comme Ludovic Ajorque ou Anthony Caci… Forcément, ça me fait plaisir pour lui, parce que Morgan a eu une histoire un peu différente de la mienne. J’ai suivi le parcours « classique », alors que lui n’a pas été conservé par le centre de formation, a dû repasser par le football amateur. Pourtant, il joue aujourd’hui en Ligue des champions. C’est merveilleux ce qu’il lui arrive. J’espère qu’il pourra devenir un exemple pour d’autres : pour y arriver, il n’y a pas qu’un chemin prédéfini, tant qu’on continue à y croire et qu’on bosse, on peut réussir.
Tu as huit ans de plus que lui, et c’est en 2014, lors de ton retour à Saint-Étienne (en prêt depuis l’Atlético de Madrid, NDLR), qu’il a pu intégrer le centre de formation des Verts. C’est le genre de coups de pouce que peuvent se permettre les grands frères ?
Avant de pouvoir l’aider, j’ai dû acquérir un certain statut dans mon club. Tu ne peux pas arriver quelque part et placer ton petit frère avant d’avoir prouvé quoi que ce soit. Moi, j’étais devenu un cadre de l’ASSE, j’étais en équipe de France (7 sélections entre 2013 et 2015, NDLR), je savais que mon frère avait des qualités, donc je préférais qu’il vienne à Saint-Étienne plutôt qu’il parte ailleurs. Ce n’est pas vraiment du piston, parce qu’il faut tout de même avoir un certain niveau pour entrer dans un centre de formation, mais ça lui a certainement servi. Et même si ça n’a pas duré plus de quelques mois avant de revenir à Toulon, il faut croire qu’on a eu raison de croire en lui.
C’est plus facile d’avancer quand on a un modèle, comme Morgan a pu l’avoir avec toi ?
Tu peux t’inspirer de quelqu’un, mais ça ne veut pas dire que tu auras le même parcours. Moi, c’est Bafétimbi Gomis. On vient tous les deux de Toulon, et il m’a pris directement sous son aile à Saint-Étienne. Il a été une grande source d’inspiration, mais on n’a pas pour autant eu la même trajectoire ensuite. On prend des exemples, on pioche dans ce qui est bon, on fait en sorte de ne pas reproduire les erreurs qui ont pu être faites, et on se construit comme ça. Pour Morgan, c’est la même chose vis-à-vis de moi. Je pense l’avoir bien conseillé, mais tout le mérite lui revient.
Es-tu intervenu personnellement dans son choix de poursuivre sa progression au RC Lens ?
Honnêtement, on a souhaité après son passage au Paris FC qu’il franchisse un cap et qu’il puisse tutoyer le plus haut niveau. Plusieurs clubs étaient intéressés, mais la proposition la plus concrète était celle de Lens. On lui a tous dit que le dauphin du championnat de France qui va retrouver l’Europe, ça ne se refuse pas, même s’il faut avoir un peu de courage pour faire un bond comme ça. Au début de l’année, ils ont eu un peu de mal à digérer les départs de Seko Fofana et Loïs Openda, deux joueurs qui étaient à leur prime. Mon frère est venu notamment pour remplacer Openda. Jusqu’à la fin du mercato et l’arrivée tardive d’Elye Wahi, il n’y avait pas d’autre numéro 9 dans l’effectif. Donc c’était compliqué à assumer pour lui, d’autant plus qu’il n’est pas un pur avant-centre. Même s’il est grand, costaud et bon de la tête, il aime aussi participer au jeu.
C’est un peu ce dont souffre Randal Kolo Muani au Paris Saint-Germain.
Exactement. Ce sont des joueurs qui savent un peu tout faire, mais qui n’ont pas un point fort indiscutable qui permet de les fixer à un poste précis. Pour Morgan, ça a été difficile au départ, mais il a fini par trouver son style de jeu. Surtout, son entraîneur a su le détecter et il le fait rentrer en tant qu’ailier dans son 3-4-3. Maintenant, dès qu’il entre, il montre des choses intéressantes. À Séville, il a une opportunité de la tête ; contre Eindhoven, avant de se prendre un rouge, il tape le poteau ; ça se rapproche. Et plus il aura du temps de jeu (il n’a été titulaire que 2 fois, contre 15 entrées en jeu, avec 471 minutes sur le terrain, NDLR), plus il va emmagasiner de la confiance et apporter un plus à cette équipe.
Dans quel domaine doit-il encore s’améliorer ?
Dans le football, tout est une question de confiance. Il a le coffre, il va vite, il est bon techniquement, mais pour grandir, il doit prendre plus ses responsabilités dans son jeu. Morgan est un joueur décisif et il doit être plus souvent capable de tenter la frappe que de faire le décalage. Devenir plus égoïste, en quelque sorte. Ça va venir avec le temps.
Est-ce plus compliqué de se faire un prénom que de se faire un nom ?
Si on avait joué dans le même club, au même poste, et encore plus si on avait été tous les deux attaquants, peut-être que les comparaisons auraient été plus nombreuses et plus lourdes à supporter. Mais là, ce n’est pas trop le cas : personne ne reprochera à Morgan que je marque plus que lui. (En carrière, Josuha a marqué 22 buts, contre déjà 49 pour Morgan, NDLR.)
Morgan compte déjà 15 capes en sélection guinéenne. Qu’est-ce que ça représente pour ta famille ?
Déjà, les Guinéens m’en avaient un peu voulu d’avoir choisi l’équipe de France. Je pensais qu’ils allaient se calmer avec son choix. Mais maintenant, on me dit : « Regarde, même ton petit frère a décidé de jouer pour la Guinée, tu aurais pu faire pareil ! » (Rires.) Mais je suis fier de lui, car il restera comme le premier à inscrire son nom dans le Syli national. Il a joué une CAN, alors que je n’ai jamais participé à un gros tournoi international, donc il coche des cases que je n’ai pas pu cocher.
Ne restera-t-il pas le regret de ne pas avoir joué ensemble, à moins que tu aies le projet de signer à Lens cet hiver ?
(Rires.) J’aurais voulu jouer avec lui ! Déjà, si j’étais resté à Wolfsburg, on aurait joué l’un contre l’autre en amical. Rien que ça, ça aurait été bizarre. Mais j’espère qu’une grande carrière l’attend. Je ne pense pas être sur le déclin, mais à 33 ans, je suis plutôt sur une phase linéaire. Morgan, lui, est dans une phase ascendante, donc si on ne se croise pas, ça sera une bonne chose pour lui.
Es-tu plus fier de le voir réussir que d’avoir réussi toi-même ?
Le plus beau, ce sont les émotions. Quand tu es sur le terrain, tu ne peux pas trop te laisser aller à tes émotions parce que tu peux prendre un carton, commettre une faute ou surjouer. Mais le fait de voir quelqu’un de sa famille, qui plus est son frère, jouer un match de haut niveau, ça décuple les émotions. Grâce à lui, je peux passer d’acteur à spectateur. Je suis à fond derrière lui et je découvre presque cette sensation aujourd’hui. Pour l’exemple, j’ai assisté au match de Lens au Parc des Princes. Lens perd 3-1 contre le PSG, mais Morgan marque son premier but. Dans la tribune, il y avait toute la famille, et la joie qu’il nous a donnée à ce moment, c’était exceptionnel ! Il nous rend tous fiers, et en premier lieu notre papa qui a toujours rêvé d’être footballeur professionnel. Aujourd’hui, ses deux fils le sont. Il vit son rêve à travers nous, en venant une fois à Lens, une fois à Mayence ou en nous suivant dans les déplacements européens. Ça, ça n’a pas de prix.
As-tu « peur » d’être effacé des mémoires par ton frère ?
Non, pas du tout ! Je vois son émergence comme une chance de voir notre nom perdurer. J’ai 15 ans de carrière pro, lui a aujourd’hui 25 ans, donc s’il joue encore pendant 10 ans, potentiellement, le nom Guilavogui aura été porté au haut niveau pendant près de 25 ans !
Il y a d’autres frères qui doivent arriver derrière ?
Non, non. Enfin, ça, il faut le demander à mon père ! (Rires.)
Propos recueillis par Mathieu Rollinger