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Joseph Lopy : « Tout le monde peut philosopher ! »

Propos recueillis par Pauline Omam Biyik
Joseph Lopy : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Tout le monde peut philosopher !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Arrivé à Clermont l'été dernier, Joseph Lopy y est déjà comme chez lui. Surnommé « le Président » par ses coéquipiers, le milieu de terrain sénégalais a accepté de revenir sur sa passion pour la philosophie. Entretien avec un footballeur au profil atypique.

Joseph, comment est née ta passion pour la philo ?Je vais essayer d’être bref, mais disons que dans mon enfance, j’étais un garçon un peu compliqué, toujours dans la réflexion. J’étais toujours en train de chercher le pourquoi du comment. À treize ans, j’ai eu la chance d’intégrer le centre de formation de Diambars. C’était vraiment des toutes petites classes, avec peu d’élèves. À la fin des cours, pour rentrer au centre, je passais toujours devant la classe de terminale. J’entendais le prof de philo. À chaque fois, je me disais : « Tiens, ça pourrait bien me plaire ça » jusqu’au jour où je me suis décidé : je me suis arrêté, je suis rentré dans la classe et j’ai demandé au prof si je pouvais me mettre en fond de classe pour écouter. Il m’a dit d’accord.

Et ton attrait pour cette matière s’est donc confirmé…Tout s’est bien passé, et puis j’ai commencé à participer, à poser des questions. Un moment donné, il en a eu marre, il m’a dit : « Écoute, ce n’est pas ta classe, soit tu écoutes et tu te tais, soit tu sors. » Donc je me suis tu ! Mais je pense que ma passion pour la philo est vraiment née à ce moment-là.

Finalement, Diambars t’a formé en tant que joueur, mais aussi en tant qu’homme …À treize ans, on est le reflet de l’éducation que l’on a reçue, mais on reste des mômes, qui ont encore beaucoup à apprendre. J’ai eu la chance d’être entouré de personnes pleines de valeurs. À cet âge-là, c’est important. Ils m’ont appris la vie. C’était vraiment une chance.

Quel était ton quotidien avant Diambars ?Je ne faisais pas beaucoup de foot avant d’intégrer le centre. J’allais à l’école et pendant mon temps libre, je pratiquais les arts martiaux. Le foot, c’était de temps en temps devant chez moi, pour rigoler. Mais un jour à l’école, ma classe devait jouer et il manquait un joueur. Je me suis dit : s’il faut compléter, j’y vais. Le prof a vu que j’avais peut-être un peu plus de talent et de facilités que les autres. Deux jours après, je l’ai vu débarquer à la maison. Il connaissait ma mère et il lui a dit : « Ce gamin, tu devrais l’inscrire à l’école de football parce qu’il va réussir. » Quand ma mère m’a posé la question, je lui ai dit que j’étais partant, mais que ça m’embêtait, car ça coûtait pas mal d’argent. Et pour tout payer à la fin du mois… Elle m’a dit que si ça me faisait plaisir, elle ferait les sacrifices. Tout est parti de là.

Dans quelle mesure la philo t’a-t-elle aidé à mieux appréhender ta vie de footballeur ?Déjà, je suis quelqu’un de simple. Pour moi, la solidarité, l’entraide, le partage, ce sont des choses importantes. La philo est venue s’inscrire dans cette continuité. En la lisant, mais surtout en la vivant, en essayant d’appliquer à ma vie les conceptions des auteurs, je parviens à porter un autre regard sur les événements. Ça me permet aussi de garder la tête sur les épaules.

Quand je parle, c’est pour dire des choses sensées.

Tu es arrivé en France à dix-huit ans, seul. Comment as-tu vécu ton départ du Sénégal ?J’avais eu la chance de connaître la France auparavant, puisqu’avec mon équipe, on y avait fait des stages. Peu de centres de formation africains ont cette chance-là. On restait parfois plusieurs mois, en Norvège, en Espagne, en France. Autant dire qu’on avait déjà un pied en Europe. C’était vraiment un privilège pour nous de voir comment ça fonctionnait ici. Quand je suis arrivé définitivement, la philo m’a beaucoup aidé pour mieux m’intégrer, me fondre dans la vie de groupe, aborder les gens. L’une de mes forces, c’est aussi ma faculté à observer les gens. Je sais les cerner. J’agis ensuite différemment selon les personnes avec lesquelles je suis. Ça a été très important à ce moment précis.

Tu as été confronté durant ta carrière à plusieurs blessures. Quel rôle a joué la philosophie dans ces moments-là ?Si je n’avais pas été si souvent blessé, peut-être que j’aurais eu une autre carrière que celle que j’ai aujourd’hui. Mais la philo et les réflexions qu’elle entraîne me permettent de ne pas aborder les choses de manière frontale. J’ai appris à relativiser, à m’élever pour garder à l’esprit qu’il y a plus grave ailleurs. Je suis toujours resté positif.

Comment tes coéquipiers te perçoivent-ils, tu es l’intello du groupe ?L’intello, je ne sais pas (rires). À Boulogne, on m’appelait « Le pasteur » . Il y a toujours eu des petits surnoms comme ça. En philo, on dit souvent qu’il y a une part de vérité dans tout ce qu’on dit, il faut croire que c’est le ressenti de la majorité de mes coéquipiers. Même s’ils le disent en rigolant.

Ton statut d’intellectuel a-t-il un impact sur le vestiaire ?Je ne sais pas si ça me confère une certaine légitimité. Mais par exemple, ici à Clermont, depuis que je suis arrivé, certains ne m’appellent plus par mon prénom, mais pour rigoler, ils me surnomment « Président » (rires) ! Ils savent que je ne suis pas quelqu’un qui parle beaucoup, mais apparemment, quand je parle, c’est pour dire des choses sensées qui aident le groupe à avancer. Sur ce plan-là, peut-être qu’effectivement, ça fait de moi quelqu’un de plus légitime…

Et sur le terrain, comment cette passion t’influence-t-elle ?Il ne faut pas me prendre que sous cette facette. Je suis aussi quelqu’un de très croyant, de très pieux. La philosophie et ma foi se complètent parfaitement. Grâce à tout ça, je sais pardonner à mon prochain, quoi qu’il fasse, dans la mesure où je n’en veux jamais à personne. Sur un terrain, je ne suis pas du genre à m’agacer ou à être méchant. Dans mon équipe, si ça ne va pas, je me considère comme le seul fautif. Je cherche la petite bête, une façon de m’incriminer pour dédouaner les autres. C’est important aussi de savoir chaque jour se remettre en question, de faire ressortir le côté négatif de mes prestations, pour progresser. J’essaye toujours de m’améliorer tout en restant moi-même.

J’aime beaucoup Socrate, même s’il n’a pas laissé d’écrits derrière lui. Mais des hommes comme Platon, ses élèves, relatent sa philosophie morale. Et encore aujourd’hui, on voit que beaucoup de philosophes s’inscrivent dans sa lignée.

Tu as déjà parlé philo avec d’autres joueurs ou entraîneurs ?Avec l’entraîneur de Boulogne, l’année dernière, on avait pas mal échangé, oui. On était en déplacement, il est venu me rejoindre à l’arrière du bus. Il m’a vu lire un bouquin de philo, il m’a posé quelques questions dessus. Il était surpris, il ne pensait pas que j’aimais ce genre de choses. Sinon, il y a trois semaines, on était à l’hôtel, je lisais tranquillement et je suis allé parler de mon livre à un joueur. Il m’a dit : « Laisse-moi tranquille, tu vas me faire mal à la tête. » Du coup, ce n’est pas allé très loin (rires).

À quelle fréquence lis-tu ?Pour être honnête, en ce moment, je lis beaucoup moins qu’avant. Là, je lis L’art d’être heureux de Schopenhauer, mais pratiquement que pendant les déplacements, car à la maison, je n’ai plus vraiment le temps. Je suis en train de préparer un diplôme universitaire (de gestion des événements sportifs, ndlr), en prenant des cours par internet. Je me concentre vraiment là-dessus.

As-tu une œuvre référence ?Pas vraiment, en fait. J’aime beaucoup Socrate, même s’il n’a pas laissé d’écrit derrière lui. Mais des hommes comme Platon, ses élèves, relatent sa philosophie morale. Et encore aujourd’hui, on voit que beaucoup de philosophes s’inscrivent dans sa lignée. J’aime aussi Schopenhauer. Dans ses œuvres, L’art d’être heureux ou L’art d’avoir toujours raison, on voit la contradiction qu’il y a entre sa personne et sa perception réelle des choses. Ce sont des choses intéressantes qui permettent de comprendre que la philosophie n’est pas une idée fixe et que tout le monde peut philosopher.

En dehors de la philo, tes passe-temps sont tout aussi « sérieux » ? En dehors du foot, la plupart du temps, je reste chez moi. Je n’aime pas trop sortir, je suis assez casanier. J’aime bien regarder les infos pour me tenir un minimum informé de ce qu’il se passe dans le monde. Je lis, je fais des mots croisés…

Tu n’as pas le sentiment d’être une exception dans un monde du football de plus en plus bling-bling ?Non, je n’irais pas jusqu’à dire ça. On est tous différents, c’est tout. À mon âge, certains préfèrent le shopping, les sorties, les jeux vidéo… Souvent, mes potes, c’est ça, jeux vidéo. Moi, je prends quand même le temps de profiter, de faire des choses, d’aller boire un verre, de manger au resto. Mais les jeux vidéo, non, non, je ne suis pas du tout là-dedans ! Peut-être que, pour moi, ce sont les livres qui les remplacent… Je suis heureux comme ça, c’est ma façon de vivre ma vie. On m’a souvent dit que j’étais un gars atypique, mais moi, je ne me vois pas comme quelqu’un de différent.

Si Hollande courait 90 minutes et qu’on lui posait des questions, lui aussi bafouillerait.

Il y a quelques mois, le président Hollande sous-entendait que les footballeurs n’avaient rien dans la tête. Tu es la preuve du contraire ou l’exception qui confirme la règle ?On est mis sur le devant de la scène, mais honnêtement, quand quelqu’un vient vous poser des questions alors que vous venez de courir 90 minutes, que vous êtes épuisé, c’est normal que vous ayez du mal à trouver vos mots. Les conditions ne sont pas souvent réunies pour nous permettre de nous exprimer correctement. Même moi, je galère à exprimer mes idées après de tels efforts… Le président a donné son opinion, mais je crois que s’il faisait 90 minutes et qu’on lui posait des questions ensuite, peut-être que, comme certains, il bafouillerait. La plupart du temps, on ressort le côté négatif des choses, on dit : « Tel joueur parle mal » , on pointe du doigt certains, mais si vous les prenez dans un cadre qui s’y prête, ce sont des joueurs qui s’expriment normalement. Allez dans la rue, dans la vie de tous les jours, interrogez au hasard des gens, et c’est évident que certains auront eux aussi du mal à aligner deux mots.

Finalement, pour toi, le sport est-il en lui-même une philosophie ?Oui, clairement. Pas que le sport, la vie tout entière. À chacun de philosopher sa vie, de la voir, de la manier comme bon lui semble tout en respectant les autres.

Dans le football, quel joueur admires-tu ?J’adore Zidane. J’ai l’impression qu’il est toujours resté le même. J’ai toujours été fasciné de voir avec quelle finesse il touchait le ballon. Mais celui auquel j’aurais aimé ressembler, c’est Steven Gerrard. Le numéro 8 que je porte depuis tout jeune, c’est un hommage. Je l’ai toujours suivi, toujours admiré. J’aime sa façon de jouer, la grinta qu’il a, l’envie qu’il dégage. Et en dehors, c’est un mec sans histoire, sans scandale, discret. C’est l’exemple à suivre.

Du coup, on imagine que tu es fan de Liverpool ?Ah oui, carrément ! Fan des Reds, fan d’Anfield, fan de leur public. Je suis un vrai supporter. C’est un rêve de jouer pour ce club. Ce serait magnifique, extraordinaire, tout ce que vous voulez ! (Rires) J’ai vingt-quatre ans, et comme on dit, les rêves sont faits pour être concrétisés ! J’en suis encore loin. À moi de faire ce qu’il faut !

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Propos recueillis par Pauline Omam Biyik

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