- Un jour, un transfert
- Épisode 42
José Luis Chilavert à Strasbourg : problème de poids, déception de taille
Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Pour ce 42e épisode, honneur à José Luis Chilavert et à son atterrissage surprenant du côté de Strasbourg, en 2000. Recruté contre la coquette somme de 50 millions de francs par un club en difficulté au classement, l’emblématique gardien-buteur suscite autant l’engouement de supporters que le scepticisme de ses coéquipiers, qui remarquent bien vite ses kilos superflus. S’il n’est pas assez décisif pour éviter au Racing la descente en D2, le Paraguayen sauve toutefois son bilan en décrochant la Coupe de France.
On ne l’avait plus vu dans l’Hexagone depuis le 28 juin 1998. Ce jour-là, sous un soleil de plomb et dans un stade Bollaert archi-comble, José Luis Chilavert a longtemps été un obstacle infranchissable. Le gardien d’1,88 m a incarné à merveille l’esprit de résistance du onze paraguayen, arque-bouté en défense et bien décidé à faire dérailler l’équipe de France dès les huitièmes de finale de son Mondial, mais un tir du droit de Laurent Blanc, à la 113e minute, a soulagé tout un pays et ruiné les espoirs d’une Albirroja héroïque. Son capitaine, lui, reste quelque part dans les mémoires du grand public, happé par son charisme magnétique, bluffé par ses innombrables arrêts et fasciné par sa capacité à inscrire des buts, talent ô combien rare chez les derniers remparts. Alors, forcément, quand le RC Strasbourg annonce en novembre 2000 l’arrivée de Chila dans ses rangs, la surprise est de mise. Surtout que le club alsacien se morfond alors à l’avant-dernière place du classement de la D1 et que son propriétaire, le groupe américain IMG Mc Cormack, vient de claquer une somme estimée à 50 millions de francs pour s’attacher ses services.
Coup médiatique et défiance du vestiaire
Le président Patrick Proisy et l’entraîneur Claude Le Roy sont enchantés de ce prestigieux transfert, censé permettre au RCS de remonter la pente. Dans le vestiaire, l’enthousiasme est beaucoup plus mesuré. « Personne n’était au courant, l’info avait été très bien cachée jusqu’au jour de son arrivée, rejoue Stéphane Roda, milieu de terrain strasbourgeois à l’époque. Le président s’était mis les supporters à dos et il a voulu frapper un grand coup médiatique en recrutant un monument. Bon, le problème, c’est que ça a bouleversé l’équilibre des gardiens. On a compris que Thierry Debès allait payer les pots cassés, ça a mis une ambiance de merde dans le groupe. » La venue de Chilavert ne fait donc pas plaisir à tout le monde. Patrick Proisy ne tarde pas à s’en rendre compte. « La manière un peu fraîche dont il a été accueilli me paraît inadmissible, inacceptable et contraire aux intérêts des joueurs », s’indigne le finaliste de Roland-Garros 1972 dans les colonnes de Libération. Accusé d’être resté dans sa voiture pour ne pas avoir à serrer la main de son nouveau coéquipier, Teddy Bertin voit son brassard de capitaine lui être retiré. « Franchement, je ne me souviens pas du tout de ça, balaie Roda. C’est vrai que ça a été tendu entre Teddy et Chila parce que ce dernier voulait tirer tous les pénos et les coups-francs. » Avant d’ajouter : « On s’attendait à un phénomène, mais on n’a pas été agréablement surpris quand il a commencé à s’entraîner… »
Pas moins de 500 supporters strasbourgeois affluent au centre d’entraînement pour assister à la première séance du gardien sud-américain. Sauf que celui-ci doit assumer, en plus du poids de l’âge (35 ans), quelques kilos en trop sur la balance. Officiellement, il pèse 93 kilos. En réalité, une dizaine de plus. « Il n’était vraiment pas affûté, quoi, euphémise Stéphane Roda. Après coup, on a appris qu’il avait subi un traitement à base de cortisone pour soigner ses blessures, ce qui fait gonfler. C’est sûr que ça n’a pas aidé, mais de toute façon, ce n’était plus le Chilavert de la Coupe du monde 98. » Refroidis par la manière dont ce transfert a été ficelé, les joueurs alsaciens ne sont donc en outre guère rassurés par ce que montre l’ancienne gloire du Vélez Sarsfield sur le pré.« Il avait du mal à s’entraîner, il ne plongeait plus trop, c’était compliqué, souffle l’ex-milieu. Quand on faisait des petits jeux et que tu avais Chila dans ton équipe, tu savais que tu avais perdu. Il ne voulait pas plonger, juste tirer au but. » Cela ne tarde pas à se voir. Dès son premier match de championnat contre Bordeaux, le Paraguayen affiche ses lacunes et n’est pas exempt de tout reproche sur les deux buts adverses (0-2).
La Coupe pour retrouver le sourire
Le natif de Luque ne rechigne pas à endosser un rôle dans le vestiaire – « Même s’il ne parlait pas bien la langue, quand il avait des trucs à dire, il se faisait comprendre », précise Roda – mais, sur le terrain, ses prestations trop souvent décevantes n’endiguent pas la chute du Racing. Après avoir concédé neuf pions en six matchs, José Luis Chilavert perd même temporairement sa place de titulaire. Un terrible affront que l’intéressé goûte peu. Il refuse ainsi d’effectuer le déplacement à Bastia pour éviter que des photos de lui assis sur le banc n’arrivent jusqu’en Amérique du Sud. Sa remarquable force mentale et les séances exigeantes imposées par Michel Ettorre, l’entraîneur des gardiens, lui permettent malgré tout de remonter la pente. Ce n’est certes pas suffisant pour empêcher Strasbourg, en difficulté du début à la fin de la saison, de terminer dernier et d’être relégué en D2, mais la troupe à Yvon Pouliquen – qui a remplacé Le Roy dès novembre – s’offre une belle éclaircie au milieu de la pénombre en décrochant la Coupe de France. C’est lors de cette compétition que Chila inscrit son seul but français, sur penalty, pendant la demi-finale face à Nantes (4-1). En finale, il sort le grand jeu au moment de la séance des tirs au but, détourne une tentative amiénoise et réussit la sienne, décisive, dans la foulée (0-0, 5-4 t.a.b.). « La Coupe, on l’aurait probablement aussi gagnée sans lui, et franchement, quand tu remportes un trophée mais que tu descends derrière, tu n’es pas fier », tempère néanmoins Stéphane Roda, qui avait bien mieux fêté le titre conquis en Coupe de la Ligue un an plus tôt avec Gueugnon.
Malgré la descente, l’emblème des Leones ne quitte pas le navire bleu et blanc. Il joue pendant la quasi-totalité de la saison et participe donc à la remontée immédiate du club du Bas-Rhin dans l’élite. Le portier aux 62 buts en carrière ne va néanmoins pas s’éterniser en France. Il revient du Mondial asiatique « avec un poids de 106 kilos, dépassant de onze kilos son poids de forme », déplore le président Proisy. Devenu remplaçant, le vétéran paraguayen est mis à pied fin août, après avoir refusé de jouer en lieu et place de Vincent Fernandez, blessé. « Je n’ai plus envie de jouer à Strasbourg, je n’en porterai plus le maillot », affirme Chilavert à L’Alsace, assurant par ailleurs que le RCS lui a « manqué de respect » et qu’il lui doit « beaucoup d’argent ». En cause : une somme de 2,4 millions de dollars, que le joueur réclame au nom d’une convention privée qui aurait été signée au moment de son arrivée et que le Racing refuse catégoriquement de lui verser, arguant qu’il s’agit d’un faux document. Saisie, la commission juridique de la LFP sanctionne les deux parties. Licencié, José Luis Chilavert retourne de l’autre côté de l’Atlantique, où il raccroche les gants en 2004. Désormais engagé en politique, il est candidat à l’élection présidentielle paraguayenne de 2023. Stéphane Roda, pour sa part, garde le souvenir d’un « mec super humainement, qui a été parachuté dans un groupe en forte difficulté et qui n’a pas apporté ce qu’il aurait dû apporter. » Joliment résumé.
Par Raphaël Brosse
Propos de Stéphane Roda recueillis par RB.