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José Andrade, Paris à ses pieds
Fils d'esclave, habile joueur de football, musicien et danseur notoire, José Andrade a émerveillé l'Europe lors des Jeux olympiques de 1924 à Paris. Le milieu de terrain uruguayen a vu sa carrière interrompue par une incroyable blessure et un goût démesuré pour la nuit.
En 1924, Paris est l’épicentre mondial de la culture. Des artistes de toute part s’installent dans la capitale. Dans ce contexte d’après-guerre se déroulent les Jeux olympiques. Alors que les figures de la Ville Lumière sont écrivains, chanteurs ou poètes, un joueur de football uruguayen est devenu le roi de Paris. José Leandro Andrade est l’un des premiers joueurs sud-américains à avoir émerveillé l’Europe. Meilleur élément de l’équipe d’Uruguay de l’époque, Andrade a laissé son empreinte dans le stade Yves du Manoir de Colombes, en banlieue parisienne, où il a mené son pays à la médaille d’or. Aussi, celui qui a gagné le surnom de « La Merveille noire » en France, est devenu une icône de la nuit parisienne, partageant des soirées avec Joséphine Baker ou encore Colette. Une carrière pleine de mythes. Entre prostitution, syphilis, et fin de carrière provoquée par un choc contre un poteau.
Footballeur virtuose
Né à Salto (comme Cavani et Suárez) en 1901, Andrade est le fils d’un esclave africain réfugié au Brésil et d’une Argentine. Le premier mythe qui entoure la famille du joueur uruguayen concerne son père : sur l’acte de naissance de son fils, son père biologique n’est inscrit qu’en qualité de témoin. Le doyen du clan Andrade, âgé de 98 ans et expert en magie africaine, serait en réalité le père du crack de Montevideo. Dans les rues de la capitale uruguayenne, Andrade travaille comme musicien, cireur de chaussures et vendeur de journaux. Habile joueur de violon et de tambourin, l’Uruguayen fera de ses instruments ses meilleurs atouts de charme. S’il débute le football au club de Misiones, le joueur se démarque rapidement et connaît ses premières sélections avec l’équipe nationale en septembre 1923 face à l’Argentine. L’année suivante, Andrade (qui évolue alors à Bella Vista) et ses coéquipiers uruguayens rejoignent Paris, pour disputer les Jeux olympiques. Le milieu de terrain décrit plus tard par les journalistes de l’époque comme « élégant et habile » sera l’une des figures de la compétition. Une presse qui tombera rapidement sous le charme de l’escouade uruguayenne. Enrique Carcellach, journaliste espagnol, écrivait : « Je regarde du football depuis vingt ans et je n’avais jamais vu une équipe jouer avec autant de classe que l’Uruguay. Je ne pensais pas que le football pouvait se jouer à ce degré de virtuosité. Ils jouaient aux échecs avec les pieds. »
Pourtant, Gabriel Hanot, rédacteur en chef de L’Équipe avait qualifié les joueurs uruguayens de « maladroits » avant le premier match de la Celeste. La sélection uruguayenne remporte le premier match sur le score de sept à zéro face à la Yougoslavie. Cinq victoires plus tard et plus de vingt buts marqués, Andrade et ses compatriotes gagnent la médaille d’or après avoir facilement battu la Suisse en finale. L’histoire raconte même que, face à la France, les Uruguayens qui menaient un à zéro à la mi-temps avaient décidé de ralentir, pour ne pas humilier leurs hôtes. Après le tournoi, Andrade restera plusieurs mois à Paris. Le temps pour l’Uruguayen, devenu « La Merveille noire » ou la « Perle noire » (surnom de Pelé quarante ans plus tard) de goûter aux joies de la nuit parisienne.
Andrade et « les années folles »
Après avoir usé de ses qualités balle au pied pour écraser les JO de son talent, José Andrade se transformera en l’habile danseur et chanteur qu’il était dans les rues de sa patrie. Hans Ulrich Gumbrecht, écrivain allemand, affirmait, dans son livre In praise of athletic beauty que le milieu de terrain « réveillait des vagues de désir érotique » chez les femmes de l’époque. Andrade, qui aurait travaillé comme gigolo dans sa jeunesse, rencontre Joséphine Baker, avec qui il danse un tango, ou encore Colette, avec qui il partagera un asado (le barbecue latino) lors d’une fête organisée pour les joueurs de la sélection uruguayenne après une victoire contre les États-Unis lors des JO. Dans un article, la presse italienne raconte qu’Andrade s’échappe souvent des mises au vert pour aller boire dans les bars de bord de Seine. Angel Romano, ami et coéquipier du joueur, retrouve un soir « Andrade dans un appartement luxueux, entourés de femmes, comme un sultan dans son harem » .
Alcoolisme et syphilis
De retour au pays, l’homme qui nettoyait des chaussures aux plus riches est devenu un dandy. La communauté noire de la capitale organise même un match en son honneur, auquel il ne se présentera pas. Côté football, le joueur est recruté par le Nacional, où il collectionnera les titres de champion. Une tournée de 1925 en Europe marquera aussi l’un des tournants de sa carrière. À Bruxelles, Andrade se rend chez un médecin qui affirme que le milieu de terrain a la syphilis. Le joueur part à Paris pendant deux mois pour oublier la triste nouvelle et échapper à la dépression. En 1928, José Andrade gagne encore l’or olympique avec sa sélection lors des JO d’Amsterdam. Outre parcourir les fameux bars de la capitale hollandaise, Andrade et ses coéquipiers ont fait taire de nombreuses critiques lors de ces olympiades. Dont celles – les plus véhémentes – de Jules Rimet. Le père de la Coupe du monde avait déclaré que la sélection uruguayenne était composée de Boliviens et de Péruviens et qu’ils n’avaient affronté aucune bonne équipe en France. Lors de la demi-finale contre l’Italie, Andrade se cogne contre le poteau, et perd une partie de la vision. L’Uruguayen ne sera plus « l’artiste du football aux mouvements élastiques » un temps décrit par le footballeur allemand Richard Hoffmann. Il participera tout de même à la Coupe du monde 1930 gagnée par l’Uruguay, devenant l’un des seuls joueurs à remporter « la triple couronne » . Après le Mondial, il jouera en Argentine, à Atlanta, Lanús et Argentinos Juniors, puis se retirera à 36 ans, à Montevideo.
En 1956, Fritz Hack, journaliste allemand qui parcourt le monde pour rencontrer l’idole uruguayenne, raconte : « Ce que j’ai vu à Montevideo est une image d’horreur. J’ai trouvé Andrade dans un taudis, totalement alcoolique, et presque aveugle. Il n’a pas pu répondre à mes questions. » Mort dans la misère et l’anonymat à 56 ans, José Leandro Andrade est aujourd’hui considéré comme le premier grand joueur noir de l’histoire du football. En Uruguay, une plaque à sa mémoire dans le mythique stade du Centenario de Montevideo est la seule relique du glorieux passé d’Andrade. Peu importe, les rues de Paris se souviennent de lui.
Par Ruben Curiel, à Santiago de Chile