Comment tu t’es retrouvé à jouer à Malte ?
C’est une longue histoire. Dans le cadre de mes études, j’ai dû venir ici il y a deux ans pour faire un stage. En parallèle du stage, j’ai pu continuer à m’entraîner grâce à un contact que j’avais dans l’entreprise et qui connaissait des gens au club de Hibernians FC (club de la ville de Paola). C’était incroyable : stage la journée et à 18 heures, entraînement avec une équipe de première division maltaise. À l’époque, j’étais encore sous contrat avec le Servette de Genève, donc je ne pouvais pas signer chez eux, mais j’avais toujours dans un coin de ma tête l’idée de venir à Malte. Quand mon contrat s’est terminé avec le Servette, j’ai repris contact avec un des joueurs de Hibernians, dont le père était entraîneur à Naxxar. Ils étaient partant pour me faire signer durant l’été. J’y vais pendant deux semaines et tous les jours, on me dit : « Tu vas signer demain, tu vas signer demain. » Au dernier moment, un Brésilien de deuxième ou troisième division italienne débarque et signe à ma place. Donc ils m’ont placé en deuxième division au Zurrieq FC et on fera à nouveau le point avec Naxxar l’année prochaine.
Donc potentiellement, l’année prochaine, t’es en Premier League maltaise ?
Tu sais, quand les Maltais te disent quelque chose… (rires) Personnellement, j’y crois pas trop. Mais ils m’ont trouvé un autre club, alors qu’on était à la mi-août et que je ne pouvais plus retourner en France. J’ai tenté le coup. Zurrieq, c’est un club qui a de l’ambition et qui veut remonter rapidement en Premier League, d’ici un à deux ans. Le niveau entre la Premier League et la First Division, c’est rien. Il y a juste une différence sur le nombre d’étrangers autorisés : cinq en Premier League, trois en First Division. Les quatre meilleures équipes de Premier League – Sliema Wanderers, Valletta, Hibrnians, Birkirkara – ont le niveau bas du National, les autres c’est du niveau CFA. La First Division, je dirais que c’est CFA2.
Quel a été ton parcours avant Malte ?
J’ai été formé au Grenoble Football 38. Je suis de la même année que Vincent Di Stefano, qui joue à Montpellier, et Florian Thauvin. L’année où le GF38 a fait banqueroute, le Clermont Foot s’était renseigné sur moi, mais j’ai eu l’occasion de partir au Servette de Genève en compagnie d’Hugo Fargues. Je ne suis pas parvenu à m’imposer, donc j’ai été prêté un an au Stade nyonnais en troisième division suisse. Ensuite, je savais que je ne jouerais jamais à Manchester, donc l’idée de jouer à Malte s’est présentée et j’ai accepté.
Malte, la Suisse : t’es un spécialiste de la zone grise en termes d’argent, dis donc…
(Rires) Non, l’argent, ça n’a jamais été une motivation dans mes choix. Je gagne beaucoup moins d’argent ici qu’en Suisse ou en France. Je suis venu à Malte pour le style de vie et pour ne faire que du foot. J’ai assez d’argent pour vivre, je paie rien. Je touche 600€ par mois, mais pour la bouffe, l’appartement, Internet, je paie rien. C’est tout dans ma poche, quoi.
T’as d’autres avantages ?
Ouais, des avantages touristiques. À Zurrieq, il y a des tours en bateau. Ben si t’es joueur, tu peux le faire gratuitement ! (rires) Mais attention, j’ai un statut pro. Tous les étrangers ont un contrat professionnel.
Pas les Maltais ?
Certains. Ceux qui ont été internationaux, par exemple. Sinon, les autres sont des amateurs. Après, forcément, on en demande beaucoup aux étrangers. Si on perd un match, ça nous retombe dessus. Même si avec seulement trois joueurs, tu peux pas forcément gagner un match.
Les Maltais en profitent pas pour vous charger la mule ?
Ah bah si, les sources de conflit en interne proviennent en général de ça. On nous dit de prendre plus de responsabilités, que ça n’est pas aux jeunes maltais de faire la différence, mais à nous. Après, je comprends. Et puis si tu n’arrives pas à supporter la pression du football maltais, ça sert à rien d’essayer de percer dans le monde pro. En revanche, ce qui n’est pas normal, c’est de ne pas être payé le premier du mois. Si on perd deux matchs de suite, c’est sûr que le mois qui suit, on reçoit notre paie le 10, le 15 du mois. Si t’as des bons résultats, t’es payé à l’heure. Ils pensent que s’ils ne te paient pas, tu vas te donner encore plus alors que, quelque part, c’est plutôt l’inverse qui fonctionne.
L’engouement pour le foot est fort, à Malte ?
Tous les Maltais aiment le football. Dès qu’il y a un match de Manchester, ils sont tous devant leurs télés, garçons ou filles, jeunes ou vieux. Ils sont divisés entre l’équipe d’Angleterre et l’équipe d’Italie, aussi. Leur football local, bon… Ils supportent leur ville, OK. Un derby Hibernians-Sliema, tu peux avoir 5000 spectateurs. La dernière finale du championnat, c’était 10 000. Mais en deuxième division, les gros matchs, c’est 500 personnes.
D’ailleurs, c’est quoi ce problème de stade à Malte ?
À Malte, tu joues jamais à domicile ou à l’extérieur. Faut le comprendre. On a un stade pour s’entraîner, mais tous les matchs se jouent sur trois terrains dans le pays uniquement. T’as le stade de Ta’ Qali, celui de Ħamrun et celui de Paceville. Les matchs s’enchaînent dans les trois stades et se sont des après-midi entières de football. Le fait de me dire que je joue à domicile, ça me manque. Ici, tu joues « à Malte » , quoi. Et quand les matchs s’enchaînent, ils regardent quels supporters s’entendent bien et ils les mettent ensemble dans la même tribune. Si t’es supporter de Valletta, tu peux pas aller dans la même tribune que ceux de Hibernians, même s’il s’agit pas du même match. Mais c’est bien : si chaque club jouait dans son propre stade, les tribunes seraient vides. Là, ça remplit un peu.
Tu croises beaucoup de Français sur place ?
Il y a une grosse communauté française qui bosse notamment pour les sites de paris en ligne. Mais pas de Français dans le foot, non. Il y a des francophones : des Camerounais, des Ivoiriens, etc. D’ailleurs, j’ai été impressionné par le nombre d’étrangers qui viennent en test ici. Tous les jours, t’en as deux ou trois, qui viennent de partout. De Serie D, de CFA2, de Serbie. Parce que tout le monde a des agents ici et les clubs paient ces agents pour garnir leurs effectifs. Si j’ai pas été pris à Naxxar, c’est parce que le club paie un agent brésilien pour faire venir des Brésiliens. Moi, j’étais sans agent.
Tu ambitionnes toujours de percer dans le foot ?
Oui, bien sûr. Bon, quand je vois un mec comme Pogba et que je me dis qu’il a mon âge… Une des raisons pour lesquelles je suis venu, c’était parce que je pouvais m’entraîner correctement et rester au top physiquement. Je me donne jusqu’à vingt-cinq ans pour pouvoir vivre du football. Avec Di Stefano, en terminale, on avait un pacte : vivre du football. Ici, je suis professionnel. Je dirais pas forcément que j’ai réussi, mais techniquement, je vis du football.
Du coup, va falloir bouger rapidement de Malte.
Ouais, il faut rester un ou deux ans. Plus longtemps, tu prends le rythme maltais. Les matchs à deux à l’heure, sur synthétique, les ballons pas gonflés, les mauvais arbitres. Un ensemble de petits trucs qui t’éloignent du foot professionnel. Après, c’est compréhensible : les joueurs maltais gagnent pas leur vie grâce au foot, ils sont semi-pro. S’ils ont un rendez-vous à 18h, ils appellent le coach pour dire qu’ils viennent pas. Nous, les étrangers, on a pas le droit de rater un entraînement. Les Maltais, ils ont un ou deux jokers par semaine, même si certains sont plus assidus que d’autres. Nous, on a de la chance, on a deux anciens internationaux : Stephen Wellman et Stefan Giglio.
Giglio est joueur-entraîneur ?
Ouais. C’est spécial, mais je préfère. Au moins, l’entraîneur-joueur est sur le terrain. Avant, le coach disait : « Faites une opposition ! » et téléphonait en même temps. Des fois, t’es sur le terrain en train de t’entraîner et t’as les membres du comité qui arrivent et te disent « Ouais, au fait, pour la paye… » Alors que t’es en train de jouer. Quand ils ont voulu me faire signer, j’étais en plein match amical : « Joris, viens voir ! » Et pendant les matchs officiels, t’as tous les membres du comité qui sont sur le banc.
Tu peux nous expliquer ce qu’est le « comité » dans le football maltais ?
Ici, chaque club a un nombre de personnes défini qui s’occupent de le faire tourner. Chez nous, ils sont une dizaine. Ils ont tous des titres honorifiques, le club c’est leur passion, mais ils décident des montants des contrats, de la date de paiement, de quel joueur joue ou non. C’est eux qui ont le pouvoir. Par exemple, le coach choisit son équipe, mais le comité peut demander à la changer. Et s’ils ne sont pas contents de ton rendement, ils font traîner la paye. Pour moi, vu de l’extérieur, c’est un peu une mafia. Ils parlent toujours en maltais, ils font du business. On n’est pas des esclaves, mais bon, par exemple, ils savent que le joueur a un délai de deux mois pour pouvoir déposer une plainte et récupérer son argent à la Maltese Football Association si le club ne paie pas. Donc ils te paient au bout d’un mois et demi. Moi, ils m’ont pas payé décembre et ils ont attendu le dernier jour de janvier pour tout me filer.
Et le système de « clearance » , c’est quoi ?
À partir de douze ans, chaque joueur maltais appartient à un club et chaque année, la valeur de la clearance augmente. Et si un club, même amateur, veut le recruter, il faut payer la clearance qui correspond au temps que le joueur est resté au club. Par exemple, il y a un attaquant des U21 de Zurrieq qui aurait largement le niveau pour jouer en First Division. Sauf qu’il est barré par les étrangers et que personne ne peut payer sa clearance. Du coup, il est obligé d’arrêter le foot deux ans – délai minimum pour annuler la clearance – pour signer autre part gratuitement. Ou alors il faut que tu paies toi-même tes 12 000€ de clearance à un club de quatrième division maltaise.
Autre spécialité : le fonctionnement du championnat.
Il y a douze équipes dans le championnat. Elles s’affrontent deux fois chacune et à la fin de la saison, les six premiers jouent la Championship pool et les six derniers jouent la Relegation pool. Mais ils divisent les points. Donc si t’avais dix points d’avance, t’en a plus que cinq. Pour donner un peu de piment. Donc le premier à dix points d’avance peut très bien perdre le titre. Le truc, c’est qu’à Malte, il y a des clubs qui font tout pour être dans les six premiers et après, ils ne paient plus leurs étrangers parce qu’ils sont sûrs de se maintenir et de ne pas gagner le titre. Et puis bon, dans le ventre mou, ils s’arrangent. Pourquoi t’irais te battre en sachant que ça sert à rien ? J’en sais rien parce que je suis étranger et que je n’ai pas de preuve, mais on me dit souvent qu’il y a encore beaucoup de matchs arrangés dans le championnat maltais. Le football maltais est un peu pourri par la corruption. Certains dirigeants m’ont dit que j’aurais mieux fait de venir plus tard dans ma carrière, de rester dans un bon championnat compétitif, parce que la corruption était présente. C’est spécial, le foot à Malte. Enfin, on a l’impression que je critique, mais attention, je ne regrette pas du tout d’être venu ici.
Oui parce que bon, ça reste Malte.
Ouais, on est en février, je suis en T-shirt et j’ai pas froid. Les Maltais sont super sympa, très accueillants, ils aiment faire la fête. Au bout d’une semaine à Zurrieq, un supporter me dit : « Viens à mon mariage ! » et hop, je me suis retrouvé dans un mariage avec vodka à foison et musique commerciale en fond. Sinon, les filles sont magnifiques. Enfin, les étrangères parce que les Maltaises, elles confondent peinture et maquillage.
T’es là en semi-vacances, en fait ?
Je sais que je suis un privilégié. Je suis payé pour venir ici et pour être en vacances. Après, je suis là pour être performant et pour réussir dans le football. Mais comme on dit, la misère est moins pénible au soleil ! (rires)
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