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Jorginho, record et débats
Troisième de Premier League avant de recevoir Liverpool samedi, le Chelsea de Sarri avance sûrement, mais a retrouvé dimanche dernier, à West Ham, sa marge de manœuvre : faire cohabiter pour le meilleur N'Golo Kanté et Jorginho. Possible ? Pas forcément.
Un retour à l’essence du foot, au milieu d’une relative implosion collective : il est un peu moins de 21h, à Liverpool, c’est un mercredi soir de coupe, et il faut voir Maurizio Sarri s’agiter le long de la ligne de touche comme un homme en plein combat cérébral face à un Rubik’s Cube. Un coup à gauche, un coup à droite, un autre vers le haut, le même constat. Il y a moins de quarante-huit heures, à Anfield, Chelsea n’aurait jamais dû sortir la tête de l’eau. Tout y était : le déséquilibre, les errements défensifs, l’apathie offensive. Puis, parce qu’il est avant tout question de ça, la maladresse de l’adversaire. Enfoncé sur le banc, à quelques mètres de son entraîneur, Eden Hazard échange avec N’Golo Kanté. « Il m’a dit qu’il ne voulait pas de tirs au but, expliquera après la rencontre l’ampoule belge. Donc la seule solution, c’était de marquer. »
Façon de dire que, ce soir-là, les Blues ne pouvaient s’en sortir autrement. Alors, à cinq minutes de la fin et alors que Chelsea avait réussi miraculeusement à égaliser grâce à Emerson, Hazard a transformé le plateau de jeu en cours d’école, glissant entre les plots, sourire aux lèvres, avant d’aller finir son action entre ce qu’on aurait aimé être deux manteaux posés là pour faire un but à Simon Mignolet. Ce n’était que de la Carabao Cup, Jürgen Klopp et Maurizio Sarri avaient effectué de nombreux changements, mais une idée précise de ce néo-Chelsea persiste malgré tout : que faire lorsque les individualités ne brillent qu’à moitié ? Un casse-tête classique de l’entraîneur de foot.
Cheville indispensable et inestimable
Et l’enjeu premier de « la prochaine étape » de Sarri : samedi, Chelsea retrouve Liverpool, cette fois au Bridge et avec mille yeux braqués sur la rencontre. On parle ici d’un sommet, d’un vrai, d’un moment où l’on va pleinement mesurer ce qui sépare aujourd’hui les Blues des Reds. Le coach italien a déjà son idée sur la chose : « Peut-être que nous serons au même niveau que Liverpool dans un an. Pour l’instant, il reste encore du travail et nous avons besoin de nous jauger, en championnat, face à une équipe qui travaille avec le même entraîneur depuis trois-quatre ans. Nous, on a commencé à travailler ensemble il y a quarante jours, moins dix avec la trêve internationale… Pour le moment, on doit encore apprendre, enchaîner plus rapidement dans la construction, proposer plus de mouvements sans ballon, progresser défensivement… » S’il est encore tôt pour porter un jugement définitif sur ce Chelsea nouvelle version, une conclusion peut déjà être tirée : le camion bleu avance et assez vite, lui qui n’a plus été renversé toutes compétitions confondues depuis sa première sortie sur route commune, début août, lors d’un Community Shield perdu face à Manchester City (0-2) à une heure où l’effectif était encore loin d’être complet.
L’enjeu est alors dans le détail et dans tout ce qui rend perfectible une machine en cours de construction. Retour à la dernière journée de Premier League et au premier accroc comptable des Blues, sur la pelouse de West Ham (0-0). Sur l’aspect numérique, Sarri ne s’est jamais planqué : sur la route, il y aura des glissades, des jours sans, et tout cela fait partie de la naissance d’un style, pas d’une nouvelle équipe, l’Italien n’ayant apporté que des retouches minimes (Jorginho, Kepa) sur la forme. Le fond est une autre histoire, et ce match face aux Hammers aura une nouvelle fois mis en lumière le cœur des embrouilles tactiques de Sarri à Chelsea autour de la personne de Jorginho, cheville de l’approche du coach italien, mais aussi de certaines de ses failles en Angleterre. Pourquoi ? Au départ, il y a un record : contre West Ham, l’international italien (dix sélections) a empilé 180 passes, quasiment du jamais-vu en Premier League au cours des années 2000 (une première depuis la saison 2003-2004). Dans la foulée de la rencontre, plusieurs voix (Neville, Souness) se sont élevées pour évoquer un total honorable, mais à mettre en perspective avec le nombre de passes latérales et vers l’arrière du chef-d’orchestre. Ce qu’il faut comprendre est que, dans ce Chelsea, ce que fait Jorginho est pourtant unique, inestimable par les chiffres, et qu’il est le seul à pouvoir le faire.
La recherche du Hamšík
C’est aussi le problème, à l’heure qu’il est : le côté indispensable de Jorginho, qui a disputé toutes les minutes de Premier League depuis le début de saison, dans le développement stylistique de Sarri a forcé le technicien italien à faire évoluer le rôle de N’Golo Kanté, dont les qualités défensives ne sont plus discutables, mais dont l’impact offensif pose question, ce qui a été le cas face au bloc compact proposé par West Ham le week-end dernier. Jorginho et Kanté peuvent-ils être alignés ensemble pour que Chelsea avance correctement ? C’est la question du moment dans un tout qui, lorsque Hazard n’est pas dans un bon jour – comme contre les Hammers –, peine à faire la différence. Depuis le début de saison, Maurizio Sarri touche ce qu’il souhaite : 65,6% de possession de balle en moyenne, 88,8% de passes réussies, soit des statistiques proches de celles du City de Guardiola, mais son Chelsea ne possède pas un Hamšík, carte complète indispensable de son Naples de l’époque et homme statistiquement décisif.
Kanté, lui, ne marque en général qu’une fois par saison, Mateo Kovačić aussi, et c’est ce qui pourrait manquer dans les prochaines semaines. C’est un équilibre à trouver, un bon boulon à déterminer, Maurizio Sarri n’étant pas partant pour modifier son système favori (4-3-3), ce qui l’empêcherait également de tirer le meilleur de Kovačić. Mercredi, Barkley et Fàbregas n’ont pas totalement convaincu, et ce sujet est un point sur lequel Sarri insiste depuis le début de saison. N’Golo Kanté peut une nouvelle fois se transformer, mais il faudra du temps. Chelsea semble, pour une fois, en laisser à son entraîneur, et ce rendez-vous face à Liverpool peut permettre de mesurer pour de bon ses quelques limites d’évolution. Car Eden Hazard ne pourra pas toujours enlever les épines en solitaire.
En 2025, votez Ibrahima Konaté !Par Maxime Brigand