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Jorge Castillo : le vrai « loco », c’était lui
Marcelo Bielsa, Sebastian Abreu, René Higuita ou Martin Palermo ont un point commun. Ce sont tous des "locos". Un surnom dont l’Amérique du Sud raffole pour désigner, parfois abusivement, ceux qui ont un brin de folie. Loco, le Chilien Jorge Castillo lui, l’était vraiment. Fou de l’Everton de Vina Del Mar, le club de sa ville natale et fou au sens propre. Bipolaire en réalité selon les institutions psychiatriques par lesquelles il est passé. Retour sur une destinée folle qui s’est achevée le mois passé.
Toute sa vie, Jorge Castillo n’a eu qu’un seul rêve, une ambition folle. Celle de faire d’Everton de Vina del Mar, fondé en 1909 par des marins anglais, le plus grand club d’Amérique du Sud. Seulement voilà, quand on naît dans la poblacion Gómez Carreno, l’un des quartiers les plus modestes de la station balnéaire chilienne, on n’a pas forcément les moyens de ses ambitions. Alors son rêve, Castillo tente d’abord de l’assouvir sur le terrain. Mais pas assez doué, il ne parvient jamais à jouer pour son club de cœur. À regrets, il s’engage pour la municipalité, en tant que technicien de surface, pendant la dictature de Pinochet. Mais en 1983, alors qu’il a 28 ans, la roue finit par tourner. Castillo gagne 8 000 000 de pesos au Polla Gol, l’équivalent chilien du Loto Foot. Si la somme représente 10 000 euros aujourd’hui, c’est une petite fortune dans le Chili du début des années 1980. Avec cet argent, l’homme investit. Il devient propriétaire d’une station service, crée son entreprise de nettoyage, s’improvise patron d’une compagnie d’autobus, et investit même dans un motel, ces hôtels un peu spéciaux très appréciés des couples illégitimes pour des cinq à sept crapuleux. Au mitan des années 1990, Castillo est devenu ce que l’on appelle un entrepreneur à succès. Chaque week-end, le self-made man se rend au Stade Sausalito pour supporter Everton. Et justement, en 1995 les Ruleteros ne vont pas fort. Le club vient de descendre en D2. Il est lourdement endetté. C’est la chance de Jorge, qui rachète Everton et éponge ses dettes.
Peinture sur chat et Michael Jordan
Il n’y a pas de meilleur mot qu’éphémère pour décrire la présidence de Castillo. Elle dure 35 jours à peine. 35 jours de folie pure. À peine arrivé, il affiche des ambitions abracadabrantesques pour Everton. Aux journalistes présents lors de sa première conférence de presse, il annonce sa volonté de révolutionner le football chilien, et de remporter la Copa Libertadores dans les deux ans ! Dont acte. Il achète les meilleurs joueurs chiliens de l’époque. Jaime Pizarro et Daniel Moron, tous deux vainqueurs de la Copa Libertadores en 91 avec Colo-Colo, l’Argentin De Luca, sacré meilleur buteur du championnat quelques années plus tôt, ainsi que l’international uruguayen Marcelo Fracchia débarquent dans la Ciudad Jardin. Quand il n’accueille pas les recrues, Castillo dédie son temps à une activité chronophage, celle de repeindre les murs de la ville aux couleurs – jaune et bleu – d’Everton. Avec les employés de son entreprise et les supporters du club, il se lance dans une grande entreprise de guerilla marketing. Les arrêts de bus, les trottoirs, l’éclairage public, les voitures. Tout y passe et devient Oro y cielo. La légende, racontée par le media chilien The Clinic, veut même qu’au siège du club, un chat errant de couleur blanche ait aussi le droit au ravalement de façade (à la peinture à l’eau). L’ambition de Castillo ne s’arrête pas au football, l’homme veut faire d’Everton un club qui excelle dans toutes les disciplines sportives. Lors d’une discussion, il confie à Marcelo Fracchia, fan de NBA, sa volonté de créer une grande équipe de basket. Celui-ci en plaisantant lui conseille alors de recruter Michael Jordan. Très sérieux, Castillo revient quelques minutes plus tard avec un téléphone et rétorque : « tu pourrais appeler ce Mr Jordan ? On n’a rien à perdre à essayer ! »
La tentation Valderrama
Pour la présentation de sa nouvelle équipe, Castillo voit les choses en immense. Il assure lors d’une conférence de presse que Vélez Sársfield, tout juste vainqueur de la Copa Libertadores, viendrait à Vina disputer un match amical au cours du quel Carlos Valderrama jouerait pour Everton. Il sous-entend même que le Colombien à bouclettes pourrait rester à Vina pour la saison. Le pays entier ne parle que du club et de son président et attend le 23 janvier, le jour du match. Qui n’aura jamais lieu. Car ce soir-là, comme prévu depuis longtemps par la municipalité, c’est Page and Plant, les anciens de Led Zeppelin, qui enflamment les 20 000 spectateurs du Sausalito. C’est le début de la fin pour Castillo. Le premier jour de l’entraînement, les joueurs ont une drôle de surprise. Ils n’ont aucun matériel à disposition, le préparateur physique doit filer en urgence acheter des chasubles dans un centre commercial. Quelques jours plus tard, c’est à la radio que l’entraîneur Leonardo Veliz apprend son licenciement. Il appelle alors son président. Celui-ci lui assure : « Je n’ai jamais donné aucune interview, c’est un acteur de la région qui joue à m’imiter, soyez tranquille » . À l’époque, seule la famille de Castillo sait qu’il ne va « pas bien » . Son fils s’est rendu compte que quelque chose ne tournait pas rond quand Jorge, qui assure être ami du président de la République, a tenté de recruter l’ancien international Patricio Yanez. Or celui-ci a mis un terme à sa carrière et exerce comme commentateur.
Hôpital, fugues et vie vagabonde
Après 35 jours de folie furieuse, Castillo est démis de ses fonctions et placé dans une clinique psychiatrique par sa famille. On lui diagnostique un trouble bipolaire sévère. Son successeur affirme qu’il a laissé au club plus de 500 000 euros de dettes (ce que sa famille conteste). Dès lors, on n’entend plus parler de Castillo, devenu « el Loco » pour les supporters d’Everton. Selon les rumeurs, il serait devenu SDF. Il alterne les séjours à l’hôpital, les fugues et la vie vagabonde. Avant de faire reparler de lui, le 17 mars 2018. Ce jour-là, Castillo revient sur le devant de la scène au stade Sausalito, où il n’a jamais cessé d’aller. Everton affronte la U de Chile. Les Ruleteros tiennent le match nul jusqu’à la dernière minute, quand le club universitaire s’offre la victoire. Alors Castillo escalade la grille qui sépare les tribunes du terrain et va s’en prendre violemment à l’arbitre, ce qui lui vaut une interdiction de stade. Le coup de trop pour le Loco. Le 11 juillet dernier, Jorge Castillo a mis fin à ses jours dans la rue. Lors de son enterrement, aucune délégation officielle du club n’est venue. Mais ses anciens employés et des centaines d’ultras d’Everton, gueules peintes en jaune et bleu, ont porté son cercueil et chanté à sa gloire aux alentours du stade.
Par Arthur Jeanne