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Jordon Ibernatus
Dans la grande famille des petits prodiges anglais hyper précoces qui sont à la peine, Jordon Ibe est en train de se faire une jolie place. Espoir de Liverpool envoyé à Bournemouth pour s'y tanner le cuir, Ibe perd pied et glisse sur le banc des Cherries de plus en plus régulièrement.
Il est entré sur la pelouse de Stamford Bridge à la 78e minute sans que personne ne fasse attention à lui, presque anonymement, alors que le Chelsea-Bournemouth était déjà plié depuis un bout de temps. Pour ne rien faire, à part regarder ses Cherries continuer de prendre le bouillon et encaisser un troisième but dans les arrêts de jeu. Une entrée en jeu pour pas grand-chose, qui aura au moins permis de constater que Jordon Ibe n’est plus titulaire à Bournemouth. Et pour un joueur arrivé cet été avec le statut de recrue la plus chère de l’histoire du club à seulement vingt ans, ça la fout mal. Le jeune Anglais a pourtant eu sa chance, et a démarré dans le onze sans discontinuer jusqu’à début novembre. Mais déjà, les signes qui montraient la fragilité de sa situation étaient là. Titulaire en début de saison, Ibe l’était, assurément. Mais il n’a jamais joué un match complet, et Eddie Howe ne le laissait presque jamais plus de 70 minutes sur le terrain, se permettant même de le changer à la mi-temps quand l’envie lui prenait. À quel moment celui que Steve McLaren disait « injouable » , que Brendan Rodgers considérait comme un « top class » , et que Eddie Howe décrivait comme « futur international » a-t-il vrillé pour devenir remplaçant dans une équipe du ventre mou de Premier League ? Le pire, c’est que si Jordon Ibe est devenu un joueur de seconde zone, il n’est pas pour autant devenu un joueur quelconque. Et derrière les promesses qu’il n’a pour l’instant pas tenues, son incroyable potentiel reste évident.
Jeunesse rouge
C’est bien connu, un élève premier de la classe avec 18 de moyenne au collège et au lycée prend souvent un grand uppercut quand il arrive en prépa, où la concurrence devient féroce, et où il perd violemment son statut de petit génie qui sait tout. Le football étant aussi cruel que l’enseignement supérieur, voire plus, les très jeunes joueurs hyper prometteurs et pétés de talent connaissent régulièrement une phase de stagnation quand ils découvrent le très haut niveau. Et ceux qui deviendront de vrais bons footballeurs sont ceux qui surmonteront cette épreuve en continuant à progresser pour s’imposer dans un grand club. Pour l’instant, Jordon Ibe – plus jeune buteur de l’histoire de la troisième division anglaise, à quinze ans et dix mois en 2011 – en est encore à un stade où on dit de lui qu’il faut lui laisser du temps. Qu’il est très jeune. Qu’il a besoin de jouer, de jouer et encore de jouer pour trouver son rythme et ses automatismes. Pourquoi pas, mais le joueur a soufflé ses 21 bougies le 8 décembre dernier et a plus l’air sur la pente descendante que sur la route du succès. Le haut du panier avait vu venir le lascar de loin, et Ibe avait signé à Liverpool dès 2012, avant d’être catapulté en Premier League en 2013, à même pas dix-huit ans. Ailier technique et virevoltant, il avait pris de l’ampleur peu à peu chez les Reds et reste sur une saison 2015-2016 à 41 matchs joués, dont 27 en championnat. Mais le bonhomme a besoin de jouer pour de vrai, d’une place de titulaire, et les prêts qu’il a connus à Birmingham ou Derby County n’étaient que des amuse-gueules. Alors à l’été 2016, c’est le grand départ vers Bournemouth, pour presque 20 millions d’euros.
Sterling 2.0
Pas fou, Jürgen Klopp ne prend pas de risque et glisse dans le contrat une clause permettant à Liverpool d’être prioritaire sur son rachat. Un an après le transfert de Raheem Sterling, Jamie Redknapp – légende des Reds qui a démarré sa carrière à Bournemouth – commentait l’arrivée de Ibe chez les Cherries : « Tout ce que Sterling fait avec difficulté, Ibe le fait tranquillement. » Six mois plus tard, Ibe n’a pas marqué un seul but, ni délivré la moindre passe décisive pour Bournemouth. Côté statistique, il s’est imposé comme l’un des dribbleurs les plus frénétiques du pays, mais aussi comme l’un des plus inefficaces puisqu’il remporte à peine 60% de ses duels. Capable de ruiner des actions en un choix débile ou à cause du dribble de trop, il a déjà été classé comme joueur peu fiable par son coach qui dit de lui : « Jordon a du mal a être consistant. Il a eu de superbes moments et joue bien pendant 10-15 ou 30 minutes, sans le faire sur une période plus régulière. C’est pour ça que je le remplace. » Peu en réussite sur le terrain et poissard en dehors, Ibe a eu la mauvaise idée de se faire braquer dans sa voiture alors qu’il rentrait de l’entraînement il y a un mois, et a dit au revoir à sa montre à 30 000 euros. Pas génial quand on est dans une phase compliquée. Pour l’instant, l’émotion de sa saison, il l’a justement vécue contre Liverpool, lors d’un des matchs les plus dingues de l’année remporté 4-3 par Bournemouth, après lequel Klopp était venu lui faire un gros câlin. Couvé par Jürgen, il l’est aussi par Eddie Howe qui déclarait avant ce même match : « Nous avons tendance à oublier à quel point il est jeune. » La dernière excuse qui lui reste, et à laquelle il ne pourra bientôt plus se raccrocher.
Par Alexandre Doskov