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Jordi Alba, gauche caviar
La dernière fois qu’un joueur a signé au Barça en provenance de Valence, l’Espagne a été sacrée championne du monde pour la première fois de son histoire. Cette fois-ci, Jordi Alba devrait emprunter le même chemin que David Villa et jouer un rôle plus important qu’il n’y paraît avec la Roja. Focus sur le latéral gauche malgré lui de la Roja.
Longtemps, l’Espagne a parlé de « malédiction » à l’évocation du poste d’arrière gauche. Véritable casse-tête pour les différents sélectionneurs qui ont traîné leur jogging sur le banc de la Roja, le latéral gauche est une denrée rare, pour ne pas dire en voie d’extinction, au pays des champions du monde. Luis Aragonés, qui avait dû naturaliser l’Argentin Pernia, avant de reconvertir Capdevila en défenseur, a une petite explication sur cette singulière pénurie : « En Espagne, aucun enfant ne rêve de devenir latéral et encore moins les gauchers. » Conséquence : l’Espagne s’est souvent trimbalée des gauchers vraiment contrariés de leur sort et pointés du doigt comme les véritables maillons faibles de l’équipe. Ni exceptionnel, ni dégueu, Capdevila a limité la casse comme il a pu, ces dernières années, mais sa décision de rejoindre Benfica lui aura été fatale. Placardisé au Portugal et à cours de forme, le champion du monde a laissé un vide que Jordi Alba s’est empressé de combler. En mettant tout le monde d’accord.
Trop petit ?
Avant d’être l’objet du désir des plus grands clubs européens, le Catalan a longtemps galéré. Le gamin de Florida, quartier de L’Hospitalet où il est né, est doué, mais sa petite taille représente un handicap important qui fait même peur à son premier club formateur, le Barça. Les Blaugranas, qui ne sont pas du genre à s’attarder sur les centimètres, du moment qu’il y a de la qualité, vont pourtant décider de lui fermer les portes de la Masia. Albert Benaiges, responsable du centre de formation culé à l’époque, ne digère toujours pas d’avoir laissé filer le lilliputien : « Son problème, c’est que Dame Nature a tardé à le faire passer d’enfant à adulte. La première fois que je l’ai vu jouer, j’ai demandé à sa mère de me dire la vérité sur son âge. Il avait un vrai problème de croissance. D’ailleurs, il était tellement petit qu’on hésitait à le faire jouer avec les autres, de peur qu’il se fasse mal. Avec Pep Guardiola, nous avions également eu ce problème, mais nous avions finalement décidé de le conserver. Nous n’avons pas su en faire de même avec Jordi, malheureusement… »
Ce que Benaiges semble oublier, c’est que le Barça a été plutôt patient avec le jeune Alba. La preuve, il est encore aujourd’hui le seul joueur de l’histoire du club à avoir passé deux ans dans l’équipe des cadets B, considérée chez les Catalans comme un péage écrémant les futures stars des espoirs sans lendemain. Jordi faisait partie de la première catégorie, mais avait un sérieux problème de calcium. Résultat, en 2005, les portes de la Masia se ferment définitivement derrière lui. Pour rebondir, l’adolescent atterrit à Cornellà, un club satellite de l’Espanyol Barcelone, où il régale la chique. Un an plus tard, l’ailier est acheté par le FC Valence pour la bagatelle de 6000 euros. Autrement dit, une bouchée de pain : « Je ne voulais pas d’argent, mais qu’il signe dans un club où il puisse s’épanouir vraiment » , précise José Galvez, président du club catalan qui songe sérieusement à rebaptiser son stade « San Jordi Alba » . Cornellà peut dire merci à Alba. Grâce à sa progression fulgurante, le club a déjà empoché 170 000 euros sous forme de primes sur objectif actées, à l’époque, avec les scouts valencians.
« La Flecha »
À Valence, Alba devient rapidement une pépite de la Cantera locale. Il faut dire que le milieu de terrain a des qualités pour réussir dans un club qui a vu briller Vicente ou Silva. Vif, tonique, technique et supersonique, Alba est appelé à devenir le futur boy next door de Mestalla. Seul bémol, il y a embouteillage dans le milieu de terrain Che. Le club décide alors de l’envoyer au Gimnàstic Tarragone pour qu’il s’aguerrisse et canalise sa fougue (Silva avait emprunté le même parcours en passant, un temps, par la deuxième division espagnole). L’essai est concluant et il finit même par intégrer la sélection espagnole des moins de 21 ans en fin de saison. Comme prévu, Valence le rapatrie avec l’idée d’en faire le successeur de Vicente, idole locale en perdition. Problème : barré par Mata et surtout Silva, Alba dispute seulement des bouts de matchs. En 2010, Mathieu, Bruno et Alexis se blessent en même temps. L’entraîneur Unai Emery n’a plus de titulaire ni d’alternative en défense et décide alors de reconvertir Alba en latéral, le temps que l’infirmerie se vide.
Le fait de reculer d’un cran sur le terrain fait avancer la carrière d’Alba. Convaincu par ses qualités de contre-attaquant, son abattage et sa faculté à multiplier les sprints, Del Bosque le convoque pour la première fois avec la Roja en octobre 2011, à l’occasion d’un match contre l’Écosse comptant pour les qualifications de l’Euro. Quatre matchs plus tard, Jordi Alba est déjà le nouveau latéral gauche indiscutable de la Roja. « La flecha » devrait normalement suivre les pas de Piqué et Fàbregas. Le Barça s’apprête, en effet, à régler 15 millions d’euros à Valence pour qu’il prenne la relève d’Abidal dans son couloir. Il aura alors pour mission de dynamiser un coté gauche bien sage en comparaison de celui de Daniel Alves. En attendant de fouler le Camp Nou, Del Bosque attend de lui qu’il ouvre de nouvelles perspectives en attaque à une équipe qui s’amuse à jouer sans avant-centre de métier. Avec, donc, un vrai… faux latéral.
Par Javier Prieto-Santos