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Jonny Owen : « On ne pouvait pas rêver mieux que de venir en France »

Par Florian Lefèvre
10 minutes
Jonny Owen : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>On ne pouvait pas rêver mieux que de venir en France<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Don’t take me home, un air qui résonne encore et encore neuf mois après l’Euro. C’est aussi le titre du documentaire consacré à l’épopée du pays de Galles, l’été dernier. Entretien avec son réalisateur Jonny Owen, gallois forcément, déjà plébiscité pour I Believe in Miracles, un autre doc qui retrace la grande époque du Nottingham Forest de Brian Clough.

Jonny, quel est votre rapport au football ?Je suis originaire de Merthyr Tydfil, une ville du sud du pays de Galles, qui a toujours été une terre de football. Mon père et mon grand-père allaient au match le samedi. Dès mon plus jeune âge, on m’a mis dans le bain. J’ai grandi en jouant et en regardant du football, ça représentait tout pour moi et mes amis. J’allais voir Merthyr et Cardiff City, qui est resté mon équipe de cœur. Quand on s’est qualifié pour l’Euro 2016, c’était un sentiment magique. Ça n’était plus arrivé depuis près de soixante ans. Il faut dire que j’ai toujours ressenti une forme de jalousie devant l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande, qui participaient à la fête chaque été. Donc, le jour où on s’est enfin qualifié, ça a été un sentiment incroyable, de soulagement et d’excitation. On était aussi tous très heureux que l’Euro se déroule en France. Tout le monde vous le dira ici : la France est un pays formidable pour accueillir les grandes compétitions – que ce soient les villes, les transports, les stades, les gens, la culture, la nourriture… On ne pouvait pas rêver mieux que de venir en France.

Qu’est-ce que vous attendiez de cet Euro en débarquant en France ?Tout ce qu’on espérait, c’était que le pays de Galles marque un but ou remporte un match. Mais en voyant l’équipe si enthousiaste, on a eu envie de faire durer le plaisir. On ne voulait tout simplement pas rentrer à la maison, d’où la chanson Don’t take me home. On a été spectateurs de la joie des autres pendant si longtemps qu’on s’est dit : « OK, maintenant, on y est, alors on va vraiment apprécier au maximum. » Et c’est ce qu’on a fait.

En parlant du chant Don’t take me home, qui est donc le titre de votre documentaire consacré au parcours du pays de Galles à l’Euro, d’où vient cette chanson à la base ? Je crois que ce sont les fans de Newcastle United qui l’ont popularisée. De nombreux supporters gallois l’ont ensuite reprise lors des déplacements en Europe. C’est presque devenu un nouvel hymne partout où l’on se déplaçait. Quand on est parti à Lyon pour assister à la demi-finale, on est arrivé à l’hôtel à une heure du matin, et le réceptionniste était encore là. Il veillait parce qu’il voulait absolument rencontrer des fans du pays de Galles. Il est venu nous voir : « Je vous attends depuis deux heures, j’adore les Gallois, est-ce que vous pouvez me chanter votre chanson ? » Et on a chanté pour lui. Moi, ce qui me plaît dans ce chant, c’est que ce n’est pas agressif ou menaçant, c’est juste une manière de dire : j’adore où je suis et j’ai envie de rester là.


Vous l’avez dit tout à l’heure, le pays de Galles a manqué le coche sur près de soixante ans depuis le Mondial 1958. Cette fois, qu’est-ce qui a fait la différence lors des qualifications pour l’Euro 2016 ?Les joueurs ! On a toujours eu quelques joueurs de classe mondiale : John Toshack, Ian Rush, Mark Hughes, Ryan Giggs… Mais cette fois, on était outillé de bons joueurs dans toutes les lignes : Ashley Williams en défense, Joe Allen, Aaron Ramsey au milieu, Gareth Bale en attaque… Mais il faut aussi souligner qu’il était très difficile de se qualifier pour un championnat d’Europe par le passé (quatre équipes de 1960 à 1976, huit équipes de 1980 à 1992, seize équipes de 1996 à 2012, vingt-quatre depuis 2016, ndlr). Cette fois, l’Islande s’est qualifiée, l’Irlande du Nord, le pays de Galles… Il se trouve que de nombreux pays, à commencer par l’Angleterre, prenaient ces équipes de haut : « Oh, on n’est pas sûr que ce soit une bonne idée d’élargir le tournoi… » Alors, se hisser en demi-finale, pour nous, c’était une grande victoire, parce que le sport doit garder en tête que l’underdog peut aussi créer la surprise.

Est-ce que la sélection qui a atteint les quarts de finale du Mondial 1958 a laissé un certain héritage au pays de Galles ? Oui. Cette équipe emmenée par John Charles est presque considérée comme la meilleure de toute l’histoire du pays de Galles. Forcément, j’ai grandi en entendant parler de cette équipe. Il y a une citation célèbre de Pelé, qui a dit après la compétition que le Brésil avait disputé son match le plus difficile face aux Gallois (1-0, ndlr). Et pourtant, John Charles s’était blessé avant le match face au Brésil. On se demande encore ce qu’il se serait passé si John Charles avait joué ce jour-là…

Le pays de Galles a toujours été dans l’ombre du voisin anglais. Vous avez d’ailleurs évoqué « une forme de jalousie » . Qu’est-ce que vous avez ressenti le jour de Pays de Galles – Angleterre, le deuxième match de poule, à Lens ? Un match énorme. On en parlait depuis des mois. En fait, dès le tirage au sort, tous les médias britanniques en ont parlé. Personnellement, j’étais tellement nerveux que je n’ai pas du tout apprécié la rencontre. Il y a toujours eu cette rivalité entre le pays de Galles et l’Angleterre. La dernière fois qu’on les a battus, j’étais encore gamin (1-0, le 2 mai 1984 lors des British Championships, ndlr). Il y a trois millions d’habitants au pays de Galles contre cinquante millions en Angleterre, mais on réussit quand même à rivaliser. Quand Bale a marqué (1-0, juste avant la mi-temps, ndlr), c’était presque pire, parce qu’il fallait s’attendre à subir. Ensuite, on a vu comme une série de vagues qui défilaient encore et encore. Perdre finalement à la 94e minute, c’était affreux.

Vidéo

Lors du troisième match de poule, l’Angleterre avait besoin d’un nul contre la Slovaquie et nous, nous devions battre la Russie. Et on les a battus 3-0. En fait, perdre face à l’Angleterre, c’était ce qui pouvait nous arriver de mieux. Parce que le match contre l’Angleterre était devenu trop important. On a alors réalisé que l’Euro continuait au-delà de ce match.

Don’t Take Me Home raconte l’histoire d’une équipe de foot, mais aussi celle de tout un pays. Expliquez-nous… Le sport est tellement important dans la vie. Ça a un impact sur notre économie, notre culture, comment les gens se sentent dans la société… Particulièrement le football, parce que c’est un sport planétaire. Si le gouvernement gallois avait voulu faire la publicité du pays à travers le monde, ça aurait coûter des millions de livres. Pendant l’Euro, les gens ont vu des drapeaux avec un dragon : « Le pays de Galles ? Mais c’est où le pays de Galles ? Ah, c’est à côté de l’Angleterre » … D’autant plus que le résultat de l’équipe nationale a eu une résonance positive sur le pays. J’en parlais avec mes proches quand je suis revenu de France : ici, les gens ont fait la fête dans les pubs, devant des écrans géants… Et puis les jeunes générations de footballeurs gallois vont s’en inspirer, ils ont vu leurs idoles atteindre les demi-finales d’une grande compétition, ils se disent : « Nous aussi, nous pouvons le faire. »

Mais ça doit être compliqué de perpétuer la passion pour le football dans un pays qui a l’habitude de regarder les grands rendez-vous internationaux sans sa sélection, de même que pour les compétitions de clubs comme la Ligue des champions… Au pays de Galles, le championnat national reste très modeste. Je ne pense pas que je verrai dans ma vie une équipe du championnat gallois se qualifier pour la phase de poules de la Ligue des champions. Certes, Swansea, qui joue en Premier League, a disputé la Ligue Europa récemment. Il y a très longtemps, Cardiff City, mon équipe de cœur, a battu le Real Madrid (1-0 en quart de finale aller de la Coupe des coupes 70-71, défaite 2-0 au retour, ndlr). Cardiff City a aussi disputé une demi-finale de Coupe des coupes en 67-68.

Si le pays de Galles ne parvenait pas à se qualifier en Russie (la sélection est actuellement troisième de son groupe derrière l’Irlande et la Serbie, ndlr), comment le prochain Mondial serait-il suivi ? C’est sûr qu’il n’y aurait pas autant d’intérêt pour la compétition, et de loin. Certains supporteraient l’Angleterre, parce que ce sont nos voisins. Beaucoup supporteraient… n’importe quelle équipe qui affronterait l’Angleterre ! (rires) En tout cas, le pays de Galles a vraiment besoin de se qualifier pour construire sur les fondations de cet Euro.

Dans la bande-annonce du documentaire, il y a un échange savoureux avec un fan gallois : « How long have you been in France for ? » Réponse : « When did the tournament start ? I can’t remember » ( « Depuis combien de temps êtes-vous en France ? » – « Quand est-ce que le tournoi a démarré ? Je n’arrive plus à m’en souvenir » ). C’était à ce point inattendu de voir les Dragons se hisser en demi-finales ? Oui, parce que cela faisait tellement longtemps que l’on ne s’était pas qualifiés pour une phase finale… Dans l’équipe, il y avait des très grands joueurs comme Gareth Bale, Aaron Ramsey, Joe Allen… mais aussi James Chester, qui avait passé la saison sur le banc à West Brom, ou Hal Robson-Kanu, qui arrivait en fin de contrat à Reading, en Championship (D2). Si l’on compare aux autres effectifs, nous n’aurions pas dû nous qualifier pour les demi-finales, mais ça reste un sport d’équipe. L’atmosphère sur le terrain, au sein de l’équipe, et en tribune, avec les supporters, c’était la composition parfaite. De nombreux supporters ont fait le déplacement à partir du troisième match face à la Russie, puis encore davantage pour le huitième de finale face à l’Irlande du Nord, avec à peu près quarante-cinquante mille supporters venus à Paris avec ou sans ticket. Les supporters de l’Irlande du Nord aussi étaient fantastiques. Beaucoup de gens se disaient alors que c’était le moment d’en profiter vu l’attribution des prochaines compétitions : la Coupe du monde 2022 au Qatar, l’Euro 2020 dispatché sur tout le continent… Je pense que dans le futur, on considérera l’Euro en France comme le meilleur des derniers tournois internationaux. Parce que la France est à la fois un pays suffisamment grand pour accueillir les supporters, mais également à taille humaine pour se déplacer – comparé à la Russie, par exemple.

Vous avez réalisé le documentaire I Believe in Miracles, qui retrace les années fastes du Nottingham Forest de Brian Clough. Vous voyez des similarités avec le parcours du pays de Galles à l’Euro ? On retrouve forcément l’histoire de l’underdog. Deux équipes sorties de nulle part, qui réalisent des prouesses spectaculaires. La seule différence, c’est que le pays de Galles n’est pas tout à fait allé au bout alors que le Nottingham Forest de Brian Clough a tout gagné – dont deux Coupes des clubs champions…

Finalement, qu’est-ce que vous retiendrez de cet Euro 2016 ?J’ai adoré la ville de Bordeaux. Toulouse aussi. On a eu le temps d’apprécier la nourriture locale, le vin rouge… Et c’est une région splendide ! On a vécu des moments incroyables, comme lors de la victoire face à la Belgique, mais si je dois choisir mon meilleur souvenir, c’est Bordeaux. C’est là où tout a commencé. Je suis venu en France pour la Coupe du monde de football, de rugby et l’Euro de football, et je ne pense pas qu’il y ait un meilleur endroit pour vivre ce genre d’événements.

Don’t take me home, réalisé par Jonny Owen, le film est sorti dans les salles de cinéma britanniques depuis le 1er mars – le DVD est prévu au cours de l’année

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