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Jonathan Santiago : « Il faut que les jeunes de l’OM profitent »
Treize ans à l’Olympique de Marseille, un match de Ligue Europa, puis les galères entre la D2 suisse, Montceau-les-Mines et Andorre. Le parcours professionnel de Jonathan Santiago, 25 ans, est celui que connaissent beaucoup de jeunes issus des centres de formation. Retour sur les bons souvenirs et les déceptions, avé l’accent.
Tu te souviens du 6 décembre 2012 ? Aaaah oui, très bon souvenir pour moi. Une date clé dans ma vie. C’est le jour où j’ai joué mon premier et mon seul match avec l’Olympique de Marseille, contre Limassol.
Je reçois un coup de fil la veille du déplacement, je sortais du métro, je n’avais même pas le permis à l’époque. Je ne connaissais pas le numéro et c’était Michel Chatron, l’intendant de l’OM. Il me dit : « Tu es dans le groupe, prépare tes affaires, rendez-vous demain 10 heures à Marignane. » C’était une énorme surprise. J’étais en folie. Mais comme il m’a appelé en dernier, je me dis que je vais être en tribunes. Mais bon pas grave, je suis appelé, déjà c’est beau. Sauf que la veille du match, on s’entraîne, et j’ai tout cassé. J’ai tout fait, j’ai mis un coup franc en lucarne… Et j’ai pu gratter ma place sur le banc.
Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as compris que tu allais entré en jeu ?Franchement, je ne l’ai pas vu venir parce qu’on s’échauffait tous trois par trois sur le banc. Et à la 60e minute, le préparateur physique me dit : « Santiago, viens ! » , et Élie Baup m’explique tranquillement que je vais entrer à la place d’Omrani et me positionner en 10 derrière Loïc Rémy. C’était incroyable. J’étais ému, quand tu vois ton maillot de l’OM avec ton numéro, ton nom, c’est un truc de fou. Mais ça va très vite dans la tête, j’ai réussi à ne me concentrer que sur le match une fois sur le terrain. C’était bizarre parce qu’on a perdu, mais j’étais quand même content, forcément. Même de ma prestation personnelle, parce que j’avais eu la deuxième meilleure note du match derrière Rod Fanni. J’étais satisfait, et j’avais eu un retour positif.
Tu as débarqué à l’OM à huit ans, comment ça s’est passé ?
Je jouais au foot depuis mes quatre ans dans le club de mon quartier à Bonneveine. Lors de ma première année de débutant, on avait fait un tournoi durant lequel j’avais fini meilleur buteur. Et Freddy, le recruteur de l’OM, a appelé mon père pour que je vienne au club. Moi, je ne voulais pas, je voulais rester avec mes collègues, je m’en foutais un peu. L’année suivante, on refait un tournoi, on gagne 2-0 contre l’OM et je marque les deux buts. Ils ont redemandé à mon père, et cette fois-ci, on y est allé pour voir ce que ça donnait.
C’est quoi ton premier souvenir sous le maillot de l’OM ?Lors de ma première année en poussin avec l’OM, on a fait un tournoi international à Roubaix où il y avait 650 joueurs et des équipes improbables. Il y avait Lyon, Rennes, mais aussi la Palestine (Rires), c’était un truc de fou. Et j’avais fini meilleur joueur du tournoi aussi.
Quand on est gamin à Marseille et qu’on joue pour l’OM, ça facilite les choses dans la cour de récré, non ?Aaaah ouais, un truc de fou ! L’OM, c’est différent de tous les clubs, c’est plus important que tout dans la ville. Même avec les filles, quand tu portais le survêtement de l’OM, c’était plus facile pour moi que pour certains collègues. (Rires.)
Le premier tournant de ta carrière à Marseille, c’est le jour où tu es convoqué dans le bureau de José Anigo. Qu’est-ce qu’il s’y est dit ?J’avais 15 ans et demi. J’étais en train de m’entraîner, et Michel Chatron vient me chercher sur le terrain : « Santiago ! José Anigo veut te voir, tu as fait une connerie, ça ne va pas rigoler. »
Je commence à me caguer dessus… Dans le bureau, je vois mon père et ma mère, t’imagines ? Mais en fait, c’était une blague, c’était pour une bonne nouvelle. Il me présente deux types de contrat : un contrat stagiaire et un contrat élite. Le contrat stagiaire dure deux ans et si je suis bon, on me fait signer pro. Le contrat élite comprend deux ans en tant que stagiaire et trois en tant que professionnel automatiquement. Mais il m’explique : « Avec le contrat élite, tu es sûr d’être pro, sauf que les trois ans de contrat pro dedans, ce n’est pas un salaire de pro, ça n’a rien à voir, tu as juste l’assurance de t’entraîner avec les pros. » Moi, je m’en foutais de l’argent à ce moment-là, on verra plus tard, je voulais le contrat élite. Mais il m’a conseillé de prendre le contrat stagiaire : « Tu es le plus gros espoir du club, je vais te prendre sous mon aile comme avec Samir Nasri. Si tu fais juste une apparition avec Deschamps, on te casse le contrat stagiaire et on te fait un contrat pro avec le salaire et toutes les conditions qui vont avec. Et parti comme tu es parti, je te laisse même pas deux mois. » Alors je l’ai écouté.
Sauf que tu n’as jamais eu ta chance avec Didier Deschamps…Non, Deschamps, il ne voulait que des noms. Il n’avait pas le temps de s’intéresser aux jeunes, aucun n’a eu sa chance avec lui. À l’époque, c’était impossible. Le temps passe, je suis surclassé dans toutes les catégories jusqu’à la CFA. José Anigo puis Franck Passi me répètent sans cesse de m’accrocher, d’être patient, qu’il ne me manque rien et que le travail paiera. Mais avec les pros, rien. Nada.
Énormément de jeunes de ta génération n’ont pas passé le cap à l’OM. Comment tu l’expliques ?La vérité, c’est qu’à l’époque, il y avait plein de magouilles, des agents qui mettaient leur nez là où il ne fallait pas.
À Marseille, tout le monde essaie de prendre sa part. Si tu ne t’entends pas avec un agent qui n’a pas pu prendre le billet sur toi, il va marronner et te mettre des bâtons dans les roues. C’est exactement ce qu’il s’est passé pour moi. Si tu n’avais pas le bon agent à l’époque, tu ne signais pas pro à l’OM. Depuis le rachat du club, ce n’est plus pareil. Si j’étais né en 1997-1998, ça fait un moment que j’aurais eu le contrat pro. Quand je vois les jeunes aujourd’hui, il faut qu’ils profitent, c’est bien. Parce que maintenant, les jeunes qui s’entraînent avec les pros, ils signent direct.
Finalement, à tes 18 ans, tu as enfin pu faire le stage de préparation avec les pros. C’était déjà une belle récompense ?Ouais, j’ai fait le stage de préparation. J’étais le seul jeune avec Rafidine Abdullah à jouer les matchs amicaux avec la grosse équipe. On est les seuls à être restés après le retour des internationaux. José Anigo me dit : « Cette fois-ci, c’est la bonne » , encore du blabla. Après, je suis convaincu que tout ce qu’il disait, il le pensait. C’est un mec droit, notamment avec les jeunes. C’est juste qu’il a eu plein de soucis personnels à cette époque et je n’étais plus sa préoccupation, ce qui est normal.
Comment tu finis par quitter Marseille ?L’année suivante, Marcelo Bielsa débarque et je n’ai même pas le temps d’en profiter. Je participe au tournoi des centres de formation et lors du deuxième match, je ressens une grosse douleur sur le côté du genou.
Je me dis que ce n’est rien et que ça va passer. Le lendemain, je ne peux même pas m’échauffer. En fait, j’avais une grosse inflammation sur le tendon, ça m’a duré pendant sept mois. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas comment je me suis fait ça. Ça m’a tué l’année. J’ai compris que cette fois-ci je n’aurais jamais le contrat pro à Marseille et j’ai décidé de partir. Je saisis l’opportunité de signer un contrat pro en D2 suisse. C’est là qu’il y a eu le tournant de ma vie professionnelle. À partir de là, galère sur galère. Deux jours après la signature, des Albanais viennent et rachètent le club. Ils renvoient tout le monde, je ne sais pas ce qu’ils font et deux mois après le club fait faillite. Je me retrouve à la rue du jour au lendemain. Et encore par manque d’entourage, je ne trouve pas mieux qu’une CFA à Montceau-les-Mines. C’était l’urgence.
Passer de Marseille à Montceau-les-Mines, ça a dû te faire bizarre ?Quand je suis parti de Marseille, c’était compliqué de m’éloigner de ma famille, mais franchement, les infrastructures étaient bien en Suisse. Le stade, c’était galette, 15 000 places, j’étais content, ce n’était pas un si mauvais point de chute que ça en avait l’air. Mais à Montceau-les-Mines… Quand tu te retrouves dans le milieu amateur après treize ans à l’OM, ça fait bizarre. Et puis, la ville. C’était déprimant comme changement. Mentalement, c’était dur. Et dans les petits clubs comme ça, il n’y a que des mecs issus de centres de formation de toute la France, l’autre était pro en Tunisie, etc. Que des mecs aux parcours cassés, en fait. J’avais quand même fait une bonne année. Je devais signer à Épinal qui était en National. Mais comme je n’ai jamais de chance, il se trouve que le coach d’Épinal était pote avec celui de Montceau, et il avait lâché l’affaire pour rendre service à son collègue. Pau aussi m’avait fait une proposition, mais financièrement c’était beaucoup trop faible. Je ne demande pas des millions, mais 1100 euros sans qu’on te loge, c’est compliqué.
Après, tu as décidé de revenir dans ta région, à Aubagne, où tu retrouves Marcel Dib. Pourquoi ça se passe mal pour toi ?Franchement, c’était catastrophique. J’avais pris du poids, j’avais lâché mentalement. Ça se voyait de suite, j’avais perdu ma vivacité. Je suis resté trois mois pour me remettre en forme, puis je pars à Andorre, en première division. Je commence à retrouver un bon niveau, je me remets dedans. On s’est qualifié pour les barrages de Ligue Europa. Mais je n’ai pas pu rester là-bas, il y avait des problèmes de financement, ça payait tous les trois mois, c’était la galère.
Qu’est-ce que tu retiens de ce milieu du foot ?
Ça t’apporte des souvenirs de fou et tu vis de ta passion, ça c’est génial. Mais d’un autre côté, il y a plein de trucs que les gens de l’extérieur ne voient pas. Il faut connaître les bonnes personnes pour signer le contrat qu’il faut. Tu en vois, ils ont signé des contrats pros, tu ne sais même pas comment. Et le facteur chance est très important. Mais c’est l’entourage qui fait toute la différence. Si tu as un bon agent et que tu es bon, tu peux fermer les yeux.
Comment tu as rencontré ton premier agent toi, par exemple ?C’est Senah Mango, un jeune de l’OM qui avait signé pro, qui m’a présenté un agent. Je l’avais gardé, je l’aimais bien. Mais en grandissant, vu que je faisais de plus en plus de bonnes performances, le téléphone a sonné. C’est compliqué à gérer, tu te dis « je vais aller avec lui » , puis tu rechanges parce que finalement, tu te dis que l’autre est meilleur, etc. Et finalement, tu te perds.
Aujourd’hui, c’est quoi ton objectif ?Je joue en DH à Rousset. J’ai eu des propositions de clubs de CFA2, mais ça ne m’intéressait pas. Si c’est pour partir loin, faire venir ma femme et mon petit d’un an dans une CFA2 qui joue le maintien ou le ventre mou, ça ne vaut pas la peine. Si c’est une CFA2 avec un bon petit projet qui joue la montée, avec un salaire respectable, pourquoi pas !
À 25 ans, tu as encore dans un coin de ta tête l’espoir que tout se goupille bien et que tu puisses jouer en pro ?
Honnêtement, ce que j’aurais pu être avant, ce n’est pas possible. Mais atteindre un petit club de Ligue 2 ou National, c’est largement faisable. Maintenant, les clubs ne veulent plus aligner beaucoup. Si tu trouves le bon projet en CFA ou CFA2, que tu montes en National et que tu es bon, tu peux y croire. C’est de là que ça part. Il suffit d’un rien dans le foot, dans un sens comme dans l’autre.
Tu as pensé à une reconversion pour après ta carrière ?En étant à Marseille depuis mes huit ans, je n’y ai absolument pas pensé, c’est sûr. J’ai fait un bac pro vente, mais c’était pas ce qui m’intéresse en fait. C’est plus un truc que j’ai fait ado, histoire d’avoir un diplôme. Là, depuis que c’est plus difficile, j’y pense de temps en temps. Mais je n’ai pas d’idées précises. Je me pose des questions, mais je n’ai pas les réponses. Il faudrait que je trouve un petit truc qui me plaise.
Propos recueillis par Kevin Charnay