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Jonathan Clauss : « Entre monter en Bundesliga et pouvoir rejouer au foot, j’ai choisi »
Formé à Strasbourg, Jonathan Clauss a gravi les échelons un à un, passant notamment par Raon-l’Étape, Avranches et Quevilly. Puis, en août 2018, l'Alsacien a franchi le Rhin pour exploser avec l'Arminia Bielefeld, avec lequel le milieu de terrain de 28 ans est devenu un titulaire indiscutable et ne vise rien d'autre qu'une montée en Bundesliga. Enfin ça, c'était avant le confinement, évidemment. Entretien.
Quand tu avais 26 ans, il paraît que ta maman t’appelait tous les matins. Elle le fait encore ?C’est toujours le cas. Un petit message ou un appel avant que j’aille au foot. Parfois, c’est juste pour dire « bonne journée ». Ma mère, c’est une lève-tôt, elle m’écrit vers 5-6 heures ! Du coup, je la rappelle souvent quand moi, je me réveille.
Ça donne quoi, le confinement de l’autre côté du Rhin ?On est légèrement en retard par rapport à la France. Ça a commencé il y a trois semaines et avec la fermeture des frontières, le club ne nous a pas donné d’attestations pour qu’on puisse rentrer chez nous. Donc là, je suis tout seul dans mon appartement. Ma copine qui vit à Strasbourg voulait me rejoindre, mais c’était trop compliqué. De toute façon, pour le bien de tous, c’est mieux de rester chacun chez soi.
Les Allemands respectent bien les règles ?De ce que j’ai pu observer, oui, tout le monde porte un masque dans la rue et respecte les distances de sécurité, hormis une petite minorité qui essaye de franchir les limites, évidemment. Mais quand tu vas au supermarché, tu vois que les gens sont beaucoup plus disciplinés qu’en France. Quand je vois qu’il y a des pénuries de pâtes ou que certains se jettent les uns sur les autres pour des rouleaux de papier toilette, ça me rend dingue.
Qu’est-ce que tu fais pour tuer le temps ?Je m’ennuie énormément ! Enfin… j’essaie quand même de faire en sorte que ça aille. La plupart du temps, je joue à la console, à FIFA et à Call of Duty, je n’ai besoin de rien d’autre. Je joue le plus souvent en ligne, c’est une manière de garder contact avec tout le monde, avec mes potes de Strasbourg ou mes anciens coéquipiers de Quevilly. Parfois, on ne joue même pas, on pose juste le casque sur les oreilles et on discute entre nous.
Un petit challenge sur les réseaux sociaux aussi ?Mouais, sans plus, c’était drôle cinq minutes, et après, c’est devenu chiant… J’ai fait celui du PQ au tout début parce que je trouvais ça marrant, mais très vite, il y en a 8000 autres qui ont débarqué et c’était juste trop.
#StayAtHomeChallenge pic.twitter.com/yMmL4c8KZS
— Jonathan Clauss (@Djoninho25) March 18, 2020
Il paraît que tu t’es aussi mis à regarder Les Marseillais, jusqu’à comparer l’émission aux films de Quentin Tarantino ! Ouais, c’est venu de l’embrouille entre Alix et Benji. Je pense que tout mec se retrouve un peu dans cette situation, c’est un peu marrant. Au départ, je ne regardais pas l’émission, contrairement à tout le monde autour de moi. J’ai dû m’y mettre autour du quinzième épisode. Depuis, c’est devenu un rituel ! Tous les soirs à 20h, mes potes et moi, on met la console sur pause, on dîne en regardant Les Marseillais, et après, on se rappelle pour en parler.
Tu penses que ça pourrait attraper tes coéquipiers allemands, ce genre de concept ?Oh, pas besoin ! Ils ont déjà des tas d’équivalents de Secret Story, L’Île de la tentation… J’ai pu le constater quand on était réunis à l’hôtel et je les regarde parfois avec eux, même si je ne comprends pas toujours tout.
D’ailleurs, qu’est-ce que ça vaut, ton niveau d’allemand après un an et demi à l’Arminia ?Au départ, c’était zéro. Il faut savoir que j’avais pris cette langue à l’école, mais je pense que j’étais très très nul. Enfin non, je ne pense pas, j’en suis sûr, vu la note terrible que j’ai eue au bac… Ensuite, ça s’est un peu amélioré à l’époque où j’étais à Linx (un petit club de D5 situé de l’autre côté de la frontière alsacienne et dans lequel il a joué deux ans au début de sa carrière, N.D.L.R.), mais en arrivant à Bielefeld, j’avais un peu peur de parler avec les gens, donc forcément, tu ne peux pas t’améliorer comme ça. Heureusement, ça a bien évolué. Aujourd’hui, je parle couramment allemand, même s’il y a toujours quelques mots compliqués avec lesquels j’ai du mal. Mais sinon, pour tenir une conversation avec quelqu’un que je ne connais pas, aucun problème.
Tant mieux cela dit, car en D2 allemande, les effectifs sont très majoritairement germanophones.Il y a une énorme différence entre le fait d’apprendre une langue à l’école et en vrai. Quand tu n’as pas le choix de devoir la parler pour interagir avec les autres, tu intègres les mots beaucoup plus vite qu’en classe. En France, je trouve qu’on juge l’allemand assez sévèrement à cause de la complexité de certains mots, mais finalement je ne trouve pas que ce soit une langue si compliquée. J’ai pu m’en rendre compte quand des mecs de mon équipe ont voulu commencer à apprendre le français.
Ah ouais ? Qui ça par exemple ?Cebio Soukou, il est international béninois, mais il n’a pas dû baigner dans la langue française au sein de sa famille. On est assis à côté dans le vestiaire, il est sur un groupe WhatsApp avec les autres joueurs de la sélection et il ne comprend pas grand-chose à ce qui se dit, donc il me demande souvent de l’aider. Et pour traduire tel ou tel mot, tu constates en le décortiquant que ce n’est pas tellement évident. Par exemple : pourquoi on dit « qu’est-ce que » et pas tout simplement « quoi » ? Bonne chance pour l’expliquer ! En allemand, comme en anglais d’ailleurs, la traduction d’un mot est très simple quand on y pense. En tout cas, je trouve que c’est une langue plus simple à apprendre que le français.
C’est aussi cette solidarité qui explique votre place actuelle de leader ?Chez nous, tout le monde est intéressé par tout le monde. Forcément, on n’a pas les mêmes affinités avec chacun, mais on reste un groupe ouvert, qui vit et qui rigole. Quand on va manger le midi, peu importe qui vient, ce sera toujours cool, on ne dira jamais non à quelqu’un qui veut venir déjeuner avec nous. Et du coup, oui, je pense que c’est cet état d’esprit qui a fait qu’on n’a pas perdu certains matchs qu’on aurait dû perdre : on compte vraiment sur tout le monde. J’espère que le championnat reprendra malgré tout pour qu’on puisse continuer sur notre lancée : la montée en Bundesliga.
Comment tu as vécu ce coup d’arrêt justement ? Avant le confinement, vous aviez six points d’avance sur Stuttgart et sept sur Hambourg, qui sont pourtant les deux candidats déclarés à la promotion dans l’élite.Il y a eu de la frustration, forcément. En début de saison, on n’avait aucune pression sur les épaules, et certainement pas cet objectif clair de monter en Bundesliga. On savait cependant qu’on avait les capacités et les joueurs pour, mais personne ne nous attendait nulle part, contrairement à Hambourg et Stuttgart. Et c’est justement pour ça qu’on a joué sans pression et qu’on est arrivés là où on est aujourd’hui. Du coup, ça me fait chier qu’on nous ai dit d’arrêter et de rester chez nous. Parce qu’il y a ce rêve au bout, ça dégoûte un peu. Mais on n’a pas le choix, il faut relativiser, il y a pire dans la vie. Là, on ne peut pas jouer avec la santé des gens. Entre monter en Bundesliga et avoir la garantie de rejouer au foot l’année prochaine, j’ai choisi la deuxième option sans réfléchir.
On a vu que les clubs de Bundesliga ont progressivement repris les entraînements, c’est pareil en D2 ?Oui et tant mieux parce je commençais à être sur un rythme vraiment bizarre. Certains jours, je me couchais à cinq heures du mat’, d’autres à 23 heures, c’est impossible de tenir un programme… Là, on a repris par petits groupes de trois ou quatre personnes pour des séances d’une heure. On alterne entre le physique et la technique, histoire de retrouver le plaisir du ballon. Il faut innover parce que bon, s’entraîner à trois-quatre… Et c’est très encadré par la Ligue : le club doit envoyer un message chaque matin pour lui assurer que tous les joueurs vont bien par exemple.
Ça semble un peu moins bordélique qu’en Biélorussie, un pays dans lequel tu as failli signer avant d’aller en Allemagne. Tu peux nous raconter ?Quand Quevilly est descendu en National (en 2018, N.D.L.R.), j’ai eu une période un peu compliqué avec des agents qui m’avaient promis la Ligue 2, la Serie B… Finalement, il n’y a rien eu, et un autre agent, à Strasbourg, m’a proposé son aide. J’étais ouvert à tout et il m’a envoyé au Dinamo Brest faire un essai d’une semaine. Ça s’est bien passé, mais alors que j’étais sur le point de m’envoler avec toutes mes affaires, le plan est tombé à l’eau. Le coach qui m’avait supervisé était parti, car il n’avait pas les pleins pouvoirs vis-à-vis de la direction. Heureusement, il y a eu Bielefeld juste après, donc c’est un mal pour un bien !
Tu connaissais l’histoire du complot de Bielefeld ? Vaguement. Ma tante m’avait envoyé de la documentation qui expliquait que la ville n’existerait pas, qu’il faudrait arriver à prouver le contraire et même qu’il y aurait une prime si tu y arrives. Mais je ne m’y suis pas trop attardé jusqu’à présent. Encore une fois, il faudrait bien maîtriser l’allemand pour comprendre tous les détails. Mais si on monte en Bundesliga, et c’est l’objectif, je pense qu’on arrivera à mettre la ville sur la carte.
Propos recueillis par Julien Duez