Comment tu es devenu recruteur à l’OGC Nice ? J’ai cru comprendre que tu avais un parcours atypique.
C’était en 2009, je connaissais un ancien directeur sportif. Il m’a dit de contacter le nouveau. Mais le club n’avait pas d’argent pour embaucher un recruteur de plus. Alors j’ai proposé de faire six mois à l’essai non rémunéré, avec une potentielle promesse d’embauche si je me rendais indispensable et que mon travail était satisfaisant. Je n’avais que 24 ans et j’étais diplômé de l’European Business School à Paris. Donc rien à voir avec le foot. Sauf que le foot, c’est ma vie. Aujourd’hui encore, même si je ne travaille plus dans le milieu, je regarde dix à douze matchs par week-end. Tout ce qui me passe sous la main.
En 2011, tu avais déclaré que Nice avait utilisé Football Manager pour recruter Nemanja Pejčinović. Comment tu t’y étais pris, exactement ?
En fait, en période de mercato estival, tous les jours, on te donne dix ou quinze noms. Un jour, dans une de ces listes, mon supérieur m’a parlé de Pejčinović. Et ce joueur-là, je le connaissais déjà depuis deux ou trois ans, de Football Manager. Direct, quand on m’a proposé ce nom, j’ai dit : quand on va regarder des vidéos, on sera tous d’accord. J’ai tilté tout de suite. En fait, il était parti en Allemagne, il ne jouait pas. Du coup, on a pu le recruter.
On a parlé de Monzón aussi.
Oui, je m’occupais de tout l’étranger, sauf la Belgique et la Suisse. Ces championnats limitrophes étaient couverts par les recruteurs de Ligue 1 et Ligue 2. Et l’Argentine, c’était un championnat que je connaissais vraiment par cœur, aussi bien que la Ligue 1. À l’époque, on cherchait un latéral gauche offensif, et je suivais Monzón comme je suivais quatre ou cinq latéraux gauches en Argentine. Et Monzón, à un moment donné, je me suis rendu compte qu’il jouait moins. On a donc eu l’opportunité de le faire venir. Le marché des transferts argentin est fait de telle sorte que tous les quatre ou cinq mois, les prix peuvent varier de un à cinq millions selon les formes financières des clubs. Je suis parti en Argentine pour voir Monzón, et ça s’est fait comme ça. Alors à la base, Monzón, oui, c’est Football Manager. Mais après, il y a eu tous les filtres : les vidéos, les renseignements sur place avec nos contacts… Il y a plein de facteurs qui entrent en jeu.
Donc, toi, ton rôle, c’était de bouffer du Football Manager, pour ensuite vérifier ?
Oui, je travaillais comme ça. Je m’enfermais tout un week-end ou le soir après le bureau. Je jouais entre 30 et 50 heures par semaine. T’as déjà joué à Football Manager, tu vois comme c’est prenant, ça prend un temps fou. Je connais le jeu par cœur, j’y joue depuis 1996. Il est très proche de la vie réelle. En gros, quand j’arrivais au bureau, j’avais trois écrans. Sur le premier, j’allumais Football Manager. Sur le second, une page internet avec les outils de statistiques du club. Un enfin, un écran relié à un lecteur DVD pour visionner des vidéos. Mais oui, FM était toujours allumé.
Comment on fait le distinguo entre les pépites qui se vérifient dans la réalité et les arnaques ?
C’était très simple. Je faisais mes listes de joueurs par poste. Ensuite, tu regardes leurs stats en vrai. Entre ceux qui jouent, ceux qui ne jouent pas, t’en enlèves la moitié. Ensuite, par rapport à la vidéo, t’enlèves encore la moitié, parce qu’il y en qui sont pipeau. Là, il te reste trois ou quatre joueurs par poste. Tu regardes dix matchs de chaque joueur, pour les connaître sur le bout des doigts. Monzón par exemple, on savait que son placement défensif n’était pas bon. Mais offensivement, ça apportait quelque chose. C’était un choix, un équilibre à trouver avec le latéral droit. Comme Abidal et Dani Alves à Barcelone.
Apparemment, tu t’étais fait taper sur les doigts pour avoir révélé ta méthode, non ?
À l’époque, j’avais répondu au journaliste de France Soir pour rendre service à quelqu’un, sans l’autorisation de mes supérieurs. Alors, aujourd’hui, c’est peut-être plus dans l’air du temps de parler des autres bases de données, que ce soit les jeux vidéos ou même la télévision. Enfin, n’importe quelle base de données de notre génération. Mais à l’époque, j’ai failli me faire virer à cause de ça. Parce que ce qui en est ressorti, c’était « L’OGC Nice recrute sur Football Manager » . Ça m’a vachement desservi sur le moment. Pourtant, je n’ai raconté que la vérité, rien de plus, rien de moins.
Pourquoi ça les a contrariés, cette sortie dans la presse ?
Déjà, je n’étais pas un ancien joueur de foot, et j’arrivais à Nice plaqué 75. Et dans le Sud, ils n’aiment pas trop trop les Parisiens (il sourit). Je n’avais donc pas le soutien de tout le monde. Et puis surtout, à l’époque, ils pensaient que ça décrédibilisait le club de dire qu’on utilisait cette base de données. Alors qu’aujourd’hui, tous les clubs qui recrutent bien en Europe l’utilisent. Il y a même des clubs qui ont des contrats avec cette base de données. Everton, ce sont les seuls qui l’ont affiché publiquement. Mais je peux te dire que Palerme, Porto, tous ces clubs-là utilisent FM. Parce qu’ils ont une vraie cellule de recrutement.
Quand tu dis « ces clubs-là » , tu sous-entends que les clubs français n’ont pas de vraies cellules de recrutement ?
Non, ou du moins, elles sont très petites. À Palerme, ils sont capables de construire des sphères, des cellules de travail où ils sont 18 ou 20 par exemple. Et ces mecs-là bouffent des matchs H/24. À Nice, quand je suis arrivé, il y avait deux recruteurs. Encore aujourd’hui, il n’y a que deux façons de recruter. La première, c’est de se déplacer et d’aller voir des matchs. La deuxième, ce sont les agents qui te proposent un joueur, et après, tu dois aller te renseigner. Moi, j’avais une troisième façon de travailler, c’est pour cette manière-là que j’ai été embauché. Et c’est ce qui intéressait mes supérieurs. Après, cette façon de travailler, ça reste un outil. C’est pas un miracle, tu ne fais pas que jouer à FM toute la journée. Tu te sers juste de son immense base de données. Et après, avec les autres outils du club, que ce soient les vidéos, les stats, et en dernier recours tes yeux, parce que c’est toi qui est juge, tu fais le tri. En faisant ça, par exemple, je n’ai pas eu besoin de travailler avec les agents. Et un agent, il te dit « regarde ce joueur, c’est un monstre » , même s’il ne vaut rien.
Tu étais le seul en France à utiliser Football Manager ?
Je ne sais pas si j’étais le seul à travailler comme ça en France. Mais en tout cas, j’ai rencontré des gens de Football Manager, et ils m’ont dit que j’étais le seul à me manifester. Ça m’étonnerait que d’autres travaillent comme ça. Parce qu’au moment où j’étais à Nice, 95% des recruteurs étaient des anciens joueurs pros. Et les anciens joueurs pros, ils ont 40-50 ans. C’est pas leur génération.
Et à l’étranger ?
En Angleterre, au Portugal et en Italie, ils l’utilisent, c’est sûr et certain. Mais de toute façon, on a beaucoup de retard. Au Portugal, en Italie, là où ils ont aussi peu de thunes que nous, ils sont beaucoup plus créatifs. Football Manager, c’est juste un exemple.
Qu’est-ce que tu entends par là ?
Un exemple. Pastore et Sirigu, ils sont venus de Palerme en même temps pour une enveloppe de 45 millions d’euros. Sirigu, il y avait 50% de sa revente qui était à redistribuer à son ancien club. Donc ils ont baissé le prix au max de Sirigu, et ils ont augmenté au max celui de Pastore. Parce que sur Pastore, ils n’avaient rien à reverser. L’enveloppe globale était de 45 millions pour les deux. Mais dans les faits, jamais le PSG n’a payé 42 millions pour Pastore et seulement 3 millions pour Sirigu qui était troisième gardien de l’Italie à 23 ans. Ça n’a pas de sens. Chelsea avait proposé 30 pour Pastore et le PSG en a proposé 32, auxquels ils ont ajouté treize millions pour Sirigu. Ensuite, ils se sont arrangés. Ça, c’est malin.
Et en France, on n’est pas capables de penser à ce genre de combines ?
Autre exemple. Quand je travaillais à Nice, j’avais proposé quelque chose. Je suivais les championnats brésiliens et argentins. Leur calendrier est différent du nôtre. Même si c’est un peu modifié en Argentine, en gros, le calendrier s’étend toujours du 1er janvier au 31 décembre. À Nice, t’étais obligé de vendre avant d’acheter, comme dans tous les clubs français. Mais rien n’empêchait de faire un prêt du 1er janvier au 31 décembre avec une option d’achat, pour la lever au 15 août par exemple. Mais ils n’ont jamais voulu. Pourtant, c’est malin, ça aussi. Au Portugal, en Italie, ils n’hésitent pas à le faire.
Après Nice, tu as travaillé avec d’autres clubs ?
Non, j’ai travaillé avec des agents. Mais ça ne m’a pas du tout plu. Ces gens-là ne pensent qu’à l’argent, c’est un truc de dingue. Ensuite, j’ai complètement quitté le monde du foot.
Comment ça, ils ne pensent qu’à l’argent ?
Même les agents bien, ils ne pensent qu’à ça. Le mec qui prend un footeux sous son aile parce qu’il veut le faire progresser et le faire monter petit à petit, il n’existe pas.
Maintenant que tu ne travailles plus du tout dans le milieu du foot, tu continues à jouer à Football Manager ?
Carrément. C’est super intéressant pour apprendre la gestion à moyen terme d’un club. En France, à part le PSG, on ne fait que du bricolage. Pourtant, le fait de recruter des joueurs qui ont un potentiel de revente intéressant, c’est la clé du développement d’un club financièrement. En France, tu ne gagnes pas d’argent avec les produits dérivés et peu avec la billetterie. Tu gagnes seulement avec les droits TV. Mais c’est pas suffisant pour couvrir tous les frais. Alors pour te développer, il faut faire de la plus-value sur les joueurs. Mais je le répète, en France, c’est Monsieur Bricolage. Quand Lyon recrute Gaël Danic, c’est une erreur. C’est grave, même. Après, Florian Maurice, il est tout seul au recrutement. Comment c’est possible d’aller chercher des joueurs intéressants quant t’es tout seul ? Mais bon, au moins, Lyon a un centre de formation pour compenser, ce n’est pas le cas de tous les clubs.
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