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Jonas Eriksson, sifflet d’argent
Il est suédois, brun et ami de Nasser Al-Khelaïfi. Plus qu'un homme en noir, celui qui sera ce soir au sifflet de Pays de Galles-Portugal est un type aux caractéristiques peu communes. Surtout en connaissant la plus insolite : inutile de tenter de l’acheter, Jonas Eriksson est déjà multimillionnaire.
Il pourrait être en train de taper la balle avec Nasser Al-Khelaïfi, réputé pour être l’un de ses partenaires favoris sur les courts de tennis. Il pourrait également enchaîner les drives sur un 18 trous de Stockholm, comme la majorité de ses connaissances. Il pourrait même jouer à son sport favori et tenter quelques roucoulettes autour du fisc pour planquer plusieurs centimes de son compte en banque, mais non, Jonas Eriksson est occupé. Tout multimillionaire n’a pas une demi-finale de Championnat d’Europe à arbitrer. Et si le monde du football avait quelques raisons de chercher son nom dans les Panama Papers – sans succès – c’est parce que le bonhomme cultive la particularité d’être le seul arbitre au monde, plus riche que les joueurs qu’il siffle. Un magnat des médias suédois à la passion dévorante, qui a décidé de laisser son costume-cravate de côté pour enfiler short et crampons afin d’occuper son temps libre. Normal, quoi.
Un billet à 10 millions
Le récit démarre en 1993 à 19 ans, quand le gars flaire le bon coup. En véritable suédois brun, il se prend de passion pour les singularités et crée sa propre boîte avec l’aide de quelques amis. L’objet ? Une entreprise spécialisée dans l’acquisition et la vente de droits télé pour manifestations sportives, à travers le monde, qu’il nomme Iec in Sport. Son champ d’action s’étend tout d’abord à l’Allsvenskan, le championnat national de football, puis prend de l’ampleur. En une dizaine d’années, le business monté entre potes vire à la success-story économique et remplit les poches du bon Jonas, qui peine à y faire plus de places. Car en parallèle à son activité, le coquin entretient une honorable carrière d’arbitre de football, d’abord en amateur, puis en pro, lorsqu’il obtient son diplôme officiel au courant de l’année 1994. « J’avais le sentiment que beaucoup d’arbitres n’avaient pas les capacités de communication que je pouvais attendre en tant que jeune joueur – je parle d’arbitres qui savent expliquer leurs décisions. Souvent ils n’avaient pas la condition physique pour être au bon endroit au bon moment. Je sentais que je pouvais faire mieux. Ils m’ont dit, dans ce cas-là, de donner des cours et de le faire moi-même, alors je l’ai fait. » Déclaration faite à la FIFA en 2013, à la veille de la finale de Supercoupe entre Chelsea et le Bayern Munich qu’il allait diriger.
En 2000, Eriksson officie pour son premier match de première division suédoise – dont il assure également la diffusion, cocasse – avant, deux ans plus tard, de s’envoler pour la Coupe du monde 2002 en Corée du Sud et au Japon. La passion, ça dévore. Comme le disait l’acteur et humoriste français Roger Pierre, « l’arbitre de football aimait tellement sa profession qu’à chaque fois que sa femme le trompait, il lui montrait un carton jaune. » C’est Jonas Eriksson. Pas transcendé par son boulot de diffuseur désormais internationalisé, lui et trois de ses associés de départ cèdent en 2007 à une offre de reprise de Lagardère pour Iec in Sport. Le trio vend ses parts, et Jonas empoche 10,837 millions d’euros pour ses 15%. Comme ça, du jour au lendemain. Passé de Michel Jonas(z) à Nick : « Chaque semaine quand je marche sur la pelouse je fais ce que j’aime le plus. J’ai aussi eu une vie fantastique en temps qu’homme d’affaires, mais depuis 2011 je me suis dédié à devenir arbitre professionnel et je prends du plaisir comme jamais. » Quitte à se faire des amis – il ne peut pas arbitrer le PSG en raison de son amitié avec Nasser – et par conséquent… quelques ennemis.
« Vous devez être très bon dans votre manière de vendre vos décisions »
Le didactisme proné par Jonas Eriksson a en effet connu dans le passé ses limites : le bonhomme s’est par exemple mis à dos les supporters des Rangers pour un penalty refusé un soir de Ligue des champions, en 2009 face à Séville. « You cheated us out of a penalty » , clama dans la foulée Steven Naismith. Rebelotte ici avec un carton rouge oublié pour Lewandowski, auteur d’un coup de coude sur Laurent Koscielny… Là pour un penalty marseillais généreux lors d’un 3-0 face à Dortmund… Ici encore pour deux penaltys oubliés pour Barcelone face à l’AC Milan… Mais son plus grand fait d’armes reste d’avoir entraîné la suspension de Manuel Pellegrini en février 2014, furibond après un carton rouge distribué à Martín Demichelis qui permit à Messi d’ouvrir le score à l’extérieur pour Barcelone en 8e de finale aller de C1. Le coach chilien avait pris trois matchs de suspension pour assassinat en règle, déclarant en conférence de presse qu’il « n’avait pas le contrôle du match. Je n’étais pas content. Il a favorisé Barcelone du début à la fin… Le football suédois n’est pas important en Europe. Ce genre de grands matchs avec deux grandes équipes nécessite un arbitre avec plus d’expérience. » Une compétence qui viendra avec le temps, entrenue au fil des tournois mondiaux et couronnée par un sifflet principal en finale de Ligue Europa 2016. Où, d’ailleurs, il ne vit pas ces quelques mains décollées du corps côté sévillan, peut-être…
Toujours est-il que le garçon dirigera, ce mercredi soir, son troisième match de l’Euro après Turquie-Croatie (0-1) et pays de Galles-Russie (3-0). Toujours dans le même esprit d’apaisement : « Je fais de la gestion d’hommes. La manière dont vous approchez les joueurs, la manière de communiquer avec eux…Vous devez leur vendre la décision et le leur faire accepter. Parfois vous ne prenez pas la meilleure décision, mais vous devez être très bon dans la défense de celle-ci. Sinon, vous allez passer des moments très difficiles là-dehors. » Et d’enchaîner pour 11 Freunde : « Souvent, un regard vaut mieux que mille mots. » La preuve, en jetant un coup d’œil sur son compte en banque : il y a de quoi rester bouche bée.
Par Théo Denmat