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John Toshack, la résurrection
L'ancien attaquant de Liverpool a vécu une carrière d'entraîneur tourmentée. Champion d'Espagne 89-90 avec le Real Madrid, Toshack a également subi plusieurs camouflets (Macédoine, pays de Galles, un passage express à Saint-Étienne) au cours d'un périple qui l'a mené dans 9 pays. 10 mois passés au Maroc l'ont remis en selle et ont requinqué le Wydad Casablanca. Les Rouges, leaders du championnat, pourraient faire un pas de géant vers le titre en cas de succès face au Raja à l'occasion du 118e derby.
Pour décrire la décontraction avec laquelle le WAC s’est plongé dans cette saison 2014-2015, une scène vaut mieux que tous les discours. Le 18 octobre dernier, le Kawkab de Marrakech et le Wydad, respectivement 1er et 2e du championnat après 4 journées, croisent le fer dans le Grand Stade destiné à abriter la Coupe du monde des clubs. John Toshack débarque pour reconnaître l’état du terrain, s’installe au poste de cameraman encore vacant et braque la caméra vers la partie du stade où sont massés les 10 000 Wydadis qui ont fait le déplacement, déclenchant chants et craquage de fumigènes. Puis il repart aux vestiaires, les mains dans les poches, sous les acclamations, sans un regard pour la pelouse. Les supporters sont conquis, et Nabil, membre des Winners (le groupe d’ultras du Wydad), exprime l’enthousiasme général : « Chez nous, le foot espagnol est une référence. Ce gars-là a entraîné le Real Madrid. Jamais le Real ne confierait son équipe à un nul, on ne s’est pas fait arnaquer. C’est un bon, et grâce à lui, on va remporter le championnat » .
Le ticket Chafni-Toshack
Ce club assoiffé de titres avait bien besoin d’un peu de sérénité, après une saison cataclysmique : la gestion désastreuse de l’ex-président Akram, les supporters qui boycottent les matchs à domicile, le championnat 2013-2014 terminé à la 6e place, et la formule lapidaire « Akram Dégage » visible aux 4 coins de Casablanca (certains supporters iront même jusqu’à taguer la phrase sur des murs à Ouarzazate et Agadir, à des centaines de kilomètres de la Ville Blanche, pour exprimer leur désapprobation). Saïd Naciri arrive à la tête du club au début de l’été, réinjecte de l’argent et propose aux supporters un package des plus attrayants : John Toshack, ancien coach du Real Madrid et de la Real Sociedad, et Kamel Chafni, l’ex-Auxerrois qui signe un contrat de 2 ans et devient le transfert le plus cher de l’histoire du championnat (9 millions de dirhams, soit près de 900 000 euros).
L’histoire commune de ce couple improbable ne fera pas long feu. Chafni, blessé durant la préparation, sera rapidement écarté par Toshack. Contrairement à beaucoup d’entraîneurs européens qui abordent leur première expérience au Maghreb avec de l’arrogance, le Gallois annonce la couleur dès sa première conférence de presse : « Je ne connais pas le football marocain. Je vais jauger le niveau de mon effectif, le niveau des adversaires, et, à court terme, je saurai si on est capables d’être compétitifs. » Flanqué de Roberto Lopez Ufarte, son lieutenant fidèle des années passées à la Real Sociedad, Toshack identifie rapidement les points forts de son effectif : l’Ivoirien Bakaré Koné (aucun lien avec l’ex-joueur de l’OM, ni avec le général burkinabé de l’OL), le jeune milieu droit Reda Hadjouj, propulsé titulaire avec seulement 40 minutes de Botola dans les jambes, et l’attaquant gabonais Malick Evouna.
Contres et jeunesse
Les deux premiers nommés sont chargés de dynamiter sur les ailes, le troisième finit les actions, et un bloc très bas est mis en place pour aspirer les adversaires et lancer les 3 larrons en contre. Ce Wydad pragmatique prend la tête du championnat, remporte le derby (2-1) grâce aux buts de Koné et Hadjouj, et finit champion d’automne. Une seule ombre au tableau : l’incapacité de cette équipe taillée pour les contre-attaques à déstabiliser des formations recroquevillées dans leur camp. Privées d’espaces, les individualités du WAC peinent à créer des différences (8 matchs nuls au cours de la phase aller, dont 6 à l’extérieur).
Mais cette inefficacité n’entravera pas la marche en avant du Wydad, de même que les autres impondérables : l’hécatombe au poste de gardien (blessures des numéros 1 et 2, Akid et Benachour) ou le coup de mou accusé au cœur de l’hiver (3 points en 4 matchs sur les 2 dernières semaines de 2014). Ayant lui-même débuté sa carrière professionnelle à l’âge de 16 ans, Toshack n’a qu’une seule idée en tête : le rajeunissement de son effectif. Les jeunes du centre de formation sont régulièrement incorporés aux entraînements de l’équipe A, et Zouheir El Moutaraji (18 ans) est lancé dans le grand bain, signant quelques prestations convaincantes durant l’absence de Hadjouj, blessé.
La pression populaire ignorée
Le plus grand mérite du Gallois aura été de résister aux caprices des fans. Exploit d’autant plus significatif dans un club où les supporters, réputés comme étant exigeants, sont allés jusqu’à débarquer à un entraînement la saison précédente avec des sabres pour menacer les joueurs… Quand l’équipe a été en difficulté en décembre, Malick Evouna a multiplié les ratages et vendangé de nombreuses occasions. Le Gabonais, sifflé et agressé après le match face à Agadir (2-2, le 28 décembre 2014) était la cible principale de la colère des Wydadis, qui ont réclamé à qui voulait l’entendre le retour de l’attaquant congolais Fabrice Ondama. Toshack laisse Evouna en pointe, et ce dernier claque 7 buts en 4 matchs dans la foulée.
Leader avec 4 points d’avance sur son plus proche poursuivant (l’OC Khouribga) à 7 journées de la fin, le Wydad aborde le sprint final dans une position favorable. Le derby de ce samedi est un match-clé, et l’ex-coach de l’ASSE en est bien conscient : « La confrontation du match aller est une expérience extraordinaire, par rapport aux autres derbys que j’ai connus, celui-ci est au top. Cela va être très compliqué, on est au chômage technique depuis un mois, alors qu’entre-temps, le Raja a gardé le rythme avec ses matchs de Ligue des champions. Mais si on veut gagner le titre, on doit faire un résultat samedi. » Une victoire dans ce match mythique ramènerait le Wydad sur le devant de la scène, et signerait la résurrection d’un coach perdu de vue depuis bien longtemps.
Par Farouk Abdou, au Maroc