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John Delaney, la blatte irlandaise
Depuis plus de 10 ans, John Delaney règne à la tête de la Fédération irlandaise. Un personnage critiqué, entre succession paternelle, arrangements douteux et beuveries. JR au pays du trèfle.
« Blatter s’était moqué de nous, souvenez-vous. Je lui ai dit ce que je pensais de lui, il y a eu quelques jurons. Puis nous sommes parvenus à un accord. Un très bon accord pour la FAI. » L’auteur de la sortie s’appelle John Delaney, le Chief Executive Officer de la Football Association of Ireland. Nous sommes le 4 juin 2015, huit jours après l’arrestation de sept responsables de la FIFA à Zurich, et deux jours après la démission de Sepp Blatter. Soit une saillie en forme de coup de latte par derrière sur un homme à terre.
L’objet de l’arrangement en question ? La main de Thierry Henry, un soir de novembre 2009. Le contenu du « très bon accord » ? Près de cinq millions d’euros, rien de moins. Pourtant, juste après le match, Delaney avait déclaré que la contestation irlandaise n’était « pas une question d’argent, mais une question d’intégrité sportive » . Dans la foulée, il avait ignoré le prix du fair-play proposé par la FIFA. Mais, dans les coulisses, John Delaney a continué à manœuvrer. Comme depuis le début de l’ascension du Roi John dans les arcanes de la FAI.
Keane et Delaney, ennemis puis amis
Le patronyme Delaney est bien connu du football irlandais. Le « Baron Joe » , père du « King John » , est le trésorier de la FAI dans les années 90. Un dirigeant impliqué dans une affaire de revente de billets officiels liée aux Coupes du monde 1990 et 1994, qui finira par se faire lourder la nuit du 8 mars 1996 dans une ambiance de règlements de comptes. John a alors 29 ans et n’est qu’un modeste délégué de Waterford. Mais l’éviction de son paternel va exciter son ambition et aiguiser ses canines. Cinq ans plus tard, en 2001, il devient à la suite du père le plus jeune trésorier de l’histoire de la FAI, à 34 ans. L’étape d’après, c’est un opportunisme bien placé en 2002 dans l’affaire de Saipan, en se ralliant à une partie de l’opinion publique qui réclame la tête de Roy Keane. Le capitaine vient de critiquer publiquement les méthodes du sélectionneur McCarthy lors de la préparation à la Coupe du monde 2002, sur l’île de Saipan. Keane est exclu, Delaney s’est fait un prénom. Aujourd’hui, Roy Keane est l’assistant de Martin O’Neill, mis à la tête de la sélection par… John D.
Car, depuis, John Delaney a su profiter du départ houleux de Fran Rooney pour prendre la tête de la Fédé en 2004, puis pour être prolongé par deux fois, jusqu’à percevoir un salaire de 430 000 euros annuels. Soit le double de ce que gagne le champion de la League of Ireland, soit aussi plus que les émoluments de ses homologues italiens et espagnols réunis. Dans un pays où la moitié des clubs de l’élite a du mal à joindre les deux bouts, les chiffres passent mal auprès des suiveurs. Et la réduction de salaire consentie en 2010 par le boss – de 430 000 à 340 000 euros annuels – ne suffit pas à arrêter le feu des critiques. Encore aujourd’hui, après l’Euro réussi de ses Boys in Green, Delaney doit faire appel au mécène privé Denis O’Brien pour assurer la reconduction des contrats du sélectionneur – 1,1 millions d’euros à l’année, comme Fernando Santos – et de son staff. Les subventions de gouvernement, de l’ordre de 2,7 millions d’euros annuels pour le fonctionnement du football irlandais, ne suffisent pas à calmer l’appétit des gloutons.
« Je valide votre nouvelle copine »
Dans l’opinion publique, d’autres images passent mal. Celle du vague sosie d’Ancelotti en soirée au lendemain de la piteuse campagne irlandaise à l’Euro 2012 en est une. Les supporters ne seront satisfaits ni par sa justification – selon laquelle son staff et lui avaient « organisé une participation sans échecs sur le plan administratif. C’était notre rôle principal et nous avons réussi.(…)Je pense que c’est quelque chose que j’ai le droit de faire de temps à autre. » –, ni par le soutien de Giovanni Trapattoni, à sa manière : « En Angleterre et en Irlande, c’est une habitude. Parfois, quand certains comportements me surprennent, on me dit : « Nous sommes irlandais » ou « Nous sommes anglais ». (…)C’est quelque chose de culturel. Parfois, nous avons les mêmes problèmes avec les joueurs. » Le Trap’, qui n’aura pas réussi à qualifier l’Irlande au Mondial 2010, qui sera sorti de l’Euro 2012 avec trois défaites dans la musette, et qui aura échoué dans sa quête du Brésil 2014, finira par quitter un poste pour lequel il avait été choisi par Delaney moyennant 1,8 million d’euros annuels.
Aujourd’hui, lorsque Delaney félicite les supporters verts d’être « les meilleurs ambassadeurs de l’Irlande » , ces derniers ne lui retournent pas le compliment. Les T-shirts « Fuck Delaney » ont fleuri un peu partout en France. Ce n’est pas tant pour sa femme, la distinguée Emma English – que « Sepp Blatter a fixée pendant sept ou huit secondes, puis a dit :« Je valide votre nouvelle copine. » Je lui ai dit de bouger » –, que pour sa gestion hasardeuse du championnat local. Des difficultés financières, une formation inexistante, les meilleurs joueurs partant très jeunes en Angleterre, et un public désertant des stades en décrépitude. Même le « très bon accord » de quelques millions gratté à la FIFA ne suffit pas à adoucir les rancœurs.
Thierry Henry vs Simon Cox
Et ce n’est pas tant le double jeu de JD qui est critiqué. Après le match face aux Bleus, interrogé sur la qualification française, il répondait : « Je poserai la question aux joueurs et à l’entraîneur, et s’ils me disent que le résultat est injuste, je ferai ce qu’on me demande. » Justement. En 2012, il faut aux Irlandais au moins un point face à l’Arménie pour accéder aux barrages, sinon ce sera pour la clique à Mkhitaryan. À la 26e, Simon Cox, attaquant irlandais, contrôle de la main, puis tire sur le torse du gardien Berezovsky sorti à sa rencontre hors de la surface. L’arbitre siffle et expulse… le gardien arménien, et les Irlandais de s’imposer 2-1. Dans la zone mixte, Cox n’élude pas : « Le ballon est venu par-dessus mon épaule, j’ai essayé de le contrôler. Je ne pense pas que le gardien ait touché le ballon de la main. » Mais, comme d’autres dans sa position, Delaney sait avoir la mémoire sélective. Va pour les barrages, donc. Et pour une qualification au bout.
Non, si les Irlandais ne se satisfont pas de l’arrangement, c’est au regard de l’utilisation de la somme. Le lendemain de la révélation de Delaney, le 5 juin 2015, la FIFA éclaire l’affaire à L’Équipe : « Alors que la décision de l’arbitre était sans appel, et que la FAI a fini par l’accepter, en janvier 2010, la FIFA a conclu un accord avec la FAI pour mettre fin à toute procédure contre la FIFA. La FIFA a accepté de prêter cinq millions de dollars (4,4 millions d’euros) à la FAI en vue de la construction d’un stade en Irlande. À la même période, l’UEFA a aussi prêté des fonds pour le même stade. L’accord prévoyait que la FAI rembourserait le prêt si l’Irlande se qualifiait pour la Coupe du monde 2014, ce qu’elle n’a pas réussi à faire. En conséquence, et au regard de la situation financière de la FAI, la FIFA a décidé le 31 décembre 2014 de ne pas demander le remboursement de ce prêt. »
Il y a donc un contrat conditionnant le remboursement d’un prêt à une qualification à un tournoi sportif, le prêt lui-même déjà accordé pour mettre un terme à des poursuites judiciaires. Puis il y a l’objet du prêt, la construction de l’Aviva Stadium national, partagé entre rugby, football et concerts, là où les clubs apparaissent les plus en besoin. Il y a enfin une interrogation des échelons politiques, questionnant la FAI sur l’absence d’inscription de la somme dans les comptes depuis 2010. Ce à quoi la FAI de Delaney a répondu : « Tout est inscrit dans nos documents officiels, qui sont audités par un organisme indépendant.(…)L’accord n’a jamais influencé la critique de la FIFA par la FAI, ainsi que le montrent nos critiques constantes de Sepp Blatter. » Pourtant, moins de 10 jours après les révélations de l’accord, l’édito du programme du match entre l’Irlande et l’Écosse est modifié, les phrases assassines envers l’ex-boss de la FIFA retirées, le tout ré-imprimé pour 18 000 euros. L’auteur de l’édito ? John Delaney, évidemment.
Par Eric Carpentier