- Décès de Johan Cruyff
Johan Cruyff en 10 dates
Si chaque jour de la vie incroyable de Johan Cruyff a valu le détour, il y a tout de même dix dates à retenir du parcours de l'élégant extraterrestre sur notre planète.
7 décembre 1966 – 2e tour de Coupe d’Europe, Ajax Amsterdam-Liverpool FC 5-1
Collision frontale entre deux mythes en gestation de l’Europe du football, dans l’épais brouillard du stade Olympique. Du rond central, on voit à peine les buts. Les Reds de Bill Shankly, finalistes de la Coupe des coupes six mois plus tôt, veulent reporter. L’arbitre refuse. Une tornade rouge et blanc finit par les emporter. Ce soir-là, Cruyff inscrit un but et donne deux passes décisives. Les Anglais sauvent l’honneur à la dernière minute. Dans Rouge ou mort, David Peace rapporte le dialogue entre Matt Busby et Shankly, trois jours plus tard à Old Trafford : « Rude ? Non. Là-bas, on n’a jamais été battu par l’Ajax, on a été battu par le brouillard. Et à Anfield, il n’y a pas de brouillard » , avance Shankly. « Ce n’est pas un crime de croire au père Noël, Bill, j’espère juste que vous avez des cheminées assez grandes à Anfield » , rétorque le manager de Manchester United. Le 14 décembre, Cruyff danse sur le ventre des gars du Merseyside (2-2). Le Hollandais marque les deux buts de son équipe et inscrit l’Ajax sur la carte du foot mondial.
2 décembre 1968 – Mariage de Cruyff avec Danny Coster
En 1964, Johan Cruyff lie son destin avec un ancien diamantaire, Cor Coster. Ce dernier devient son agent, son mentor et un père de substitution… Le binôme reconfigure le lien contractuel entre les joueurs, les clubs et les sponsors. Accessoirement, l’aîné présente sa fille, une blonde altière, à son cadet. Un coup de foudre et un mariage plus tard, Danny donne naissance à trois enfants : Chantal, Susila et Jordi. Depuis, celui que les joueurs du PSV Eindhoven surnommaient « le Gendre » au milieu des 70’s n’a plus pris une décision sans en référer à son omniprésente dulcinée. Quarante-six ans que ça durait. Elle est là, la Dream Team.
28 mai 1969 – Finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, Milan AC-Ajax Amsterdam 4-1
Première finale de C1 pour un club néerlandais. Les jeunes de l’Ajax paient pour apprendre. Le Milan de Gianni Rivera, cornaqué par Nereo Rocco (déjà là pour la première Ligue des champions des Rossoneri en 63) est trop rodé pour les Ajacides. Un triplé de Prati en contre plie l’affaire. L’année suivante, Feyenoord gagne la première Coupe d’Europe batave. Puis ce sera le triplé royal de l’Ajax, sur la scène continentale. En finale, Cruyff et les siens retrouvent parfois des Italiens, comme l’Inter (2-0) en 72 ou la Juve (1-0). Le Milan, lui, paie son péché originel en finale de la Supercoupe d’Europe 73 (6-0). Sans Cruyff…
30 octobre 1970 – Championnat des Pays-Bas, Ajax Amsterdam-PSV Eindhoven (1-0)
Au début de la saison 1970-71, l’Ajax doit faire sans Cruyff. Une douleur tenace à l’aine qui s’était déclarée à l’été l’écarte des terrains pendant les trois premiers mois de l’exercice. Johan revient le 30 octobre 1970 contre le PSV (1-0). Et là, surprise ! Il ne porte plus son numéro 9, mais le numéro 14. À l’époque, les joueurs du onze de départ étaient obligatoirement numérotés de 1 à 11. Explication : c’est Gerrie Mühren qui avait récupéré le numéro 9 car, un jour de match, il n’avait pas trouvé son numéro 7 attitré dans la corbeille à maillots et comme Cruyff était durablement blessé… Quand Johan est revenu, il s’est rabattu sur le numéro 14, numéro le plus proche disponible (le 12, celui de Blankenburg, et le 13 étaient réservés aux deux seuls remplaçants autorisés à l’époque). Cruyff décide de conserver le numéro 14 qui restera pour toujours lié à sa légende, comme le numéro 23 de Michael Jordan. En son hommage, un magazine de foot néerlandais se baptise Nummer 14. Cruyff n°14, Chanel n°5 : deux must éternels…
7 mars 1973 – Quart de finale aller de la Coupe d’Europe des clubs champions, Ajax Amsterdam-Bayern Munich 4-0
Le Bayern, fort de ses sept vainqueurs de l’Euro l’année précédentes et de ses six futurs champions du monde l’année suivante, vient défier l’Ajax chez lui. Les Bavarois tiennent, héroïques, quarante minutes avant que la coque ne se fendille : sauvetage sur la ligne de Roth et frappe de Krol sur le poteau. En deuxième mi-temps, Beckenbauer, Maier, Breitner, Müller et Hoeness ne touchent plus terre. Le jeu de l’Ajax ressemble à un ballet parfaitement chorégraphié où l’occupation des espaces et la dextérité technique se combinent à merveille. Un doublé de Haan, une volée venue d’ailleurs de Gerrie Mühren et un coup de tête tardif de Cruyff finissent par achever les champions d’Allemagne. Le chorégraphe a changé (Stefan Kovács pour Rinus Michels), mais le FC Van Gogh vient alors de donner la première véritable leçon de football de l’histoire des coupes d’Europe. Deux mois et demi plus tard, la bande à Cruyff rafle sa troisième C1. Dans la nuit noire d’Amsterdam, Sepp Maier, dégoûté par tant de maestria, jette de rage son équipement dans un canal. Seize mois plus tard, au moment d’affronter les Pays-Bas en finale de leur mondial, les Bavarois et Maier se vengeront du « pire moment de (leur) carrière » .
7 juillet 1974 – Finale de la Coupe du monde, Allemagne de l’Ouest – Pays-Bas 2-1
Cruyff a bien failli ne pas jouer le Mondial 1974 pour une vulgaire histoire de bandes. Les Pays-Bas sont alors sous contrat avec Adidas, ce qui n’est pas le cas de Neeskens et de Cruyff, qui viennent tout juste de passer un deal avec Puma. Dans un premier temps, les deux joueurs expliquent qu’ils sont prêts à jouer avec le même maillot que le reste de leurs coéquipiers moyennant une compensation financière. Cor Coster, l’agent du numéro 14, se montre plus inflexible avec la fédé : son poulain ne jouera pas en trois bandes. Adidas, Coster et les dirigeants oranje trouvent finalement une solution à l’hôtel Hilton d’Amsterdam : les deux Johan vont pouvoir jouer en deux bandes. En finale, au moment de la photo officielle d’avant-match, Henry Warmenhoven, le chef du marketing d’Adidas, tentera malgré tout de placer un sac Adidas pour masquer les crampons Puma de Cruyff. L’affaire fait jurisprudence en droit du sport et donne des idées aux champions du monde allemands, qui exigent d’être payés pour avoir porté des moulés Adidas… L’an passé, Cruyff a commercialisé un modèle de son fameux maillot 74. Rancunier, l’équipementier allemand a demandé et obtenu qu’il soit retiré du marché. Au plus grand dam de JC : « J’espère que les choses vont s’arranger, car personne ne pense que ce maillot est un Adidas. Ces deux bandes m’appartiennent, spécialement lorsqu’elles sont combinées avec le numéro 14. Elles font partie de mon identité, pas de celle d’Adidas. »
31 décembre 1974 – Johan Cruyff gagne son troisième Ballon d’or
Six mois après la défaite des Bataves contre les Allemands de l’Ouest (1-2) en finale de la Coupe du monde, des centaines de milliers de gamins, partout dans le monde, retrouvent le sourire. Contre toute attente, leur héros absolu, Johan Cruyff, soulève le Ballon d’or. Son troisième. Cette année-là, son plus féroce adversaire s’appelle Franz Beckenbauer. En plus d’être l’incarnation du libero moderne, il a gagné la Bundesliga et la Coupe d’Europe des clubs champions avec le Bayern, ainsi que le Mondial avec la Mannschaft. Cruyff, lui, n’est « que » champion d’Espagne et finaliste de la Coupe du monde. D’autant plus étonnant qu’à l’époque, les jurés du Ballon d’or ne transigeaient pas avec le palmarès. Lionel qui ?
13 mai 1987 – Premier titre en tant qu’entraîneur, Ajax Amsterdam-Lokomotiv Leipzig 1-0
Après une expérience aux States, un premier retour à l’Ajax en fin de carrière, une dernière saison chez l’ennemi héréditaire du Feyenoord et une année sabbatique, Cruyff devient coach de l’Ajax à l’été 1985. Avec les Lanciers, il peaufine un système qui fera école : trois défenseurs en zone, un libero devant ou derrière la défense, deux « numéros huit » qui contrôlent le jeu et alimentent les attaquants, deux ailiers, un faux meneur de jeu et un avant-centre mobile. À Amsterdam, il lance Van Basten et Bergkamp, gagne deux coupes nationales et atteint deux finales de Coupe des coupes. Il perd la seconde contre Malines avant de s’envoler vers Barcelone. Son vrai destin.
20 mai 1992 – Cruyff remporte la première Ligue des champions du Barça, FC Barcelone-Sampdoria de Gênes 1-0 ap
Un puissant coup franc de Ronald Koeman dans la prolongation de Wembley met fin à trente-sept ans d’incongruité historique. La Dream Team de Cruyff touche enfin le Graal, alors que son rival honni, le Real, compte déjà six coupes aux grandes oreilles. Pour ce dépucelage en règle articulé par une philosophie de jeu unique, Johan Cruyff restera pour l’éternité dans l’imaginaire catalan. La gifle reçue par le Milan AC en finale 1994 (0-4) n’égratigne même pas l’aura du père fondateur du style blaugrana. Mes que un club…
Mai 96 – Johan Cruyff est limogé du Barça
Après deux saisons sans titre, le président Nunez destitue Cruyff à deux journées de la fin dans les vestiaires du Camp Nou, après que celui-ci s’est étonné des rumeurs annonçant l’arrivée de sir Bobby Robson l’été suivant. Malgré onze titres en huit ans (plus trois finales internationales : C1, C2, intercontinentale), Cruyff est viré comme un malpropre. Les gamins de la Masia sont orphelins et voient débouler à l’intersaison un jeune inconnu brésilien, acheté à coups de millions : Ronaldo. O Fenomeno détonne, mais ne fait pas oublier pour autant la philosophie de Cruyff qui, à 49 ans, décide de prendre définitivement sa retraite du foot. Le mythe s’en est allé. Ses idées, elles, sont restées.
Par Rico Rizzitelli, avec Chérif Ghemmour