- C1
- J1
- Leverkusen-CSKA Moscou
Joel Pohjanpalo, l’homme qui voyait triple
Depuis la rentrée, le Bayer Leverkusen a un nouvel épouvantail. Une tête blonde aussi angélique en photo que diabolique sur le terrain, le Finlandais Joel Pohjanpalo, buteur frénétique et très pressé, qui n'aime rien tant que de crucifier les équipes à peine sorti du banc.
Il y a un an, le 22 septembre 2015, Robert Lewandowski entrait à la mi-temps d’un Bayern Munich-Wolfsburg pour marquer l’histoire. Les Bavarois sont menés 1-0, et alors ? Le Polonais assomme la partie avec un quintuplé en neuf minutes. Dix jours plus tard, à 1 500km de là, Kun Agüero tentait sa chance lors d’un Manchester City-Newcastle en s’envoyant un quintuplé en vingt minutes. Joel Pohjanpalo, lui, a fêté ses vingt-deux ans hier, et se sent peut-être trop jeune pour de telles acrobaties. Alors il se contente pour l’instant de planter des triplés en un quart d’heure, de marquer quatre buts en BuLi en trente minutes passées sur le terrain, et d’être l’unique buteur de Leverkusen en championnat. Le tout en deux journées, et le voilà qui vient prendre la pose avec la machine Lewandowski en tête du classement des buteurs outre-Rhin. De quasi-anonyme, il a donc fallu deux matchs, dont une performance démentielle samedi dernier face à Hambourg, pour que le Finlandais devienne l’attraction de ce début de championnat. Lors de la première journée, Joel Pohjanpalo avait tranquillement patienté sur le banc avant d’entrer à la 78e, et de marquer deux minutes plus tard. Histoire de lancer sa saison en douceur, malgré la défaite (2-1) face à Mönchengladbach. Et lors de son coup de folie hambourgeois, il a, là aussi, gentiment fait la queue, n’entrant en jeu qu’à la 72e minute, alors que son équipe perdait 1-0. Un premier but à la 79e, deux autres dans les arrêts de jeu, et le bonhomme rentre à la maison avec trois buts et trois points, la mèche blonde platine à peine décoiffée.
Inspecteur gadget
La partie avait pourtant démarré comme un cauchemar pour Leverkusen. Bellarabi se blesse aux adducteurs dès la première minute, et la sortie minable de Leno aux 35 mètres à l’heure de jeu avait coûté un but au Bayer, qui courait droit vers une deuxième défaite consécutive. Agacé sur le bord du terrain, Roger Schmidt avait fini par envoyer son arme fatale au combat, en ne lui donnant que cette consigne simple : « Marque un but. » Facile à dire, encore moins à faire, visiblement. Alors que le pauvre Chicharito a enquillé les buts toute la saison dernière, et que presque tout le monde s’en fiche, Joel Pohjanpalo amène un joli coup de projecteur sur lui et sur le Bayer Leverkusen. Pourtant, l’attaquant n’en est toujours qu’au stade du « gadget » , du phénomène sympathique dont on attend la suite. Inconnu avant cette saison, le Finlandais enchaînait les prêts depuis son arrivée à Leverkusen en 2013. Une saison à Aalen, deux à Düsseldorf, toujours en deuxième division allemande. Il s’y était permis quelques petits plaisirs, comme ce mois d’octobre 2014 à six buts en quatre matchs – dont un triplé, forcément –, récompensé par le titre de joueur du mois, mais avait enchaîné avec une saison 2014-2015 décevante : « Ce n’était pas facile pour moi. C’est une honte, mais parfois ça se passe comme ça. Mais j’ai toujours su que j’étais assez bon pour jouer avec Leverkusen. » La confiance est réciproque, et le Bayer le récupère à l’été 2016. Avant ces péripéties, Pohjanpalo avait vaguement été testé par Liverpool, qui ne lui promettait pas assez de certitudes quant à son statut et son temps de jeu, et à qui il avait fini par fermer la porte.
« Poe-yan-pal-okh »
Joel est donc passé directement de la Finlande à l’Allemagne. Au pays, ce natif d’Helsinki touche ses premiers ballons au HJK, le club aux 119 ans et aux 27 titres de champion. Les passionnés de football du grand Nord ont pu y observer certaines de ses saillies, comme ce match d’ouverture de la saison 2012, alors qu’il n’a que dix-sept ans. La 70e minute de jeu arrive, et le HJK perd 1-0 à domicile face à l’IFK Mariehamn. À la 71e, Pohjanpalo égalise. 162 secondes plus tard, il inscrit son troisième but. Un but du droit, un du gauche, un de la tête, et la boutique est fermée. Face aux caméras, le minot se contente d’explications banales, comme après le triplé de Hambourg : « Je suis un buteur, je veux juste marquer à chaque match. Si je ne le fais pas, je ne suis pas heureux. » Un homme de plaisirs simples, même si, lucide, il reconnaît tout de même avoir frissonné comme jamais ce jour-là, toujours en s’appuyant sur des considérations mathématiques : « C’était super, j’ai eu quatre occasions et j’en ai mis trois. C’était le plus beau moment de ma carrière. » Au-delà de concourir pour la médaille Fields, Pohjanpalo – à prononcer « Poe-yan-pal-okh » – est également en train de devenir une mascotte, puisque comme beaucoup de joueurs attachants au nom un peu trop long, les fans lui ont trouvé un surnom. « Danger » . Référence au danger qu’il amène, bien entendu, mais aussi à sa ressemblance avec un personnage du même nom dans le film Fack ju Göhte, plus gros succès au cinéma en Allemagne en 2013. Moins inventifs et moins cinéphiles, les supporters de Düsseldorf s’étaient contentés de le surnommer « The Iceman. » Un nom de super-héros. Ce qui, ces derniers temps, ne lui va pas si mal.
Par Alexandre Doskov