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Joël Muller et Daniel Leclercq : « Les cadors, ce n’était pas Paris ou Marseille. C’était Metz et Lens »
En plus d'avoir compté exactement le même nombre de points à la fin de la saison 1997-1998, le Lensois Daniel Leclercq et le Messin Joël Muller ont beaucoup en commun. La différence majeure ? Le Druide a été champion de France. Vingt ans plus tard, c'est avec du recul sur les événements et plus aucune fonction dans leur club respectif que les anciens coachs échangent sur ce glorieux passé, mais aussi sur les retrouvailles entre Mosellans et Artésiens ce samedi. Pour un sommet de... Ligue 2.
Il y a un peu plus de vingt ans, le FC Metz et le RC Lens se disputaient le titre de première division. Ce samedi, c’est la place de leader de Ligue 2 qui est en jeu. Ça vous fait quoi de voir vos clubs dans cette situation ?Joël Muller : C’est le lot de tous les clubs de vivre des moments délicats. Mais je ne suis pas fataliste. L’équipe de cette année me semble supérieure, et de loin, à celle que j’ai vue l’année dernière. On n’en est qu’à la 5e journée, mais c’est difficile de lui trouver des points faibles. En espérant qu’on arrive à garder cette sérénité… Daniel Leclercq : C’est déjà bien de les voir en haut de tableau. À Lens, on a toujours eu beaucoup de sympathie pour Metz. Parce que ce sont deux clubs qui se ressemblent, mais aussi parce que des personnes comme Michel Ettore et Joël y sont passés. J’étais heureux de voir Frédéric Antonetti arriver à Metz. Je leur souhaite vraiment de remonter dès cette saison en Ligue 1 et d’y rester. En compagnie du Racing Club de Lens, cela va de soi.JM : Quand on voit qu’il y a en moyenne 30 000 spectateurs à Bollaert et 15 000 à Saint-Symphorien, on se dit que la place de ces clubs est en première division. C’est en tout cas ce que je leur souhaite.
Au regard de ça, votre duel lors de la saison 1997-1998 ressemble à un lointain souvenir. On vous en reparle beaucoup ?JM : C’est vrai que le temps passe vite, et on a tendance à oublier ce qu’on a vécu. On m’en reparle surtout quand Metz est dernier de Ligue 1. Quand on remonte, tout va bien. Mais c’est partout pareil, on ne garde du passé que les bonnes choses. Ceux qui ont plus de 50 ans aujourd’hui repenseront toujours au match de Barcelone, les Coupes de France, etc. Mais il faut vivre dans le présent et le futur.
DL : J’ai l’impression qu’on se rend compte seulement aujourd’hui de ce qu’on a fait. Je suis un habitué des brocantes. Le week-end, je croise plein de personnes du Nord-Pas-de-Calais, de tout âge, des amoureux du foot, qui sont tout simplement reconnaissantes. Ces mercis restent la meilleure des récompenses.JM : Pour moi, ça reste un souvenir mitigé. Positif parce qu’il y avait le sentiment du travail accompli. J’avais un groupe humainement et footballistiquement de qualité, qui a très peu changé pendant quatre saisons, ce qui est assez rare à Metz. D’habitude, on vend nos joueurs dès qu’ils sont performants. Là, on a eu une gestion ambitieuse. Jouer le titre était donc la concrétisation de tout ça. Mais il reste la déception de laisser filer un titre pour cinq buts. Pour le public, cela peut renvoyer à des souvenirs de plaisir et de joie, mais pour moi non. On méritait autant que Lens de finir premier.
La preuve que ça bossait : trois ans plus tôt Joêl était déjà en nage.
Il y a encore une pointe d’amertume chez vous, Joël.JM : Oui, l’amertume de toute façon, je l’ai à chaque fois que je perds. Même si je perds une partie d’échecs contre mes petits-enfants, je fais la gueule.
Si vous deviez raconter cette saison à un jeune qui ne l’a pas vécue, vous lui diriez quoi ?DL : Je lui dirais que j’ai pu mettre les garçons dans les meilleures dispositions. L’image que les gens ont du Nord, en plus d’un patois incompréhensible, c’est un foot besogneux et laborieux. À Lens, on a montré qu’on avait aussi du cœur et du talent. C’est en prenant conscience de ça qu’on a fait de belles choses. On avait un jeu plaisant, malgré tout ce qu’on a pu en dire. C’était très offensif, basé sur des transmissions rapides vers l’avant, avec beaucoup de fluidité et un partage des tâches défensives. Ce titre, c’est le travail d’une saison et on ne peut le résumer à une double confrontation avec Metz. On n’aurait jamais cru pouvoir être champions à la trêve, surtout que Metz était un solide leader. JM : Le tournant mathématique de la saison, c’est quand Lens vient gagner chez nous (0-2, doublé d’Anton Drobjnak, N.D.L.R.). En gagnant, à cinq journées de la fin, on aurait fait certainement un pas important vers le titre. Mais on avait aussi laissé échapper des points importants plus tôt, notamment à Cannes où on se fait égaliser sur un but merdique. Le fameux Metz-Lens était un match équilibré. Je me suis longtemps demandé si on ne s’était pas mis plus de pression que d’habitude, quelques garçons n’avaient pas eu leur rendement habituel. Après, on peut toujours se reprocher des choses, mais là ils étaient meilleurs que nous.
Quelles étaient les forces de ces deux équipes ?JM : Lens avait une vraie solidarité, avec des garçons qui jouaient ensemble depuis plusieurs années. Un certain nombre de gars étaient du club, ce qui était important à cette époque-là. Et il y avait deux ou trois joueurs qui pouvaient faire la différence. Nous, on avait Fred Meyrieu, Robert Pirès et Jocelyn Blanchard, eux ils avaient Stéphane Ziani, Anton Drobjnak ou encore Tony Vairelles.DL : Pour moi, les cadors du championnat, ce n’était pas Paris ou Marseille. C’était Metz et Lens. Metz était impressionnant. C’était une équipe très forte, nous on était revanchards parce que quelques mois avant le club avait failli descendre. Ça a été une force pour ce groupe, uni et éduqué dans les valeurs du club.
Quand on est un coach, comment aborde-t-on cette dernière journée, sachant que Lens se déplaçait à Auxerre et ne comptait que deux points d’avance sur Metz qui recevait Lyon ?JM : Au bout d’une année, l’équipe se connaît et il n’y a pas besoin d’appuyer sur l’accélérateur pour qu’elle fasse ce qu’elle a à faire. Il fallait battre Lyon pour continuer à espérer. C’est tout. Si au bout de 36 matchs, quand on joue le titre de champion, l’entraîneur doit encore intervenir en permanence, ce n’est pas normal. Chacun était bien au courant de son rôle, et la seule consigne était de jouer sur nos qualités, sans plus de pression que d’habitude, mais avec le plaisir d’être là. Disputer ce genre de matchs, avec cet enjeu, est assez rare dans une carrière.DL : De notre côté, on l’a vécu calmement. Même à la mi-temps du match, alors qu’on était mené (1-0, but de Lamouchi pour l’AJA, N.D.L.R.) et que Metz avait ouvert le score (1-0, but de Rodríguez, N.D.L.R.), ce n’était pas important. Moi ce qui m’intéressait, c’était le contenu de la première mi-temps. Je savais que ça allait passer.
Finalement, c’est Yoann Lachor qui vous délivre en égalisant. Le début d’une euphorie incroyable à Lens. Daniel, comment avez-vous vécu ces moments ? DL : Je ne suis pas quelqu’un qui saute joie ou se roule par terre. J’ai adressé mes premières paroles à ceux qui n’étaient plus là et qui auraient tant aimé vivre ce moment-là. Le retour à Lens était fabuleux, mais on n’a pas trop eu le temps de fêter ça, parce qu’on partait en tournée en Martinique deux jours après. Comme il y avait la Coupe du monde et que la trêve était longue, on avait prévu plusieurs matchs là-bas après le championnat. Ça tombait bien : on a pu aller s’amuser et profiter entre nous.
Lens et Metz n’ont pas géré de la même manière l’après-98. Metz est rapidement rentré dans le rang, quand Lens a pu goûter à de jolis parcours européens. Pensez-vous que c’est l’obtention du titre qui est la vraie variable ?JM : Pas nécessairement parce qu’un an plus tard, on se retrouve en finale de la Coupe de la Ligue, que l’on perd sur un but heureux de Daniel Moreira. Mais cela prouve que les deux équipes avaient gardé de l’appétit et de l’ambition, même si nous avions perdu nos joueurs phares. Des garçons qui progressaient depuis quatre ans et qui se retrouvaient en fin de cycle à Metz.DL : En 1999, lors de la finale de Coupe de la Ligue, on a peut-être senti que la courbe s’était inversée. On était plus confiants.JM : Quand Pirès est sollicité par Marseille ou Blanchard par la Juventus, c’est difficile de les retenir. On ne pouvait pas perdre tous les bénéfices de ces saisons de qualité. Après, il faut rebâtir et il aurait fallu faire quelques matchs de Ligue des champions, comme l’a fait Lens, pour continuer de grandir, améliorer le stade, conserver de bons joueurs et faire en sorte que tout le monde reste mobilisé. C’est comme ça qu’on aurait pu faire comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’épée dans l’eau, un miracle, et éviter que l’on retrouve aussitôt nos bonnes vieilles habitudes de club moyen du championnat de France. C’est ça qui a manqué : un peu plus d’ambition pour rester en haut. Lens l’a fait, mais quelques années plus tard, ils n’ont pas réussi à s’y maintenir.
D’ailleurs, Joël, cette période dorée lensoise s’est achevée quand vous étiez sur le banc lensois. Le titre vous échappe encore en 2002 lors de la dernière journée contre Lyon…JM : Oui, même si les paramètres n’étaient pas les mêmes. À Metz, c’était l’apothéose. Là, je trouve un groupe un peu moins en place, qui avait finit 14e la saison précédente. Mais pourtant, on gagne le premier match contre Lyon, une ambiance se crée et on commence à enchaîner les victoires. Bon, à l’arrivée, le résultat est le même : je suis le Poupou du football. Ça s’est joué sur un match, le dernier de la saison, contre notre adversaire direct, Lyon, qui imposera à partir de ce moment sa domination.
Voir Metz et Lens à ce niveau, deux places fortes du championnat de France, mais qui n’ont pas toujours joué les premiers rôles, c’est aussi le vestige d’une D1 dont l’issue ne s’écrivait pas à l’avance. Le titre était ouvert à plusieurs équipes (7 champions différents dans les années 1990), notamment des clubs plus modestes représentant des villes petites ou moyennes. Ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Qu’est-ce que ça raconte de l’évolution de la Ligue 1 ?
JM : Il y a un bon et un mauvais côté à ça. Certes, cela limite les surprises, malgré les contre-exemples de Lille et Montpellier. Mais aujourd’hui, il y a quatre ou cinq clubs dominants et qui seront difficiles à déloger. D’un autre côté, le football français est devenu bien plus attractif, avec l’arrivée de financiers étrangers qui permettent aux clubs de conserver leurs meilleurs joueurs et d’en attirer. Ce qu’on n’arrivait pas à faire il y a dix ans. Ce sont de superbes choses pour le football français. Même si ça se fait au détriment des plus petits clubs qui ne peuvent plus que viser la cinquième place.DL : C’est sûr qu’il faut l’accepter. Bon, moi qui regarde le foot à la télé, j’y prends moins de plaisir. On en connaît l’issue à l’avance.
Comment expliquer que Metz et Lens n’aient pas pu accrocher le bon wagon après avoir connu les sommets ?DL : Lens comme Metz sont des clubs qui ont toujours vécu de leur formation. La formation, c’est bien, ça permet de survivre, mais quand on ne peut pas garder les joueurs plus de deux ou trois ans, c’est compliqué de rester compétitif. À un moment donné, si on avait pu garder un peu plus longtemps Varane, Aurier et Kondogbia, ça aurait été mieux. Là c’est tout juste s’ils ont fait une saison en pro.JM : Je pense que Metz a manqué de régularité ces dernières années. Chose qu’on peut acquérir avec deux ingrédients : un, un entraîneur que l’on conserve parce qu’on croit en lui ; deux, un effectif de mecs sympas, collectifs, altruistes et qui ont envie de se bouger le cul pour le club et le public. Avec ça, normalement, on peut tenir la route. Je ne remets pas en question les entraîneurs. Mais quand on bâtit une équipe, il faut savoir sur quoi on se base. On prend en compte la valeur intrinsèque du joueur ou aussi son caractère et sa personnalité ? Le mec qui ne joue pas, s’il fait la gueule, c’est qu’il n’est pas fait pour ce club. À Metz, on a eu des mecs ces dernières années qui n’étaient pas toujours dans l’esprit.
Vous avez une approche et une analyse assez similaires des choses. C’était déjà le cas à l’époque ?JM : Daniel, c’est un peu le même style d’entraîneur que moi. On est très attachés au club et aux gens. Le côté humain a extrêmement d’importance. On met dans notre management à la fois de la rigueur, mais aussi de l’humanisme. On fait appel à l’intelligence des joueurs, à leur sens des responsabilités. On avait le même fonctionnement dans des clubs qui avaient les mêmes vertus. On était des adversaires, mais on partageait beaucoup de choses au niveau de notre métier.DL : Nous avons connu des clubs familiaux et populaires, donc on exerçait dans le même milieu. Quand on a le bonheur d’avoir un tel public, on a un devoir. Automatiquement. On doit le savoir quand on signe dans ces clubs. J’ai beaucoup d’admiration pour Joël. C’est l’exemple, c’est le Messin, il ne lâche pas, il reste derrière son club.
Vous vous étiez déjà retrouvés l’un et l’autre pour discuter de cette saison 1997-1998 ?DL : On a mangé une fois ensemble en 2001, quand Joël est venu entraîner Lens en 2001. Mais il s’agissait plutôt de lui donner quelques éclairages sur le club.JM : Ce serait un plaisir d’aller boire une petite mousse ensemble et parler de cette époque-là. Mais je ne suis pas un homme du passé, donc on parlera plus de l’avenir du football. Surtout que revenir sur cette saison serait forcément plus agréable pour Daniel que pour moi.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger