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Jocelyn Gourvennec : « La passe relève presque d’une quête philosophique »

Propos recueillis par Thomas Rostagni à Pabu (Côte-d'Armor)
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Jocelyn Gourvennec s'épanche sur son métier, ses convictions, son limogeage de Bordeaux et son amour de la passe. Entretien.

On n’imaginait pas forcément le joueur Gourvennec devenir coach. À quel moment l’as-tu décidé ?J’ai su tôt que j’allais devenir entraîneur. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais c’était une évidence depuis tout petit, vers mes six, sept ans, que je serais footballeur pro et qu’ensuite, je deviendrais entraîneur. J’ai toujours eu ça en moi, c’était ma conviction, ma voie. J’ai préparé la suite de ma carrière pro, différemment, avec un autre costume. Une fois que j’ai mis le pied dans le milieu du foot, je n’ai jamais voulu faire autre chose que joueur, puis entraîneur. Les autres postes ne m’ont jamais intéressé, je me suis donné les moyens pour me réaliser comme ça.

Un coach qui n’est que dans le compromis, qui n’a pas d’autorité sur son groupe n’ira pas loin.

Ton parcours de joueur professionnel t’a-t-il laissé des regrets ? Tu es resté aux portes de l’équipe de France…(Il hésite.) J’aurais aimé gagner un titre. Ça s’est joué à rien avec Marseille (2e de Ligue 1 et finaliste de la Coupe UEFA en 1999), voilà… J’ai connu une carrière avec des très hauts et des très bas, comme ma blessure (rupture des croisés en 1995) ou ma mise à l’écart à Marseille, de manière inadmissible, je trouve. Après, je suis tombé dans une génération qui a été championne du monde. En Espoirs, j’étais doublure de Zidane. Il y avait Zidane, Djorkaeff, puis Micoud et Martins avant : ça fait de sacrés joueurs au poste. Aujourd’hui que je suis entraîneur, je le vis mieux que lorsque j’ai arrêté. Quand on prend sa retraite à 34 ans, on se dit qu’on a peut-être raté des choses. En devenant coach, je suis passé à autre chose, je le vis mieux. La carrière, elle est comme elle est. Je suis très content d’avoir à peu près vécu tout ce qu’un joueur peut connaître : le succès, l’échec, le rebond, la déprime, la Ligue des champions, les sélections nationales même s’il n’y a pas eu les A, d’avoir eu de grands entraîneurs, une grave blessure, le chômage, d’avoir été un paria, de m’être fait insulter par mon propre public et même la relégation en fin de carrière (Clermont 2006). Ma vie dans le foot, mes expériences et mes voyages me rendent meilleur entraîneur aujourd’hui.

Après ta formation, tu as commencé à La Roche-sur-Yon en DH (6e échelon). Était-ce un choix par défaut ? Pas du tout. J’ai voulu mettre les mains dans le cambouis et commencer par le bas. Comme première expérience, c’est fondamental. J’ai pu mettre mes idées en place dans un club bien structuré avec une bonne formation chez les jeunes. J’ai touché un peu à tout, à la stratégie sportive bien sûr, mais aussi au budget de fonctionnement, à la détection. Beaucoup d’anciens pros veulent débuter par le plus haut niveau. On n’est pas forcément mûrs pour ça.

Un entraîneur doit-il s’adapter aux aptitudes de ses joueurs ou ceux-ci doivent-ils se fondre dans le système défini par le coach ?Les deux, sans doute. Il faut que l’entraîneur ait des convictions fortes, les explique bien et réussisse à convaincre les gens qui travaillent avec lui – son staff comme ses joueurs – de le suivre dans sa vision. Après, t’es à l’écoute. L’entraîneur, c’est le leader dans une équipe. À Nantes, j’ai eu Jean-Claude Suaudeau (1995-1996), puis Raynald Denoueix (1996-1998), deux entraîneurs déjà très modernes, en avance, qui avaient une vision très claire, un cap qu’ils savaient garder même quand ça fonctionnait moins bien, tout en étant à l’écoute du feeling des joueurs. Quand ça tangue, il faut parfois moduler, adapter son plan de jeu, ses convictions avec le retour des joueurs ou via les adjoints, mais l’autorité, c’est le coach, et une équipe a besoin d’une autorité forte. Un coach qui n’est que dans le compromis, qui n’a pas d’autorité sur son groupe n’ira pas loin.

Tes études en STAPS te servent-elles dans l’approche de ton métier ?Ça m’a donné un savoir universitaire et cela a aiguisé ma curiosité. Entraîner, c’est réfléchir en permanence. La rigueur fonctionnelle est primordiale ; ça donne des repères à tout le monde dans la vie de tous les jours comme sur un terrain. Quand ça va moins bien, ces repères subsistent. Dans tous les métiers en lien avec la pédagogie, on est obligé d’avoir un cadre, sinon, le savoir ne passe pas. Le management, c’est simple : expliquer ce que l’on attend, faire savoir quand on est content et quand on ne l’est pas. Les joueurs n’attendent que ça. Il faut toujours avoir un coup d’avance. C’est un métier où il faut savoir inspirer les joueurs. Coco Suaudeau était un maître dans le genre. Son feeling, sa capacité d’analyse lui permettaient d’avoir toujours la bonne remarque. Plus j’avance, plus j’affine ma méthode. Je pense être plus juste, je gagne du temps dans la gestion des joueurs.

Comment concilier la nature même du foot, un jeu collectif, et l’invasion des datas et des stats de ces dernières années ?Nous autres, entraîneurs, parlons et pensons collectif, équipe en permanence, alors que la société, d’une manière générale, pousse les êtres humains vers plus d’individualisme et de confort personnel. La difficulté, c’est de fédérer la somme de ces comportements plus individualistes qu’avant pour les installer vers un projet collectif, alors que tout les pousse en sens inverse. Sans parler de certains entourages ou agents qui vont jusqu’à indexer les contrats sur les performances individuelles des joueurs.

Les clubs qui souffrent sont les clubs qui n’ont pas de vision.

Souvent, tu parles de « ne pas galvauder une passe ou d’injurier le jeu » … C’est l’essence même de ce sport : le lien entre deux voire entre trois, quatre ou cinq joueurs si on additionne toute une phase de jeu. Entre deux, trois, quatre, cinq passes, on peut avoir un jeu à trois, à quatre, à cinq qui fait la beauté du football. Un travail de passes, ne serait-ce qu’à l’entraînement, c’est déjà travailler ses gammes. Faire une bonne passe, être bon dans la passe, c’est déjà être dans le collectif, être avec l’autre. Si je m’applique à faire une passe, ça veut dire que je m’investis à communiquer le mieux possible avec mon partenaire. C’est la première marque du jeu collectif, l’expression du joueur, ça relève presque d’une quête philosophique.

Bruno Genesio racontait récemment sur sofoot.com qu’ « on est seul quand on est entraîneur » Je ne me sens pas seul, mais la fonction fait que tu dois décider seul. Ce n’est pas pareil. Tu travailles avec ton staff, tu collabores avec ton président, avec les recruteurs, tu prépares un travail d’équipe, mais au bout du compte, les décisions sont pour toi. En permanence : sur des exercices à l’entraînement comme sur des choix forts sur la stratégie à adopter, sur le choix des hommes, qui est dans les dix-huit, qui reste à la maison, en tribunes, sur ta communication après une défaite malvenue. Ce sont des choix de management que tu fais seul… Un coach a des responsabilités et il doit trancher. J’ai été amené à prendre des décisions à Bordeaux et tu ne sais qu’après si c’est un bon choix. J’ai toujours eu ça en moi. Après, plus jeune, j’étais moins mature, avec plus d’incertitudes, notamment quand j’étais joueur. Avec les années, la réflexion, le fait de devenir père de famille, ça te façonne.

Au mois de décembre, au moment de son éviction, Olivier Dall’Oglio a utilisé les mêmes mots que toi après ton licenciement à Bordeaux, « brutal et violent » . Comment l’as-tu vécu ? Celui qui est évincé, qu’il soit artisan, employé ou entraîneur de foot, ressent la même chose. Tu veux comprendre, tu peux t’en vouloir, en vouloir à tout le monde. Quand ça s’est arrêté (en janvier 2018), j’ai pensé qu’on allait refaire comme l’année d’avant (6e) et assurer une meilleure seconde partie de saison, c’était limpide. Après, il y a des décideurs qui décident et quand ça s’arrête, ça s’arrête (sic). Le tout est de tourner la page vite. J’ai pu le faire parce qu’on s’est mis d’accord en cinq minutes… Une fois la rupture actée, on peut passer à autre chose. On oublie vite dans le sport. Ceux qui m’ont sali à Bordeaux ont oublié que quelques mois plus tôt, j’avais été nommé parmi les quatre meilleurs entraîneurs avec Jardim, Favre et Emery (aux oscars UNFP). Un peu plus tard, t’es une truffe. C’est pour ça qu’il faut rester dans sa bulle, imperméable à ces commentaires qui peuvent être violents, ça fait partie de la vie d’un entraîneur. Ensuite, tu t’avises de comprendre ce qui n’a pas fonctionné.

Il y a tellement de malheurs tout autour que si en plus on s’emmerde au boulot, faut tout ranger et partir à la pêche.

Quand tu as quitté Guingamp pour Bordeaux, à l’été 2016, tu étais l’entraîneur hype du moment. Deux ans plus tard, tu es de retour dans les Côtes-d’Armor : n’est-ce pas un signe de régression ? Je reviens dans un club qui a construit un centre d’entraînement extraordinaire (ouvert en septembre 2018), bien supérieur à celui de Bordeaux. J’ai l’impression d’être dans un nouveau club, qui a plus de moyens qu’avant. On n’est plus promus, c’est mécanique, les revenus (droits télé) augmentent. Je n’ai pas pensé à ça, j’ai songé au challenge. Est-ce que j’en avais envie ou non ? On en revient à faire des choix, les conditions étaient réunies et je l’ai fait. C’est une option cohérente avec du sens, je ne voulais pas partir à l’aventure. Les clubs qui ont de la continuité sur le plan technique avec un entraîneur qui reste un minimum, c’est ça qui marche. Après, il y a souvent des décisions qui sont prises par des gens instables, impatients… Un club stable a de la continuité technique, une vision. Les clubs qui souffrent sont les clubs qui n’ont pas de vision. À Guingamp, il y a de la continuité. La stabilité technique est gage de bonne santé ; ça veut dire que les choses roulent, que la stratégie sportive qui mène le club opère. Le marketing, le merchandising, la com’ sont importants, mais le point d’ancrage, c’est le sportif ; ça ne coule pas toujours de source. Revenir à Guingamp, c’était aussi aider un club qui m’a beaucoup donné, dans un moment difficile, ça avait du sens, je n’ai pensé qu’à ça.

Jouer une finale de coupe quand on est menacé de relégation modifie-t-il son approche ?On l’a fait en 2014, nous étions au coude-à-coude, un petit peu plus haut que nos concurrents, mais guère plus, avec une incertitude au moment de jouer la finale. Il fallait encore se mettre à l’abri. On aurait pu perdre la finale et être relégué aussi, au bout du compte. Dans ces cas-là, on doit garder son sang-froid, faire ce qu’on a à faire, continuer à travailler, bien se préparer, être pragmatique. Quand on trace ainsi son chemin, souvent, ça sourit.

Jean Tigana disait souvent vouloir des caractériels dans son équipe…L’ego chez les joueurs, ça ne me dérange pas. Tout le monde a de l’ego. Encore heureux qu’ils en aient, on ne fait pas de la compétition avec des agneaux. Plus tu montes, plus ils ont du répondant parce qu’ils ont un statut. Il faut être à la fois ferme et à l’écoute, c’est comme ça que les joueurs te considèrent. Ils ne te respectent pas si tu as un double discours, si tu es fuyant. Ils refusent la fourberie. Finalement, le plus difficile c’est d’écarter un joueur qui mériterait d’être dans le groupe. La vie est comme ça.

Est-ce qu’un énorme salaud peut être un bon entraîneur ?(Il rit.) Il y en a, j’en connais.

Le management façon Mourinho ou l’ancien Vahid est-il toujours viable ?Il faut faire avec ses idées et ce qu’on est. S’il doit y avoir conflit, il y a conflit. Ça ne me pose pas de problème, mais je ne le recherche pas et je n’en fais pas un mode opératoire parce que, pour moi, le conflit ne mène à rien. En revanche, s’il y en a un, je vais y aller, me défendre et vouloir en sortir vainqueur. Ce sont des choses qui peuvent arriver. Il y a des coachs qui attisent le conflit, d’autres qui privilégient le « diviser pour mieux régner » et ma petite expérience de vie, dans le foot et en dehors, me dit que ça ne marche pas. Ça fonctionne peut-être un temps, mais tu en sors décrédibilisé, pas grandi. Dans notre monde hyper connecté, il faut être en lien les uns avec les autres pour que chacun progresse et donne du sens à ce qu’on fait. C’est pour ça que j’explique aux joueurs pourquoi je veux qu’on joue de telle façon, ce que j’attends d’eux. Dans le monde moderne, il faut donner du sens à ce qu’on fait pour se réaliser. Il y a tellement de malheurs tout autour que si en plus on s’emmerde au boulot, faut tout ranger et partir à la pêche. Finalement, pour revenir à la question, on gagne à impliquer les gens pour la réussite du projet et non pas à se servir d’eux pour sa propre réussite, pour soi.. Aujourd’hui, un entraîneur doit réunir, fédérer des gens sur un projet pour que la réussite bénéficie à tout le monde, rejaillisse sur chacun. Sur ce que j’ai vu parfois dans ma carrière, sur ce que je vois encore de temps à autre, se servir des gens pour faire du résultat pour soi et briller, c’est la négation du management, d’après moi.

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