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Jocelyn Gourvennec : « J’ai été enterré avant de démarrer »
Arrivé cet été dans le Nord pour prendre en main un LOSC champion de France sous Christophe Galtier, Jocelyn Gourvennec a été critiqué dès son arrivée, puis malmené après un début de saison décevant en Ligue 1. L'entraîneur breton a courbé l’échine et s’est réfugié dans le travail. Aujourd’hui, le LOSC a relevé la tête en championnat et s’apprête à disputer un excitant et historique huitième de finale de Ligue des champions face à Chelsea. Entretien avec un faux calme.
Il y a quelques années, vous affirmiez qu’être entraîneur est « un acte politique ». En êtes-vous toujours aussi convaincu aujourd’hui ? Quand je dis cela, je ne défends aucun bord ou aucun parti politique. Quand je dis qu’entraîner est un acte politique, c’est que l’on a des idées, qu’on les affiche, qu’on s’affirme, qu’on les défend, qu’on s’y tient, qu’on se bat, qu’on prend des coups, qu’on se relève… Mon métier d’entraîneur ne consiste pas simplement à gagner des matchs. Je ne le vis pas comme ça. Je sais qu’il faut gagner des matchs pour durer et gagner en crédibilité. Mais ma vie, ce n’est pas cela. C’est de travailler sur des valeurs, une éthique de travail, défendre des idées, fédérer une équipe et emmener un club sur des idées de jeu, sur une philosophie de jeu si on va encore plus loin. Une fois que j’ai ça en tête, que je l’explique bien et que je m’y tiens, après je manage, j’emmène avec moi, je gère le groupe et j’essaye de tirer le maximum des joueurs avec le staff. C’est ça, mon métier.
Quand vous arrivez au LOSC, quel est votre programme politique ? Qu’est-ce que vous voulez essayer de faire ?Déjà, je n’étais pas prêt à tout pour avoir le poste. J’ai bien expliqué mon fonctionnement. Mon atout, c’est que je connaissais bien l’équipe parce que je l’ai suivie depuis plus de trois ans, soit presque depuis les débuts de Christophe (Galtier, NDLR), qui était entraîneur adjoint à Bastia lorsque j’y étais joueur. J’avais du recul sur le parcours de l’équipe, le chemin parcouru jusqu’au titre de champion. Quand je dis que je n’étais pas prêt à tout, c’est parce que je pense que j’étais un bon choix pour être dans la continuité de ce qui avait été fait, que je n’étais pas un choix en rupture. C’était l’un ou l’autre : si vous voulez continuer dans ce qui a été fait jusqu’à présent, je peux être un bon choix. Si vous voulez être en rupture, il ne faut pas me choisir. J’ai été très clair avec le président.
C’est ce que vous lui avez dit ? Oui, parce que s’il voulait une rupture, ce n’était pas moi qu’il fallait prendre. À partir du moment où le choix s’est porté sur moi, j’ai pris le costume et j’y suis allé en découvrant petit à petit le groupe. Je le connaissais de l’extérieur, mais il fallait que je le vois de l’intérieur, que je connaisse bien les hommes, les joueurs, le staff. J’ai dû faire très vite cette synthèse pour, avec ma personnalité, prendre le train en marche, apporter ensuite ce que je suis capable d’apporter sans tout modifier, car ça aurait été suicidaire. Il fallait ensuite emmener petit à petit les joueurs, sans qu’ils s’en rendent compte, sur quelque chose d’un peu différent. C’est un exercice nouveau pour moi, car tous les challenges que j’ai pris, même en amateur, c’était sur des cycles à relancer. J’arrivais souvent sur une saison qui s’était mal goupillée et on repartait sur un nouveau cycle. Ça a été le cas à La Roche-sur-Yon, à Guingamp, à Bordeaux. Là, j’étais sur quelque chose de nouveau, et sur une dynamique qu’il fallait entretenir.
C’est plus difficile ?(Il réfléchit.) Je pense que oui, c’est plus difficile. Avec le recul, on a fait un travail incroyable depuis sept mois. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais ça a été un exercice extrêmement compliqué, rendu encore plus compliqué parce que j’ai été très critiqué, voire massacré par certains, et qu’il a fallu que je reste concentré sur ma tâche.
Comment avez-vous fait pour rester dans votre bulle ?J’ai passé mon temps ici, au centre d’entraînement. Quand je rentrais chez moi, je coupais. J’ai regardé beaucoup moins de foot à la télé, ce qui était très nouveau pour moi, car j’avais pour habitude de regarder beaucoup de matchs. Je me suis beaucoup protégé, en essayant de me régénérer tous les soirs en rentrant chez moi. Je voulais rester focus sur ma mission et je pense que cela a été ma force de ne pas me disperser, de ne rien écouter, de ne rien lire et d’être focus sur ma relation avec le staff, les joueurs et le président. Je me projetais sur le match qui arrivait, ensuite je rangeais tout ça, et je passais au match d’après.
Qu’est-ce que vous faisiez chez vous, du coup ?Je prenais le temps de manger. C’est basique, mais c’est important. J’ai regardé d’autres sports, des documentaires, des films pour couper. J’ai fait en sorte de bien dormir aussi. C’est un atout que j’ai : quoi qu’il se passe, je dors bien. C’est important, notamment quand les matchs s’enchaînent. Je suis un soldat, très rigoureux, très organisé, très méticuleux… Ce n’est pas fun hein, mais c’est ma mission.
Mais ces critiques, cette forme d’injustice, ça vous a touché quand même, non ?Ce n’est pas propre à moi. Je n’ai pas été condamné avant de démarrer, j’ai été enterré avant de démarrer. Ma réflexion, ce n’est même pas vis-à-vis de moi, c’est vis-à-vis de n’importe quelle personne qui est dans un rôle public. Les gens n’accepteraient pas le dixième dans leur propre métier ou dans leur propre vie. Que tu sois photographe, journaliste, médecin, boucher, manutentionnaire, peu importe. Je n’ai jamais trouvé ça juste.
Vous avez suivi, entre 2019 et 2021, une formation de manager général de clubs sportifs à Limoges. Est-ce qu’elle vous a aidé à gérer ce paramètre ?Oui, car quand on entraîne, on ne fait vraiment pas grand-chose d’autre, et j’avais décidé de faire un break. J’avais fait quasiment ça pendant dix ans, non stop, et je voulais prendre un peu de recul, être plus proche de ma famille. Pendant cette période, j’ai pris du recul sur mon métier, ma manière de voir le foot, d’observer davantage. Quand tu entraînes, tu observes tes futurs adversaires et tu es pris dans le rythme. Là, je n’avais pas de match à préparer. Il y a trois équipes que j’avais décidé de suivre en particulier pendant ces deux années : Lille, Monaco et le Séville FC. Bon, on peut dire que ça m’a servi. (Rires.) Le fait de faire cette formation m’a aussi aidé à mieux comprendre tous les rouages d’un club, comment chaque intervenant dans un club, tous secteurs confondus, raisonne, comprendre comment fonctionne un club comme cela avec beaucoup de salariés, beaucoup de services… Cela m’a aidé à mieux comprendre mon environnement.
Roberto De Zerbi nous racontait qu’à la différence des autres métiers, tout le monde pense savoir faire le métier d’entraîneur. Vous partagez ce sentiment ? Oui, parce que c’est le sport le plus populaire. Tout le monde a déjà joué au foot un jour. Le problème est qu’on observe l’entraîneur que 95 minutes en comptant le temps additionnel toutes les semaines ou deux fois par semaine. Le métier d’entraîneur, ce n’est pas que cette partie-là. C’est tout ce qu’il y a autour, à l’abri des regards, dans la gestion du groupe et aussi dans la préparation du match. Je ne sais pas comment c’est à l’étranger, mais en France, le métier d’entraîneur est assez dévalorisé. Un peu comme celui d’enseignant ou d’instituteur dans nos sociétés, alors que ce sont des métiers incroyables. La transmission et la pédagogie ne sont pas très valorisées en France. Il n’y a donc pas de raison que ce soit différent pour un entraîneur. Quand on est dans ce milieu-là, qu’on a été joueur, on est critiqué ou encensé à chaque étape de notre carrière, mais on n’explique pas assez bien ce qu’est le métier d’entraîneur. Transmettre des valeurs, garder un axe, s’y tenir, c’est un métier de courage.
Vous avez répété à plusieurs reprises cette phrase : « Je viens d’une région où l’on sait ce que c’est que de se battre et j’officie aujourd’hui dans une région qui sait également ça. » À quoi le voyez-vous ? J’ai déjà côtoyé des gens du Nord, j’ai de la famille dans la région. En Bretagne ou ici, il y a beaucoup de similitudes. Il y a un respect des choses, du métier, des valeurs, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’humilité dans le quotidien par chez moi ou ici, et sans faire de généralité, ce n’est pas vrai dans toutes les régions. Il y a un respect du travail, un engagement. On n’est pas dans des régions où l’on est très exubérants. Je l’ai vu tout de suite en arrivant au club, il n’y a pas de chichi.
Cela peut faire sourire de vous entendre parler de respect du métier alors que vous avez été critiqué avant même votre prise de fonction…Ce n’était pas que local, hein. (Rires.) Le fait que le club ait été champion… Je pense qu’on n’a pas non plus bien expliqué. Il ne s’agissait pas d’avoir un « nom » à Lille après Christophe Galtier. Comme les dirigeants me l’ont expliqué, c’était d’avoir un entraîneur qui travaille dans la continuité, qui accepte de travailler aussi avec le modèle du club, avec ce qu’a mis en place la nouvelle direction depuis janvier 2021. N’importe quel entraîneur, même si vous avez un nom très connu ou ronflant, ça pouvait coller, mais ça pouvait aussi ne pas coller. J’ai été choisi pour ma capacité d’adaptation, mon aptitude à coordonner un staff qui était déjà en place. Ce qui n’est pas si facile, on le voit d’ailleurs car beaucoup d’entraîneurs débarquent souvent avec leur staff. Moi, je suis arrivé tout seul au LOSC. C’était l’occasion de me jeter à l’eau, de perdre un peu mes repères, alors que ce n’est pourtant pas une habitude chez moi. Quand j’avance, j’aime être dans l’anticipation. Cette expérience-là était très, très nouvelle pour moi. L’un de mes adjoints m’a rejoint dans un deuxième temps, mais il fallait que j’aille vite dans l’apprentissage de mon nouvel environnement.
Christophe Galtier est arrivé dans la même configuration que vous, votre adjoint est un jeune entraîneur portugais adepte de la périodisation tactique. Cela vous a ouvert d’autres horizons de jeu ? Oui, c’est très riche comme apprentissage pour moi. Cela me permet de me confronter à une culture foot un peu différente. On a des préparateurs physiques espagnols, on a des analystes vidéo qui ont une vision très claire du jeu, de la préparation de l’adversaire dont un qui est espagnol aussi (Diego, il précise), on est trois Bretons. On vient tous d’horizons divers, et c’est assez riche. Le fait d’avoir ça, ça me donne plein de nouvelles idées, ça me met aussi en éveil. Dans le métier d’entraîneur, celui qui pense qu’il sait, pour moi c’est déjà la fin pour lui. Même avec du vécu, du savoir et des habitudes. L’apprentissage, c’est sans fin. On apprend tous les jours.
Il y avait la volonté d’avoir une nouvelle façon de jouer à Lille ? D’être « un nouveau Gourvennec » ?Quand on est entraîneur, il faut savoir mixer ses idées de jeu tout en faisant en sorte que cela colle avec l’effectif qui est le vôtre. Je vais caricaturer : si vous voulez avoir un jeu intense avec beaucoup de pressing et de contre-pressing à la perte du ballon, mais que vous avez un groupe athlétiquement plutôt diesel, ça va être compliqué. Ici, le profil du groupe est très dynamique, très intense, construit avec beaucoup de caractère et d’énergie. Alors j’ai à la fois mixé mes idées de jeu et ce qui correspondait déjà à ce qui se faisait pour aller vers cette continuité. Je n’ai pas révolutionné le jeu du LOSC. Je n’étais pas là pour ça. En revanche, je pense avoir apporté des choses un peu différentes dans l’équilibre, le jeu de position, l’animation de notre 4-4-2 sur le plan défensif. Parce qu’un 4-4-2, on peut l’animer de mille et une façons. Ce n’est pas le tout de dire « on joue en 4-4-2 » ou ça défend en 4-4-2… parce qu’on n’attaque pas en 4-4-2. Je me suis adapté au groupe et je crois que le groupe s’est aussi adapté à moi. Je pense que les choses se sont imbriquées entre mon management, mes idées de jeu et l’essence même du groupe.
Reinildo fait partie des joueurs que vous avez fait progresser. Quand vous le voyez partir au mercato d’hiver à l’Atlético, vous êtes déçu ?Bien sûr, tout comme « Jorko » Ikoné qui est également parti (à la Fiorentina, NDLR) et qui n’était pas tout le temps titulaire l’an dernier. L’entraîneur doit savoir créer les conditions pour que le joueur s’exprime, se sente bien. Si on fait venir Hatem Ben Arfa et qu’on ne prend pas en compte ce qu’il est, son jeu, ça ne peut pas marcher. Il faut réussir à mixer à la fois ce qu’on veut du joueur au poste qu’on lui attribue, mais aussi ce qu’est le joueur. Ça a moins bien marché avec Yusuf Yazıcı, qui est pourtant un joueur que j’aime beaucoup, mais ça n’a pas réussi à prendre. À l’inverse, Jonathan David prend encore une envergure incroyable, José Fonte n’a peut-être jamais été aussi fort à 38 ans. Les joueurs sont des buvards. L’entraîneur dure quatorze mois en moyenne dans un club. Un joueur connaît donc grosso modo deux, trois coachs par club, et ils se nourrissent de ça aussi.
Vous parlez de Jonathan David. Avec lui, le management a commencé dès le premier jour, puisque vous avez fait le trajet jusqu’au stage de présaison aux Pays-Bas à ses côtés. Qu’est-ce qu’il s’est passé concrètement lors de ce voyage ? « Jona » , c’est un cas très particulier. C’est quelqu’un qui fait des phrases très courtes, qui ne parle pas beaucoup, mais qui a les idées très claires. Ce qu’il a à dire, il le dit en très peu de mots. J’ai donc vite compris qu’avec lui, je n’aurais pas besoin de beaucoup parler. Ça ne dure jamais longtemps. C’est quelques idées, quelques mots. Quand on s’est vu la première fois, on était donc dans la même voiture, sur la route pour les Pays-Bas. Il était à l’arrière. Je lui ai demandé s’il avait passé de bonnes vacances. Il m’a dit qu’il était content d’avoir coupé, mais aussi très content de reprendre l’entraînement. Je lui ai ensuite répondu que j’avais deux choses à lui dire. Je voulais d’abord le féliciter pour la saison qu’il venait de faire, puisque même s’il a marqué son premier but en novembre, je ne l’ai jamais vu sortir de son match ou montrer le moindre signe de frustration. Un joueur dans son cas peut prendre un jaune ou un rouge, avoir un comportement irritable… Il a été critiqué parce qu’il ne marquait pas, mais il n’a jamais bronché. La deuxième chose que je lui ai dit, c’est qu’il allait faire une très grande saison. Il m’a regardé et m’a demandé : « Mais comment vous le savez ? » C’était juste un feeling. Notre premier contact a été bon, je pense qu’il s’est senti bien, et depuis, on a gardé cette bonne relation. Jonathan, il n’y a pas besoin de beaucoup le conseiller. Il comprend très vite les choses, c’est incroyable. Tu lui donnes une consigne, il l’intègre tout de suite. C’est très fort. C’est d’ailleurs pour ça que je n’ai aucune inquiétude pour son avenir. C’est un joueur incroyable, vraiment.
Plus jeune, vous avez fait un mémoire de maîtrise sur la qualité de déplacements des attaquants. C’est un poste qui vous fascine ? À l’époque, j’étais joueur et étudiant en même temps. On a fait cette maîtrise à trois. Notre tuteur de maîtrise était Jean-Claude Trotel. On a comparé deux joueurs qui étaient mes partenaires à Rennes en D2 à cette époque-là, Pierre-Yves André et Majid Musisi, à deux autres joueurs qui étaient 100 kilomètres plus au sud et qui évoluaient surtout à un niveau plus élevé : Patrice Loko et Nicolas Ouédec. On a mis en évidence le fait que plus le niveau monte, plus les attaquants anticipent l’avant-avant-dernière passe, l’avant-dernière passe, la dernière passe, que plus le niveau monte, plus la compréhension tactique des attaquants est élevée. Pour moi qui étais numéro dix et donc plutôt un passeur, ça a été un travail précieux. J’ai compris qu’en allant plus haut, certaines choses seraient d’ailleurs plus simples pour moi, car les attaquants devant moi allaient se déplacer avec deux, trois, voire quatre temps d’avance. Ça m’a enrichi, et on le voit encore aujourd’hui : les meilleurs attaquants sont ceux qui se déplacent le mieux.
Cet élément, vous réussissez encore à vous en servir dans votre métier d’entraîneur aujourd’hui ? C’est intégré à tout un processus. Après, au LOSC, j’ai un effectif de très haut niveau. Je ne vais pas apprendre à Burak, à Jonathan, à Hatem ou à Jo Bamba comment se déplacer. Les mecs ont déjà la connaissance du haut niveau et de l’espace. Le management va plutôt être dans l’accompagnement et dans le fait de renforcer ces choses-là. À un certain niveau, le joueur a besoin de se sentir bien avec ses coéquipiers, son entraîneur, le staff… On peut prendre les problèmes dans tous les sens, mais ce qui fonctionne dans le management, c’est de tirer le maximum des joueurs en renforçant leurs points forts. Pour moi, c’est fondamental. Chaque joueur a des manques, mais en se focalisant sur les points forts de tes éléments, tu fais augmenter le niveau de ton équipe. Il y a en permanence des choses à améliorer, mais ton discours doit toujours être orienté sur les points forts.
Depuis que vous êtes arrivé à Lille, tout n’est pas si simple. On a par exemple vu que vous avez eu plusieurs accrochages avec Burak Yılmaz. C’est un joueur qui peut être très colérique, qui peut vite être dans la frustration si les choses ne tournent pas comme il veut. Ça, je l’ai très vite compris. Je sais surtout très bien que pour avoir une discussion avec lui, il faut être au calme, dans un moment où l’émotion est retombée. Après, on est d’accord, on n’est pas d’accord, mais nos échanges sont toujours constructifs. La gestion de Burak est comme celle d’Hatem, à qui j’ai encore dit il y a quelques jours que je n’allais pas lui apprendre à jouer au football. Ils savent faire ça mieux que personne, leur carrière parle pour eux. Mon job avec Burak, comme avec les autres, est de gérer ces moments où il peut basculer dans la frustration et de faire en sorte qu’il ne sorte pas du projet collectif.
L’enjeu est aussi le même avec Renato Sanches ? Renato, c’est une boule de feu. J’ai passé beaucoup de temps à lui expliquer comment je voyais les choses. J’avais beau prendre le problème dans tous les sens, pour qu’il puisse nous donner le maximum de ses qualités, je ne voyais pas une autre solution que de le faire jouer tout le temps, sans s’arrêter. Attention, tout le temps, ça ne veut pas dire 90 minutes tous les trois jours. Ça veut dire qu’une fois, il va être remplaçant et ne jouer qu’un quart d’heure, que la suivante, il ne jouera peut-être que 60 minutes… C’est de la gestion pour qu’il n’aille pas trop loin. On ne voulait pas qu’il se grille, qu’il se blesse, qu’il soit absent trois semaines, puis qu’il revienne et se blesse de nouveau… Il fallait le calmer. Au départ, ça n’a pas été facile pour lui. Il ne voulait pas en entendre parler. Renato est très généreux, il voulait donner 100%, et ce, 100% du temps. Il a simplement fallu apaiser les choses. Aujourd’hui, je touche du bois, mais en six mois, il a franchi un énorme palier à ce niveau-là. Il est beaucoup plus canalisé. Il travaille toujours autant, mais il le fait en se connaissant bien mieux. Si je pense lui avoir apporté une chose, c’est ça. Il est sur le bon chemin.
Vous ne piquez donc jamais de colère ? Tu ne prends jamais les bonnes décisions dans l’énervement. Si tu t’énerves quand ça va mal, que ce soit dans la vie de tous les jours ou sur un terrain, ça ne se passe pas bien. Quand les choses vont mal, il faut garder son calme et sa lucidité, car sans lucidité, tu trouves moins de solutions. Il faut parfois faire un gros travail sur soi pour maîtriser ses colères. J’en ai, je suis comme tout le monde. On dit que la colère est mauvaise conseillère et c’est vrai.
Comment arrivez-vous à canaliser cette tension lors d’un match à enjeu de Ligue des champions comme celui que vous avez vécu à Séville ? Je suis un faux calme. Gamin, j’étais même très turbulent. Je pense que j’ai toujours cette base en moi. J’étais très dur avec tout le monde. Je pense que je me suis canalisé avec le temps, que je me suis apprivoisé. J’arrive désormais à me maîtriser. C’est une clé chez un entraîneur. Si on prend la soirée de Séville, je ne dirais pas que je suis resté calme, car calme, souvent, ça a un sens péjoratif. On passe vite du calme au mou. À Séville, comme toujours au bord du terrain, je suis resté tonique et lucide, en maîtrisant l’excès.
Basiquement, on peut quand même se dire que l’excès peut venir après une qualification en C1, surtout lorsqu’on a été hyper critiqué quelques mois plus tôt. Vous n’avez jamais eu envie de bomber le torse ? Je ne travaille pas tout seul. C’est le travail de tout un groupe. Moi, je suis là pour organiser tout ça. Ensuite, c’est le parcours qui parle. Ce qu’on a fait, je trouve ça extraordinaire, parce qu’on l’a fait avec une grande majorité de joueurs très jeunes. Je n’ai pas voulu en rajouter parce que je n’ai pas à en rajouter. Ce qui m’importe maintenant, c’est le huitième. Tout peut se passer. Si on a 1% de chances se qualifier, le 1%, on va le jouer à 300%.
Il paraît que pour stimuler votre créativité, vous écoutez parfois de la musique. Vous vous mettez quoi dans les oreilles avant un gros match ? Ma dernière expérience là-dessus, ça a été à Marseille. On avait quarante minutes de bus entre l’hôtel et le stade. Je n’avais rien prévu, mais je ne sais pas pourquoi, je me suis conditionné en réécoutant l’album de dEUS que j’écoutais déjà en 1998 entre l’hôtel et le stade lorsque j’étais joueur de l’OM, notamment lors de notre parcours européen. Avant les matchs contre Vigo, contre Bologne, j’écoutais cet album.
Vous vous nourrissez parfois des émotions du passé ? Avec les musiques, oui. Il y a des musiques qui correspondent à des moments de nos vies, des moments positifs comme des moments difficiles. Avant un match, j’essaie d’engendrer des souvenirs positifs. Ça m’aide à me concentrer, ça m’inspire, ça me conditionne. Les joueurs font pareil. D’ailleurs, depuis quelque temps, quand on rentre dans le vestiaire, il y a du David Bowie. Je trouve ça top.
Si vous éliminez Chelsea, est-ce que vous allez jouer de la flûte traversière devant tout le vestiaire ? C’est vrai que j’ai fait de la flûte traversière au conservatoire. J’ai arrêté au bout de quelques années parce que le foot a pris trop de place. Arrêter la flûte traversière a été une manière pour moi de faire comprendre à mes parents que j’allais tout miser sur le foot. Bon, je leur ai quand même dit que j’allais me débrouiller pour vendre la flûte, car elle avait coûté un peu d’argent. Ma mère n’était pas contente que j’arrête, donc elle n’a jamais voulu qu’elle soit vendue. Elle est toujours chez moi et je n’ai pas prévu de la sortir en cas de victoire. (Rires.) Malgré tout, la flûte m’a aidé, même dans le foot, puisque ça m’a ouvert à d’autres choses.
Sportivement parlant, même si vous aimez répéter que l’échéance importante est toujours celle qui arrive, comment vivez-vous la période faste qui arrive ? Quand je suis en poste, je me mets toujours en tête que je trace ma route. Ça veut dire qu’il faut parfois se boucher les oreilles. J’essaie de garder mon axe, de travailler, d’emmener tout le monde avec moi… Quand j’arrive le matin à Luchin, je suis dans mon objectif : un entraînement, une veille de match, un jour de match… Je reste dans cet objectif. De l’extérieur, ça peut paraître rébarbatif, mais ça m’aide à me concentrer. Les matchs de Ligue des champions, c’est le top niveau, mais en gardant cet objectif de toujours être bien préparé, de toujours vouloir être clair pour les joueurs, de ne pas brouiller les repères, finalement, que tu joues un match de Coupe de France contre une équipe inférieure ou un match de C1, tu restes dans ta routine. L’événement est important, mais la base reste la même. Ce qui change, c’est simplement le contexte, et il faut s’adapter au contexte : un derby contre Lens, un déplacement au Parc, un voyage à Brest… Chaque contexte est différent. La trame, elle, ne doit pas bouger.
Le rôle du voyage en Espagne des derniers jours était aussi de canaliser les esprits ?Oui, j’ai rappelé certaines choses aux joueurs, notamment qu’on avait le PSG, Montpellier, Metz, et que Chelsea viendrait après. En même temps, le match de Chelsea ne se prépare pas dans les 48 heures qui précédent Chelsea. Il se prépare dès maintenant. Tu ne peux pas faire l’allumage au dernier moment. Ce stage en Espagne, c’était aussi une bulle : je voulais un contexte différent, avec du beau temps, un stage foot sérieux, mais aussi un cadre pour que les joueurs aient un temps libre entre eux… On leur a un peu lâché la grappe. C’était important. Il y avait en plus deux nouveaux joueurs, Hatem et Edon Zhegrova, donc c’était bien pour les intégrer au groupe et au projet de jeu.
On a vu lors de la première partie de saison que le contexte Ligue des champions pouvait exalter votre groupe et que votre équipe pouvait aussi, dans le même temps, manquer de constance dans d’autres contextes. Comment réussir à trouver le bon dosage ? C’est l’enjeu, surtout en Ligue 1. En Ligue des champions, on a fait six matchs, où on a toujours répondu présent. On doit trouver de la régularité face aux équipes qui créent moins de jeu. L’équipe se produit beaucoup plus de situations pour marquer que la saison dernière, mais en concède aussi beaucoup plus. Il faut trouver un équilibre, c’est fondamental, mais l’Europe a été une bonne base de travail, puisque sur nos matchs européens, on a donné peu de choses et on a été très efficaces.
Vous avez dit tout à l’heure que vous dormez bien. Vous rêvez, parfois ? Contrairement à ma femme, je ne me souviens pas beaucoup de mes rêves. Je ne sais pas pourquoi. En tout cas, dans le métier d’entraîneur, bien dormir, c’est fondamental. Aujourd’hui, après les matchs, même si je m’endors très tard, je ne revois plus le match à chaud. Je ne le revois qu’à froid, le lendemain, quand l’excitation est redescendue. Maintenant, si je joue le jeu du rêve, je peux vous le dire : je rêve d’un grand parcours en Ligue des champions pour le LOSC. On ne va pas se l’interdire.
Propos recueillis par Maxime Brigand et Andrea Chazy, à Camphin-en-Pévèle