- Nos jours Euro
- Épisode 3
- Euro 1992
Jocelyn Angloma : « À l’Euro 1992, il n’y avait pas cette force de groupe »
Après avoir manqué l’édition précédente, l’équipe de France se présente à l’Euro 1992 avec le souvenir du sacre de 1984 et fait partie des favoris, avec le duo Éric Cantona-Jean-Pierre Papin en attaque et Michel Platini comme sélectionneur. Jocelyn Angloma, défenseur latéral qui dispute alors sa première compétition internationale, se souvient d’un tournoi frustrant, raté et d’un groupe qui n’était pas conditionné pour gagner.
Vous êtes le seul joueur parmi la dizaine contactée qui a accepté de nous répondre, comme si cet Euro 1992 avait été zappé dans l’histoire collective des Bleus. Est-ce que ça reste un moment marquant de votre carrière ?
Oui, quand même. C’était la première grande compétition que je jouais. Puis, on était arrivés en confiance, avec que des victoires, on avait survolé les poules (8 victoires en 8 matchs, 20 buts marqués, 6 encaissés, NDLR). On avait une belle équipe, on arrivait un peu en favori. Après, voilà, il s’est passé ce qui s’est passé…
Même si la France n’avait pas participé à l’édition précédente, l’Euro 1984 était encore dans les mémoires. L’attente autour des Bleus était-elle plus importante ?
Oui, déjà parce qu’on avait gagné beaucoup de matchs avant. Il y avait aussi des joueurs de renom comme Luis Fernandez, Éric Cantona, Jean-Pierre Papin et d’autres qui allaient s’affirmer par la suite comme Laurent Blanc. La vraie attente, c’était surtout autour de Michel Platini, l’entraîneur (il est alors sélectionneur depuis octobre 1988, NDLR). Il avait été joueur en 1984, ça aurait été beau de le voir réussir la même chose en tant que sélectionneur. La star, c’était Platini, je pense qu’il prenait un peu toute la pression. C’était Michel Platini, avec ses Ballons d’or, sa Ligue des champions, tout ça.
Il était comment en tant que sélectionneur ?
Il savait décomplexer tout le monde et faire comprendre aux joueurs qu’ils avaient des qualités et un gros potentiel. Si on est arrivés à ce niveau pendant les poules, c’est aussi parce qu’il savait y faire. Sa connaissance du très haut niveau nous permettait de grandir. Il était très ouvert, peut-être trop… Il était très, très proche de ses joueurs, il était même potes avec certains puisqu’il avait joué avec eux, ça peut porter préjudice aux deux côtés. Les entraînements, c’était plutôt Gérard Houllier (son adjoint) qui mettait tout en place. Platini était un jeune entraîneur, il n’avait pas beaucoup de vécu, mais il savait faire passer des messages.
Vous êtes 9 joueurs de l’OM sur les 21 retenus pour le tournoi. Était-ce un avantage dans la vie de groupe ou, au contraire, un problème entraînant des tensions ?
La rivalité, c’était plus dans les journaux à cette période. Il n’y avait pas spécialement de tensions entre nous, on arrivait à jouer nos matchs sans se poser ces questions-là. Mais ça ne s’est pas bien passé pour autre chose : on n’a pas fait une belle préparation. Elle a été longue et dure mentalement. Puis, il y a eu d’autres choses à côté… Une histoire de primes, il fallait négocier, tout n’était pas aussi clair qu’aujourd’hui. L’histoire de Jean-Pierre Papin avec Les Guignols, aussi. On voyait les photos de Papin avec le maillot à l’envers pour que le logo de Canal + n’apparaisse pas à cause de la parodie des Guignols. On en a rigolé hein, mais ça n’a pas arrangé les choses non plus et ça a créé beaucoup de frustrations au sein du groupe. Après, il faut aussi reconnaître qu’on n’a pas été à la hauteur sur le terrain.
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Dans le jeu, on est loin de l’équipe de France séduisante des années 1980. Vous proposiez quelque chose de très restrictif, assez défensif…
On arrivait à gagner nos matchs sans être très flamboyants. On avait surtout des joueurs qui faisaient la différence devant (Cantona, Papin). C’était un peu le foot dont on parle aujourd’hui, la transition : on arrivait à bien maintenir l’équipe adverse et d’un coup, ça giclait vers l’avant très rapidement. On avait quand même de bons joueurs, notamment au milieu, entre Sauzée, Deschamps, Fernandez, Christian Pérez, etc. Quand on regarde comment Deschamps fait gagner l’équipe de France aujourd’hui, on ne peut pas toujours dire que le jeu est top, mais c’est très fort tactiquement. Il faut savoir que Platini, c’est aussi l’Italie. Il aimait le beau jeu, mais il s’était imprégné de la culture tactique italienne pour ne pas perdre des matchs.
Quels souvenirs gardez-vous du premier match contre la Suède, le pays organisateur, du 10 juin 1992 ? Vous vous en sortez avec un nul (1-1) et c’est presque considéré comme un bon point à ce moment-là.
Pour tout le monde, on devait passer la Suède. Mais on n’avait peut-être pas pris conscience du fait que ça se jouait chez eux. Elle avait aussi de très bons joueurs, je me rappelle un peu (Tomas) Brolin ou (Martin) Dahlin, c’est une équipe qui nous avait posé beaucoup de problèmes. Le match nul, c’était bien, mais on était déjà dans le dur (2 nuls, 2 défaites sur les matchs amicaux cette année-là, NDLR). On se dit en plus que l’Angleterre arrive derrière… J’aurais pu marquer de la tête contre les Anglais, on a une ou deux belles occasions, mais c’est aussi une rencontre qu’on aurait pu perdre. On fait 0-0, donc on ne perd pas encore et on a une chance de se qualifier.
Le troisième match de poule, c’est face au Danemark, le futur vainqueur, qui avait pourtant remplacé la Yougoslavie (exclue à cause de la guerre et d’un embargo) à la dernière minute. Vous êtes surpris par cette équipe ?
Oui, ça a été un sacré morceau. Mais là aussi, il faut se rappeler les joueurs qu’il y avait en face, c’était une belle équipe. Ce jour-là, on n’a pas du tout été bons et on l’a payé cher. D’ailleurs, on n’a jamais vraiment été bons dans cet Euro, que ce soit face à la Suède, l’Angleterre ou le Danemark. C’est pour ça qu’on se fait éliminer au bout. (La France est battue 2-1 par le Danemark, NDLR.)
Un nul aurait pourtant suffi pour vous qualifier pour les demi-finales. Cette équipe de France n’était même pas capable d’accrocher ce résultat ?
Non, non. Même après l’égalisation de Papin… On avait cette force chacun en soi, mais pas cette force de groupe. Forcément, on s’en mord les doigts parce qu’on pouvait attendre beaucoup plus de cette équipe, mais il n’y avait pas de cohésion.
C’est-à-dire que vous n’étiez pas trop copains ?
On était quand même des potes, tout le monde se connaissait. Basile (Boli) avait joué avec Cantona à Auxerre, je connaissais Laurent Blanc, Sauzée, les Marseillais ensemble, etc. Non, non, ça se passait plutôt bien en dehors du terrain. Seulement, les egos ont joué un peu. Il fallait que des joueurs brillent. Si Papin ne marque pas (il marque les deux buts français pendant le tournoi, NDLR), ce n’est plus Papin. Et si on n’arrive pas à les faire briller, il se passe ce qui s’est passé.
Dans sa réaction à chaud après l’élimination, Michel Platini souligne le manque d’expérience de l’équipe, notamment à cause de ses absences lors des deux dernières compétitions internationales (Euro 1988 et Mondial 1990). C’est un ressenti que vous partagez ?
Oui, il y avait de ça. Certains joueurs avaient disputé des grandes compétitions, mais il manquait un vécu de groupe. On n’avait pas non plus les discussions qu’il faut pour ce type de tournoi : on ne parlait pas des matchs à venir, de ce qu’il fallait faire. Ce que j’ai davantage connu à l’Euro 1996. C’est vrai que c’est intéressant quand on y pense : on ne se disait pas entre nous qu’on devait gagner le prochain match, il n’y avait pas de calculs.
Il n’y avait pas d’esprit de compétition ?
Oui, voilà, c’est un peu ça. Il n’y avait pas forcément cette personne qui allait vous pousser pour que l’équipe se surpasse, comme j’ai pu le connaître par la suite. Pourtant, il y avait de grands joueurs. Basile (Boli) était là, on sait le gagneur que c’est devenu, mais là ce n’était pas le cas.
Après l’élimination contre le Danemark, on ne devine pas non plus une déception immense sur les visages des joueurs ou du sélectionneur. À quoi ressemble l’ambiance dans le vestiaire ?
On est déçus, mais c’est vrai qu’on n’avait pas l’impression qu’on perdait. En fait, on n’avait pas l’impression que c’était la France qui perdait, c’est ça aussi. On ne se disait pas : qu’est-ce qu’on fait pour le pays ? Est-ce que les gens vont être contents ou pas contents ? En gros, c’était terminé, on rentrait chez nous et puis voilà, il n’y avait pas mort d’homme. En 1996, on a senti que ça montait, on avait les échos de la population française, donc on pensait à eux, on avait envie de se battre et d’aller au bout.
Pour vous, en tant que Guadeloupéen, qu’est-ce que ça représentait de jouer pour l’équipe de France ?
C’était top, ça représentait énormément pour moi et pour la Guadeloupe, car on n’a pas eu beaucoup de Guadeloupéens chez les Bleus. Il y avait eu Trésor, je crois qu’il y en avait aussi eu d’autres. Mais c’était énorme, surtout que j’ai quitté la Guadeloupe à 20 ans pour arriver directement dans le monde professionnel. C’est aussi pour ça que cet Euro était une grande déception pour moi, j’espérais mieux.
Comment réagissez-vous à l’annonce du départ de Michel Platini quelques jours après cet échec ?
On l’a compris après le match. Il était là, mais est-ce qu’il avait vraiment envie d’être là ? C’est comme ça que je le ressentais. Il n’avait jamais vraiment montré qu’il voulait la sélection, comme certains peuvent le faire aujourd’hui. Je pense qu’il a pris l’équipe de France parce que c’était Michel Platini, il se sentait peut-être redevable. Il fallait qu’il fasse quelque chose pour la France. À la base, il ne me connaissait pas, c’est Gérard Houllier qui me suivait en tant que joueur. Bon, après, on a eu l’occasion d’avoir des discussions, il était toujours de bons conseils. En plus, il habitait à Cassis, pas loin de Marseille, donc ça m’arrivait de prendre l’avion avec lui et de discuter.
Finalement, cet Euro 1992 était aussi un peu un tournoi de transition entre la génération 1984 et celle de 1998-2000 à venir. Sentiez-vous à cette époque ce que l’équipe de France allait devenir ?
Non, pas forcément. Par la suite, un peu oui. Le fait de voir l’OM gagner en 1993, le PSG monter en puissance ainsi que d’autres clubs, ça a pu aider. Il y a aussi beaucoup de joueurs qui sont partis à l’étranger après l’arrêt Bosman et qui ont pris de la bouteille en découvrant le très haut niveau. Ça a grandement contribué à la construction et à l’épanouissement de l’équipe de France.
À lire :
- Nos Jours Euro, épisode 1 : Jean Wendling et l’Euro 60.
- Nos Jours Euro, épisode 2 : Luis Fernandez et l’Euro 84.
Propos recueillis par Clément Gavard