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João Cancelo, le nouveau couteau tactique de Guardiola

Par Maxime Brigand
8 minutes
João Cancelo, le nouveau couteau tactique de Guardiola

Soporifique depuis plusieurs mois, le Manchester City de Pep Guardiola a retrouvé du jus et de l’imagination pendant les fêtes. Au centre de ce retour en forme, un homme : João Cancelo, que Guardiola a transformé en ouvre-boîte formidable.

Ils en veulent toujours plus, ont fait de ces rendez-vous hebdomadaires des immanquables et ne sont jamais rassasiés. Chaque semaine, à l’heure d’aller au stade ou au moment de s’installer au fond de leur canapé, un même désir naît sous la forme d’une question : alors, cette fois, que nous a-t-il préparé ? Puis, 2020 est arrivé, et un murmure a parcouru la fin d’année : Pep Guardiola serait devenu prévisible et, pire, ennuyeux. Durant de longues semaines, son Manchester City, seulement vainqueur de cinq petites rencontres de championnat entre fin septembre et mi-décembre en étant parfois armé d’un double pivot Rodri-Fernandinho tout en contrôle, a montré des limites et n’a offert que peu de moments heureux à ses fidèles suiveurs. La faute à qui, à quoi ? À une circulation de balle en U, d’abord, qui allait à l’inverse des idées d’un Guardiola qui a toujours affirmé qu’« en football, il n’y a qu’une bonne manière d’attaquer : c’est d’attaquer l’axe, l’intérieur. Au basket, ils font le pick and roll et si c’est fermé, oui, ils cherchent ensuite l’extérieur. L’idée reste d’attaquer les joueurs d’axe. » À une absence de prises d’initiative individuelles, ensuite, ce qui conduisait souvent à un jeu stérile, car vidé de décalages, de dialogues intérieurs, de combinaisons entre les lignes, de mouvements, et donc de déstabilisations. Durant cette période, City n’a pas été épargné par certaines blessures (notamment Kevin De Bruyne), mais Guardiola savait surtout qu’il lui fallait trouver une nouvelle astuce afin de redonner de la vie à son groupe. Comme souvent, le Catalan a innové par nécessité plus que par esprit d’aventure. Pep Guardiola n’invente jamais pour inventer, il invente pour trouver une nouvelle musique et par conscience que les ingrédients qui ont fonctionné pendant un temps ne peuvent fonctionner éternellement. Un entraîneur de foot est comme un cuisinier : il doit souvent retravailler sa carte, au risque de devenir aussi prévisible que son équipe.

On ne peut plus considérer les latéraux seulement comme de braves gars qui défendent sur les côtés, et de temps à autre, montent donner un coup de main.

« Je veux qu’il soit heureux  »

Cette fois encore, l’innovation ne s’est pas faite en un jour. Et, cette fois encore, Guardiola, qui a toujours cherché à installer des créateurs à des postes reculés, s’est tourné vers un membre des « pièces essentielles du jeu » moderne : les latéraux. Ceux-là même qui étaient hier les joueurs les moins attractifs de l’échiquier. Voilà ce que disait pourtant Guardiola d’eux il y a quelques années : « Ils sont devenus décisifs selon le rôle que leur accorde l’entraîneur. Je ne veux pas de latéraux coureurs de fond, mais des latéraux intérieurs. Je veux des milieux qui glissent aux postes de latéral. Ça a été une évolution cruciale pour mon Bayern : la polyvalence d’Alaba, l’intelligence de Lahm, la versatilité de Rafinha, l’énergie de Bernat. Un trésor. C’est eux qui ont rendu possible de jouer à cinq attaquants, de marquer des tonnes de buts, de gagner autant de matchs.(…)On ne peut plus les considérer seulement comme de braves gars qui défendent sur les côtés, et de temps à autre, montent donner un coup de main. Aujourd’hui, ils doivent se comporter comme des milieux et aller de la position de soutien au milieu défensif axial au redéploiement sur le côté en phase défensive. » Pep Guardiola n’a ici rien révolutionné et s’est librement inspiré de ce que proposait Cruyff en son temps, mais avec un objectif commun : faire du latéral un joueur multidimensionnel. Le nouvel élu se nomme aujourd’hui João Cancelo, baladé à plusieurs postes depuis son arrivée à City en août 2019, mais encensé par Guardiola au milieu de l’été : « C’est une personne totalement différente de celle qui est arrivée au club. Nous avons eu besoin de temps pour se comprendre. Maintenant, ce que je veux, c’est qu’il garde le comportement qu’il a depuis la reprise parce que c’est le meilleur joueur à l’entraînement. Je veux qu’il soit heureux parce que s’il l’est, il va beaucoup nous aider à l’avenir. » Cancelo a fait mieux que ça : il est devenu indispensable.

L’arme fatale

Il y a d’abord eu un premier test, mi-octobre, face à Arsenal (1-0), puis une confirmation contre Newcastle (2-0) durant les fêtes et deux autres ensuite sur le terrain de Chelsea (1-3) et de Manchester United cette semaine (0-2). Le Cancelo complet est arrivé, et tout City, qui vient d’enchaîner cinq succès consécutifs, a retrouvé de la vie. À savoir : plus de jeu intérieur, moins de U, un retour de l’imagination dans la circulation de balle, du mouvement permanent, une capacité à créer, via des ajustements incessants, un surnombre dans le cœur du jeu pour faire plier n’importe quel adversaire tout en l’étouffant… C’est ici une histoire de système, puisque Guardiola a supprimé son double pivot, mais surtout une question d’animation avec ballon (sans ballon, City est en 4-3-3 avec Cancelo à droite de la défense à quatre). Une animation qui varie légèrement en fonction de chaque adversaire. Face à Newcastle, contre qui City a fini la journée avec 75% de possession de balle, 91% de passes réussies et 3.20xG, on a alors vu un 3-4-3 cruyffien(ou batllessien), permettant un enchaînement de triangles :


Face à Newcastle, le 3-4-3, qui a considérablement perturbé les Magpies. En phase de possession, Cancelo est ainsi venu se glisser au milieu et a laissé Stones-Dias-Aké former un trio.


Dans cette position, il devient une solution pour sortir les ballons à l’intérieur alors que Sterling s’occupe d’étirer le couloir…


… mais aussi une solution précieuse derrière les lignes adverses.


Il permet surtout à City d’être beaucoup plus tranchant dans le dernier tiers adverse. Ici, alors que City pose cinq joueurs (Sterling, Ferran Torres, Gündoğan, Cancelo, Bernardo Silva) sur la ligne défensive adverse, Cancelo sort et propose une solution à De Bruyne…


… Son mouvement perturbe l’équilibre de Newcastle et le Portugais, très juste techniquement, peut parfaitement servir Sterling.


Autre situation où Cancelo peut cette fois faire parler sa qualité dans le jeu long avec Sterling, placé en situation de un-contre-un avec le latéral adverse.


De cette position, Cancelo peut aussi attaquer l’espace entre les centraux adverses et profiter de l’appel de Torres…

Contre Chelsea, l’animation a ensuite été ajustée avec un De Bruyne placé en faux neuf, accompagné de Foden et Sterling pour manger la profondeur. Cette animation, un 2-3-2-3 avec ballon conduisant à la création d’un triangle Cancelo-Silva-Sterling à droite et d’un autre Zinchenko-Gündoğan-Foden à gauche, a ainsi permis à City de toujours avoir un joueur derrière le pressing adverse et surtout de manipuler la pression bleue comme du chewing-gum. Dans ce plan, Cancelo a de nouveau eu un rôle central tout en respectant – c’est la clé – les règles du jeu de position avec Sterling. Le Portugais a alors dû jongler entre un rôle d’appui entre les lignes, de sniper et de point de fixation intérieur pour libérer l’ailier anglais, qui a, de son côté, eu pour consigne d’étirer le bloc adverse au maximum pour ouvrir des espaces dans le cœur du jeu.


En phase de possession, Cancelo grimpe de nouveau occuper un rôle de relayeur. Ici, trouvé par Sterling, il peut déclencher…


… et trouver De Bruyne entre Thiago Silva et Zouma. Malheureusement, le Belge croisera ensuite trop sa frappe.


Encore une fois, le Portugais est une solution pour sortir le ballon alors que Stones, qui a décalé légèrement sa position, aide à aspirer le pressing de Chelsea.


Ici, il est un appui intérieur pour Sterling.

Enfin, sur la pelouse de Manchester United cette semaine, nouvelle variation avec toujours aucun attaquant de formation aligné (donc une forme de 3-3-4 ou 2-3-5 avec ballon) et un pari fait sur la recherche d’une supériorité numérique au milieu. On a alors retrouvé Cancelo, qui a touché en moyenne 97 ballons sur ses trois derniers matchs, dans le cœur du jeu.


En phase de possession, City repart avec trois hommes (Stones, Dias, Zinchenko), laisse Sterling et Foden élargir le bloc adverse et empile les hommes (Gündoğan, Fernandinho, De Bruyne, Cancelo, Mahrez) dans le cœur du jeu.


Autre preuve de la recherche de supériorité numérique avec le décrochage de Mahrez.


Sur chaque situation, l’idée est d’être en supériorité numérique : ici, Cancelo vient se glisser aux côtés de Fernandinho et peut soit attirer Martial et libérer Stones, soit devenir une solution de passe pour Ruben Dias.


Cancelo, toujours à l’intérieur (à droite de Fernandinho), ce qui fixe l’attention sur l’intérieur du jeu et libère Sterling.


Ici, alors qu’il contrôle normalement Cancelo, Pogba sort sur Stones, qui peut alors déclencher vers Sterling, lequel peut ensuite fermer le triangle avec Cancelo à l’intérieur. Il y a toujours un homme libre.

Ces trois dernières rencontres ont été des démonstrations de force de City et la preuve que Guardiola tient une nouvelle approche dynamique, où ses joueurs peuvent réciter une partition technique parfaite et cogner la grande majorité de leurs adversaires. Cancelo, nouvelle preuve que dans le football moderne l’animation offensive ne peut se passer d’un latéral complètement impliqué techniquement et tactiquement, est l’arme fatale de cette nouvelle formule et les chiffres ne mentent pas : le Portugais est le deuxième fournisseur de passes clés par match et de passes dans la surface adverse de l’effectif derrière Kevin De Bruyne, tout en affichant le meilleur total de centres réussis parmi les latéraux. « Il a le courage de tenter des choses, de demander le ballon, il n’a pas peur, souriait Guardiola il y a quelques jours. Je lui demande souvent d’évoluer dans une position qui n’est pas la sienne, donc de jouer plus à l’intérieur, mais on a vu qu’il pouvait être vraiment bon. » Et City, qui a dans le même temps retrouvé un Stones XXL, aussi. Reste à passer la formule sur le gril face à un adversaire plus actif à la perte de balle : la réception de Brighton, mercredi, sera un bon test.

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La sentence est irrévocable pour les lecteurs de sofoot.com : Pep Guardiola est loin d’être finito
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