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Jo Querry : « On a bien tenu les Anglais au collet »
Son répondeur dit « Jo Querry ». René-Georges Querry était le « Monsieur Sécurité » du Mondial en France. Responsable interministériel du dispositif de sécurité exactement. Il refait son match de 1998.
On travaille où pendant le Mondial quand on est « responsable interministériel » de la mission de sécurité de la Coupe du monde ? Dans une annexe du ministère de l’Intérieur. On avait installé un état-major de 500m2 où étaient regroupés tous les services susceptibles d’être concernés par la sécurité de la Coupe du monde : CRS, gendarmes, magistrats, polices aux frontières, service de secours, santé, sapeurs-pompiers, SNCF. C’était un centre de coordination. On y était huit jours avant le match d’ouverture, jusqu’au soir de la finale.
Vous l’avez vécue où, personnellement, cette finale ?Même si j’avais une invitation pour aller en tribune officielle au Stade de France, je préférais rester au centre de coordination, par reconnaissance et sympathie pour tous ceux qui ont bossé 24/24, plutôt que d’aller faire le beau au stade. Le centre de coordination disposait d’une petite cour avec une pelouse de plusieurs dizaines de mètres carrés. On a regardé la finale à la télé, là, avec un barbecue, des brochettes et un verre de rosé en main, bien frais. On reste aux commandes une fois la finale terminée, à surveiller Paris, les Champs, mais aussi en province. Jusqu’à 4 heures du matin. Dieu merci, il n’y a eu qu’un incident, pas lié à la gestion de foule, avec cette conductrice qui a pété les plombs et a foncé dans la foule sur les Champs. En tout cas, je rentre chez moi avec le calme et la satisfaction du devoir accompli. Et je me réveille le lendemain du sommeil du juste. Quand j’y repense, franchement, en France, on a des administrations centralisées et décentralisées, des services d’ordre public, de grande compétence. Ça s’est super bien passé pour le Mondial. C’était pourtant tout nouveau pour la France d’accueillir un événement de cette ampleur. Et elle s’en est plus que bien sortie.
La diffusion des matchs sur écrans géants, un peu partout en France, c’était nouveau aussi.Et c’était beaucoup moins formel, en matière d’organisation, que les fan zones qu’on a pu voir à l’Euro. En 1998, l’accès était plutôt très libre, sans points de contrôle véritablement. Les écrans avaient plus une connotation conviviale pour ceux qui n’avaient pas la chance d’aller au stade. En 2016, les fan zones étaient complètement sanctuarisées, autant pour des raisons de sécurité objectives, le contexte terroriste, que pour des raisons commerciales. Ces fan zones étaient un peu des annexes des stades, avec les produits et les marques officielles. On était plus dans une dimension d’exploitation commerciale, je trouve.
Comment on prévoit cette situation inédite en France, de voir autant de monde débouler sur les Champs ?Qu’il s’agisse d’une grande célébration comme cette victoire ou d’un enterrement comme celui de Johnny par exemple, on s’appuie toujours sur le pire des scénarios, en considérant que la situation peut être gravissime. Donc on met tous les effectifs possibles et on dégraisse au fur et à mesure, on se met plus à l’aise si tout se passe bien.
Quels points chauds vous avez dû affronter sur ce Mondial ?Notre mission s’orientait sur deux axes : la gestion des foules et le terrorisme. Les pickpockets ou vols à la tire, c’étaient des problèmes mineurs, trop dilués. Quand on parle de gestion de foule, on parle surtout de hooliganisme, un problème essentiellement européen. Et on avait plutôt bien géré ça. J’avais proposé à Chevènement, ministre de l’Intérieur à l’époque, d’inviter toutes les polices des pays qualifiés à envoyer leurs hommes, qui devaient parler français, pour travailler avec nous sur le terrain. C’était une première, ce genre de coopération internationale. Je m’étais inspiré de ce que j’avais vu à l’Euro 1996 en Angleterre. Et ils se retrouvaient par groupe de trois sur le terrain. Finalement, même si ce n’était pas lié à une mauvaise gestion de la foule, on a eu malheureusement le cas du pauvre gendarme Nivel, à Lens, qui s’est fait attaquer dans une ruelle par des furieux. Et on a dû gérer des affrontements en avant-match d’Angleterre-Tunisie, à Marseille. La veille du match, des Tunisiens en balade sur la Canebière se sont fait agresser par des Anglais, plutôt avinés, qui ont ensuite brûlé le drapeau tunisien dans l’après-midi. Cette image passe dans les JT du soir. Deux heures après, des individus venant des quartiers de Marseille sont descendus casser de l’Anglais. Sauf que les Anglais n’étaient plus là. Donc ils se sont défoulés sur des magasins, et il y a eu de la casse. Objectivement, ça n’a pas été quelque chose de gravissime ou dramatique, mais subjectivement, au dixième jour de la Coupe du monde, l’impact médiatique a été considérable. Le lendemain, à midi, il y a eu des incidents devant l’écran géant du Prado et la diffusion du match a été annulée. Des Anglais ont été interpellés, sévèrement sanctionnés par de la prison ferme et libérés un mois plus tard. Je me souviens aussi d’Angleterre-Argentine à Saint-Étienne. Il y avait eu quelques années auparavant la guerre des Malouines, donc pour nous, on se dit « putain d’Adèle, ça va être chaud » . Des journalistes avaient loué des appartements sur la place principale de Saint-Étienne, pour être aux premières loges si les supporters se tapaient dessus. Mais il y a eu peu de supporters argentins finalement et on a bien tenu les Anglais au collet.
Et sur la problématique terroriste ? Un attentat déjoué contre la sélection anglaise, lors d’Angleterre-Tunisie justement, est évoqué dans la presse et même dans un bouquin en Angleterre. Franchement, on n’a rien eu de ce côté-là. Et je m’en réjouis. Tous ceux qui disent qu’on a évité tel ou tel truc, en se basant sur trois conversations téléphoniques ou trois documents, c’est bidon ou de la communication. J’ai bossé dans l’anti-terrorisme, donc je sais ce que c’est que de déjouer un attentat au moment où le mec est prêt à poser sa bombe. Là, rien. Avant la compétition, bien en amont, on avait fait des interpellations préventives. On avait des mecs dans le collimateur. Interpellations et on verra après. On ne s’est pas gratté la tête hein. La plupart ont été libérés très vite.
L’Iran-USA à Lyon était aussi un match sensible. Comment on gère ça ?On avait rétabli le contrôle aux frontières, conformément à l’article 2, paragraphe 2 des accords de Schengen, 48 heures avant la rencontre. On avait bloqué à la frontière franco-allemande 3 à 4000 supporters iraniens venant d’Allemagne. Ils n’étaient pas féroces, mais voulaient manifester à Lyon contre le régime iranien. Des Iraniennes avaient même réussi à pénétrer à Gerland, en portant des T-shirts aux slogans anti-régime. On a fait intervenir en tribunes des policiers en civil, en jogging, pour leur demander gentiment de retirer ces T-shirts. Les autorités iraniennes menaçaient de ne pas démarrer la rencontre sinon. Après quelques minutes, les Iraniennes ont obtempéré. Et sont restées en tribunes pour voir le match.
Vous êtes sur les Champs-Élysées le 13 juillet, lors du défilé du bus des Bleus ?Non, j’ai savouré de chez moi, à Paris, en famille. On préparait notre départ en vacances vers l’Alsace, pour le lendemain. Là-bas, je me souviens que j’ai passé trois ou quatre jours à faire de bonnes grasses matinées. J’ai bien dormi quoi.
Propos recueillis par Ronan Boscher