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JO 2024 : vive la France, et puis c’est tout

RR, à Villa Olimpica, Santiago centro (Chili)
8 minutes

Si ces Jeux olympiques sont considérés comme une franche réussite dans l'Hexagone, le prisme franco-français prend le dessus sur tout le reste quand il s'agit du traitement des performances sportives. Le reste du monde n'existe pas ou si peu.

JO 2024 : vive la France, et puis c’est tout

Vous auriez pu faire un truc totalement dingue. Quitter la Ville Lumière, pourtant débarrassée des Parisiens (doux songes de nuits d’été) pendant ces deux semaines saintes pour traverser, au choix, la Manche, le Rhin ou les Alpes… Ainsi, vous avez été obligés de suivre les épreuves sur des chaînes anglaises, allemandes ou italiennes. Surtout, vous avez manqué la retransmission des Jeux olympiques de Paris 2024 sur France Télévisions : énormément de « France » (le chauvinisme animal), très peu de « télévision » (le sport dans sa splendeur supposée). « La France fait ce qu’elle fait toujours, elle s’intéresse à elle-même, témoignait il y a une paire de jours Leo Klimm, le correspondant de Der Spiegel en France. Pour une fois, elle le fait d’une manière positive. Pour une fois, elle est vraiment le centre du monde. »

La France fait ce qu’elle fait toujours, elle s’intéresse à elle-même. Pour une fois, elle le fait d’une manière positive. Pour une fois, elle est vraiment le centre du monde.

Leo Klimm, correspondant de Der Spiegel en France

En ces moments d’injonction au bonheur cocardier, vous avez peut-être choisi pour mater les Jeux une option encore plus loufoque, mettre un océan entre vous et l’Hexagone. En Amérique du Sud, par exemple, où les chaînes de télé se préoccupent, elles, de toutes les nations des Amériques, de bas en haut. Au bas mot, une trentaine de pays. Les télés chiliennes, au hasard, s’y enthousiasment pour les sacres de Julien Alfred de Sainte-Lucie (100m femmes en athlé), de la Brésilienne Beatriz Souza (judo, +78 kg) ou pour le parcours des volleyeuses dominicaines. Elles diffusent également des sports qui n’ont peu d’impact au pays comme l’escrime, le hand ou le water-polo. Comme vous, elles ont aussi remarqué qu’il y avait 206 délégations en France et non une seule.

Cocorico(s)

L’effet drapeau à la sauce sportive de France Télévisions ne date pas d’hier avec l’avènement de commentateurs qui font beaucoup de bruit avec leurs bouches à défaut d’être pertinents. En 2004, tellement obsédés par la place de Mehdi Baala sur le 1500m, finalement 4e, ils avaient oublié de signaler la victoire d’Hicham El Guerrouj, un des plus grands milers de l’histoire, après huit ans de malédiction aux Jeux. Depuis, ils ont appris à perfectionner leur tropisme franco-français et… les bavardages ad nauseam. On est peut-être un peu injuste, ils s’intéressent également aux stars étrangères (Team USA, NBA oblige ; Simone Biles ; Armand Duplantis, Alcaraz, Nadal et Djokovic…) à condition qu’elles soient bankables. Que saura-t-on des Chinois, ils sont quelques-uns, sacrés à Paris ? Mijaín López Nuñez, le lutteur cubain de gréco-romaine, vainqueur de cinq médailles d’or en suivant depuis Pékin 2008, encore mieux que Riner, n’aura droit qu’aux miettes. En 2016, à Rio, la tenniswoman portoricaine, Mónica Puig, sortie des limbes avant d’y retourner par la faute de blessures à répétition, avait cogné quatre Top 10 avant d’offrir le premier or olympique à son île sans que cela n’émeuve la presse française.

Bien sûr, le pays de Chateaubriand et des frères Karabatic n’a pas le monopole du chauvinisme et de la « préférence nationale » mais l’absence de culture sportive la plus élémentaire laisse pantois. Dans la foulée du service public, le quotidien de sport préféré des Français, hanté par le Diable-clic, n’en a plus lui aussi que pour les récompenses des Français, le moindre céiste en 32es de finale est forcément « en route pour la finale ». Avec le même panurgisme bêlant, les médias généralistes hexagonaux (TV, radios, presse écrite) ont découvert la féerie des Jeux (tant mieux) et l’obsession du tableau des médailles qu’ils scrutent sans fin. « Miroir, ô mon miroir, dis-moi…» Peu importe que beaucoup n’y entravent que dalle, ça saute souvent à la gueule, seul l’amour du Bleu importe et gare à ceux qui ne communient pas à la grand-messe. En politique comme dans la foi, et donc dans la ferveur patriote, les derniers convertis sont souvent les plus intolérants.

S’il ne s’agissait que d’aller chercher des médailles, ça ne mériterait pas qu’on passe quarante ans de sa vie à ne pas dormir si c’est juste pour compter les breloques.

Claude Onesta

Il y a une semaine, Claude Onesta, pourtant manager général de la haute performance à l’Agence nationale du sport, ex-sélectionneur multi-titré du hand mais aussi ancien prof de gym, donnait un autre son de cloche : « Le sport de haut niveau n’a pas de valeur intrinsèque. S’il ne s’agissait que d’aller chercher des médailles, ça ne mériterait pas qu’on passe quarante ans de sa vie à ne pas dormir si c’est juste pour compter les breloques. (Après les JO) Dans les clubs, on tentera de transformer la pépite en champion et avec les autres, on essayera d’en faire des hommes mieux construits, mieux adaptés à un monde où on vit en communauté. »

Les politiques, les athlètes et l’art perdu de la défaite

Depuis Jacques Chirac, les présidents de la République n’aiment rien tant que s’afficher avec la France qui « winne »  par opposition sans doute à « ceux qui ne sont rien », selon la doxa macrono-macronienne. Jamais rassasié, le chef de l’État avait déjà rappelé dès décembre 2017 les handballeuses à leur condition au lendemain…d’un titre mondial : « Reposez-vous bien pendant les fêtes car l’an prochain il y a une échéance à la maison [l’Euro, NDLR]. C’est pour ça que je voulais qu’on se voie, il n’est pas question qu’on ne gagne pas. » Ainsi donc, pour ce (médiocre) footballeur du dimanche, il suffirait donc de se pointer avec un maillot bleu et de la volonté en conséquence pour gagner des titres internationaux. Dormir quatre heures par nuit, comme il le prétend, n’est pas encore une discipline olympique. L’inspecteur des travaux finis s’était manifesté après les Jeux de Tokyo en 2021 avec certains concepts fumeux issus d’un libéralisme échevelé à base de « pacte de performance »« cordée du sport » ou « capital sportif-entrepreneur »… Mieux, il s’était lancé ce jour-là dans une diatribe insensée auprès des médaillés qu’il recevait à l’Elysée : « Les résultats sont là, mais des progrès restent possibles. Le bilan global de ces Jeux olympiques n’est pas tout à fait au niveau que nous attendions. Nous savons que sur certains sports, il est même mitigé. On ne peut construire une réussite si on ne se dit pas les choses. »

En un septennat, la Macronie a fait de la récupération sans vergogne une vertu cardinale. Après les bons résultats des sports-co au Japon, il y a trois ans, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation, s’était fendu d’un tweet : « Vive le sport collectif ! Vive l’EPS ! Le succès de nos équipes de France de BHV illustre la qualité de l’enseignement de ces sports à l’école. Saluons le travail des enseignants d’EPS et la bonne collaboration avec les fédérations. » Avant de se faire clasher par Evan Fournier. Cette fois, Attal, Oudéa-Castéra, Darmanin et bien sûr le « maître du chronomètre » sont venus montrer leur face et prendre la lumière autour des terrains en félicitant les médaillés dans la perspective du coup d’après, bien aidés par une excellente première semaine et peut-être par une très bonne fin de seconde. Pas sûr que les membres d’un gouvernement sèchement sanctionné par trois fois il y a peu en tirent des bénéfices secondaires une fois le soufflé retombé.

Depuis presque toujours, les Jeux olympiques sont une régression en enfance et un plaisir sans cesse renouvelé qui n’advient que tous les quatre ans. On s’y initie au monde et on apprend au contact des autres. On y découvre ou redécouvre des disciplines géniales, peu médiatisées (le volley, le plus beau des sports-co, le judo, le VTT, le BMX, le water-polo, le hockey/gazon ou le niveau hallucinant du ping)… Paris était un écrin sublime pour recevoir ses troisièmes JO avec des sites irréels et une cérémonie d’ouverture sur la Seine. Des dizaines de milliers d’enfants auront tous envie de pousser les portes des clubs ou de s’ébrouer en bas de chez eux et ils ne seront pas tous des idoles au grand dam de nombre de leurs parents. Dans un pays où les intellectuels et les élites auto-proclamées ont toujours eu un problème avec le corps, c’est toujours ça de gagné.

La France, bipolaire par essence, a vécu un moment de concorde nationale fugace après s’être déchirée pendant des mois. On sait ce qu’il est advenu après 1998. D’une certaine façon, la Coupe du monde de cette année-là a constitué un point de bascule. Le culte de la gagne fait désormais office de culture sportive. Le romantisme des losers n’est définitivement plus de saison. En conséquence, sous l’avalanche de médailles, les Olympix ne tolèrent pas l’échec. Les Bleues du foot n’auraient pas le droit se faire éliminer par le Brésil qui a pourtant tordu les championnes du monde espagnoles au tour suivant et se voie vouée aux gémonies. Même chose avec les handballeurs qui restaient sur quatre médailles (3 ors, 1 argent) et qui sortent en quarts. Déluge en ligne. Comme si les néo-convertis ne comprenaient pas l’essentiel : en sport pour espérer gagner, il faut envisager de perdre.

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