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République dominicaine, l’auberge espagnole
Après un match nul encourageant contre l’Égypte (0-0), la République dominicaine affrontera ce samedi l’Espagne à Bordeaux. Un match avec une saveur particulière pour des Quisqueyanos qui ne cessent de s’espagnoliser pour élever toujours plus haut le niveau de leur sélection, dans un pays où le football reste un sport marginal.
Qualifiée pour la première fois de son histoire aux Jeux olympiques, la République dominicaine aura fort à faire pour espérer atteindre le tour suivant. Avec sa 150e place au classement FIFA, elle est la moins bien classée des seize équipes engagées à Paris. Pour rattraper au mieux et au plus vite le retard accumulé vis-à-vis de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, la fédération dominicaine s’est tournée vers sa diaspora. Très importante en Espagne mais aussi aux États-Unis ou en Allemagne, elle fournit un important contingent de joueurs aux Quisqueyanos. L’ailier droit de Getafe Peter González, son pendant à gauche Óscar Ureña ou encore le jeune défenseur madrilène Edgar Pujol sont tous nés en Espagne et y ont été formés. Tous les trois défendent aussi les couleurs dominicaines pour la première fois à Paris. Formée de nombreux autres binationaux comme José de León et Joao Urbáez, nés à Madrid, cette sélection dénuée d’expérience est en quête d’identité lors de ces Jeux.
Professionnalisation et espagnolisation
Tournée vers les États-Unis depuis son indépendance au XIXe siècle, la République dominicaine en adopte les pratiques sportives, malgré son passé colonial lié à l’Espagne. « En République dominicaine, le football est encore marginal, assure Elihú Castillo, journaliste sportif pour le média local Doce Pasión. Il passe après le volley, le basket, et surtout le baseball ». En raison de cette désaffection, le ballon rond doit longtemps se résoudre à n’être qu’un sport amateur dans le pays et il faut attendre 2015 pour qu’y soit créée une première ligue professionnelle. Bien qu’elle permette d’améliorer le niveau local, elle ne compte pas de clubs aussi compétents qu’à Madrid, Orlando ou Hoffenheim. Saint-Domingue décide donc d’aller y chercher des joueurs pour garnir les rangs de sa sélection.
Longtemps international dominicain jouant pour de modestes clubs espagnols, Rony Beard est devenu l’incarnation du projet des Quisqueyanos. Résidant toujours en Espagne, le directeur sportif de la sélection olympique est aussi en charge de la prospection de la fédération à l’étranger. « Grâce à l’émigration massive de Dominicains vers l’Espagne ou les États-Unis, notre équipe peut profiter de joueurs disposant d’une formation optimale, bien meilleure que sur l’île », se satisfait-il. Aidé de deux scouts qui prospectent sur deux continents, Rony Beard se focalise sur les très jeunes joueurs dont les parents ont quitté les Caraïbes à la recherche d’une vie meilleure. « Pour les trouver, on cherche sur les réseaux sociaux, précise l’international aux quinze capes. Parfois, on est aussi contacté directement par des familles ou des clubs. On travaille un peu différemment de ce qui se fait en général. »
Comme résultat de ce travail, une sélection composée de joueurs natifs, ou nés à l’étranger comme le binational allemand Fabian Messina. « Beaucoup de joueurs ont des coutumes différentes, admet Elihú Castillo. Mais le Dominicain est ouvert aux étrangers alors ça se passe très bien avec les binationaux, qu’ils soient natifs ou non de l’île ». Pour preuve, la fédération a même nommé Ibai Gomez comme sélectionneur de ses U23. Pur produit du football basque où il a effectué la majeure partie de sa carrière de joueur, il s’est reconverti comme un entraîneur adepte de Marcelo Bielsa. « Par sa connaissance du foot espagnol, Ibai Gomez a été fondamental pour convaincre certains joueurs de notre projet », témoigne Rony Beard. Parmi eux, le prometteur défenseur de la Castilla Edgar Pujol ainsi qu’Oscar Ureña, ailier de Girona dont les parents ont émigré en Catalogne. Dans les deux cas, c’est le discours d’Ibai Gomez qui a fait mouche.
Une diaspora qui n’a pas dit son dernier mot
Pour éviter d’avoir à faire le tour du monde pour trouver des joueurs prêts à défendre les couleurs des Quisqueyanos, la fédération dominicaine tente d’élever le niveau sur l’île. Après les premier pas d’une ligue professionnelle, l’île a accueilli plusieurs académies comme la Barça Escola ou la DV7, l’école de foot de David Villa, toutes deux à Saint-Domingue. Le Cibao FC, club de la capitale, a même remporté la coupe caribéenne en 2017. « Le niveau local s’améliore d’année en année, assure Elihú Castillo, mais le football dominicain a encore de grosses lacunes tactiques ». Pour compenser ce manque, la sélection semble encore dépendante de ses binationaux. Ce qui est tout sauf un problème pour le directeur sportif des U23. « On veut le meilleur pour la sélection et selon nous, tout Dominicain a le droit de la représenter, peu importe là où il est né », juge Rony Beard. Pour le tiers d’internationaux dominicains nés en Espagne, la rencontre face à la Roja aura une saveur particulière. En cas de succès, ils pourraient motiver d’autres binationaux à préférer la sélection caribéenne à l’ibérique. Et ce, peu importe si la Roja et les journaux espagnols grincent des dents face aux « vols » de leurs joueurs.
Par Amaury Gonçalves