- JO 2024
- Israël
La présence d'Israël aux JO, une décision clivante
Après son élimination ce mardi, l’équipe de football masculine d’Israël quitte déjà les Jeux olympiques. Dans un climat de tensions lié à la situation géopolitique en raison du conflit israélo-palestinien, la présence de la délégation olympique israélienne reste contestée, entre boycott et actions militantes.
Mercredi 24 juillet, Israël entre en lice face au Mali pour la première journée des phases de poules du tournoi olympique, 48 ans après sa dernière participation. Dans les tribunes du Parc des Princes, des banderoles sont déployées par des militants en soutien au peuple palestinien. « On était une cinquantaine, rejoints par les ultras du PSG (Virage Auteuil, NDLR) qui avaient organisé des actions en parallèle, raconte une militante présente lors du match, qui a souhaité rester anonyme. Lors de l’hymne national israélien, on a fait comme on a pu pour perturber puis on a sorti nos drapeaux tout au long du match. » Un récit contredit par une source diplomatique israélienne. « Il y avait entre 10 et 20 personnes qui ont essayé d’attirer l’attention de tout le monde avec des t-shirts et drapeaux mais c’est vraiment une petite minorité. » Une différence de perception qui n’est que la suite logique des débats précédents.
Pour ces militants, le boycott et les nombreuses actions de visibilisation de la Palestine durant ces Jeux sont la « seule arme pacifique », mais aussi une manière d’appuyer la demande du comité olympique palestinien d’exclure la délégation israélienne. Une demande « complètement rejetée » par l’État d’Israël. « Ça a été dit très clairement par Thomas Bach, il y a une séparation entre la politique et le sport », assure la source diplomatique. Selon Yvan Gastaut, historien spécialiste de la colonisation et commissaire de l’exposition Olympisme, une histoire du monde (présentée au Musée de l’Immigration), c’est « un vœu pieux que tout le monde considère comme hypocrite. » Les deux entités sont pourtant indissociables et ce, depuis ses prémices, malgré la définition « a priori apolitique » des Jeux olympiques, et plus largement du sport : « L’histoire montre, malgré les injonctions de Thomas Bach, que le CIO et le monde du sport sont traversés par des enjeux politiques, présents sur les drapeaux, les tenues, ou encore à travers le comportement des athlètes et des délégations. Tout est politique et on se rend compte que la question des boycotts est au cœur de cette dimension politique. »
Une trêve irréalisable
Une caractéristique intrinsèque aux Jeux, dont prend acte la militante pro-palestinienne : « La présence d’Israël (88 athlètes dans la délégation, NDLR) est politique, comme celle des Palestiniens (8 membres) qui est même un acte de résistance ». Un aspect politique parfois « subliminal », décrit l’historien. À l’image de la chemise portée par Waseem Abu Sal, boxeur palestinien lors de la cérémonie d’ouverture et approuvée par le Comité d’Organisation des JO selon Jibril Rajoub, président du comité olympique palestinien. Sur celle-ci, était mis en scène des bombardements pour dénoncer l’absence de trêve olympique.
La Palestine présente au JO de #Paris . Un moment d’extrême fierté de mon peuple, de sa résilience et de sa résistance. La gloire au drapeau 🇵🇸, porté par les hommes et femmes palestiniens, symbole de notre identité nationale et de notre combat pour la liberté.
2 de nos… pic.twitter.com/lDoedmLVM4
— Hala Abou-Hassira (@HalaAbouHassira) July 27, 2024
Mais cette notion de trêve des guerres pendant la période olympique est-elle inscrite dans les lois du CIO ? Aucune règle ne le précise, comme révélé par Yvan Gastaut. « On a souvent affirmé qu’à l’Antiquité, les différents Jeux suscitaient une trêve et les conflits s’apaisaient voire disparaissaient. C’est une sorte de mythologie que les concepteurs des Jeux olympiques modernes ont récupéré sans l’avoir édictée. Mais personne ne respecte clairement sa dimension, c’est une symbolique, une injonction qui n’engage en rien. » Une symbolique qui ne préoccupe pas l’État d’Israël, officiellement pour une raison : « On ne peut pas accepter de faire une trêve olympique quand on a toujours 115 otages israéliens, des femmes, des enfants, des bébés ».
Outre la question de la trêve olympique non respectée, la délégation olympique palestinienne et ses soutiens évoquent un deux poids, deux mesures entre le traitement, par le CIO, des cas d’Israël et de la Russie. Après une première demande auprès du CIO et de la FIFA, restée sans réponse, l’homme à la tête du comité olympique palestinien a réitéré sa requête afin « de clarifier les réglementations au sujet des régimes d’apartheid, de l’annexion des territoires palestiniens et des athlètes membres des forces d’occupation », comme annoncé en conférence de presse.
Du côté israélien, aucune contradiction dans le traitement des deux situations : « Nous n’acceptons pas cette comparaison. Israël a été attaqué, l’invasion était contre nous le 7 octobre ». Une approche nuancée et démentie par l’historien spécialiste de la colonisation. « La question n’est pas à inscrire uniquement dans ce qui s’est passé au mois d’octobre 2023, mais dans la longue histoire des relations entre Israël et la Palestine », rappelle Yvan Gastaut. Pour lui, la différence entre Russie-Israël et Ukraine-Palestine est « un sujet très sensible qui pose la question de savoir quel État serait blâmable et à partir de quel niveau de comportement on décrète que tel ou tel pays n’est pas acceptable aux JO. Israël est un État gênant à tous les niveaux pour le CIO, comme l’était l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. » Une situation d’autant plus complexe qu’il n’y a « pas de ligne clairement établie. C’est la porte ouverte à toutes les interprétations », estime Gastaut.
Un CIO frileux ?
Interrogé, le Comité international olympique a justifié son positionnement sur la situation : « La suspension de la délégation russe est fondée sur la décision unilatérale prise le 5 octobre 2022 par le Comité olympique russe d’annexer, et de revendiquer comme membres, un certain nombre d’organisations sportives régionales sur le territoire du Comité national olympique d’Ukraine. Cette décision constitue une violation de la Charte olympique car elle porte atteinte à l’intégrité territoriale du CNO d’Ukraine, telle que reconnue par le CIO conformément à la Charte olympique. Les deux situations ne sont donc pas comparables car les deux CNO d’Israël et de la Palestine sont reconnus par le CIO et respectent la Charte olympique. »
L’organisation présidée par Thomas Bach et ses décisions n’ont pas l’air de satisfaire. « Être neutre politiquement ou être passif sont deux choses différentes », tacle Jibril Rajoub. « Les règles du CIO ne sont pas claires sur le sujet », confie de son côté l’historien avant de déplorer qu’on « ne peut trouver de règlement parfait. L’ambition première du CIO, louable et défendable, est de rassembler toutes les nations du monde mais c’est utopique. Le CIO n’a pas les armes ». Un manque de prise de position qui l’agace. « Les instances olympiques essaient de ménager la chèvre et le chou afin qu’il y ait le moins de vagues possible. »
Face à ce manque de tranchant, les actions de boycott se multiplient créant même une scission au sein des organisations militantes pro-palestinienne. « Beaucoup boycottent les athlètes qui sont venus à Paris parce qu’ils estiment que les Palestiniens auraient dû ne pas prendre part aux Jeux olympiques », confie celle qui était présente lors des matchs Mali-Israël et Paraguay-Israël, qui préfère voir sur les terrains olympiques des Palestiniens porter haut leurs couleurs. « Mon militantisme est avant tout humain, je vais même aux épreuves où les Palestiniens sont présents », conclut-elle. Avec l’élimination des jeunes footballeurs israéliens, les militants devront désormais concentrer leurs actions de boycott sur les autres sports olympiques.
Par Nesrine Bourekba et Lucie Lemaire
Tous propos recueillis par Nesrine Bourekba et Lucie Lemaire.