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Au cécifoot, les gardiens sont les yeux des Bleus

par Assia Hamdi
5 minutes

Alors que les Bleus du cécifoot disputeront la finale des Jeux paralympiques contre l’Argentine samedi soir (20h), focus sur la mission des gardiens, parfois dénigrés, mais qui sont au service de leurs coéquipiers.

Au cécifoot, les gardiens sont les yeux des Bleus

« On m’a déjà dit que j’étais nul parce que je me prenais des buts de joueurs aveugles. » Moqués, dénigrés… Benjamin Guibal ou Jérémy Sauffisseau font partie des seuls joueurs voyants d’un effectif de cécifoot, les portiers, qui sont parfois considérés comme des gardiens de seconde zone. « Les gens se foutent de nous, mais c’est de l’ignorance : une fois qu’ils ont vu des matchs, ils nous chambrent moins », assure le second. Alors que la France disputera la finale des Jeux paralympiques contre l’Argentine samedi soir (20h), il était intéressant de pouvoir entrer dans la tête de ceux qui défendent les cages chez les déficients visuels.

Portier de l’équipe de France espoirs, Benjamin Guibal, 25 ans, pratique le foot pour non-voyants depuis 2017. « Les joueurs vont frapper en bout de course, sans prendre d’élan, donc le tir peut arriver sur nous à tout moment », situe le gardien de l’équipe de Bondy, club phare du cécifoot français, et qui a découvert la discipline lors d’une initiation dans sa ville de Villemomble (Seine Saint-Denis). Pas de langage corporel de l’attaquant, ni de rotation des hanches, encore moins d’échange de regards… et donc des shoots moins prévisibles, face auxquels le joueur réagit par des arrêts réflexes : « Les adversaires nous allument, on ne doit pas avoir peur de se prendre la balle en pleine tête. » Pour se préparer, le rempart multiplie les analyses vidéo : « Avec l’expérience, je sais aussi qui est gaucher ou droitier, et où chacun aime tirer. »

Un repère sur le terrain et en dehors

Sur le terrain, un gardien s’avère aussi l’œil de la défense et doit donc bien communiquer sur les dangers qui rôdent. « Il va me dire qu’il y a tel attaquant à dix mètres, ou me conseiller d’aller à droite ou à gauche », décrit Allan Castel, déficient visuel de naissance et défenseur au RC Lens cécifoot depuis 2018. Le fond compte, comme la forme. Un prénom, et une indication. « Ça doit se jouer en trois mots, pour que j’agisse vite, et être clair, surtout s’il y a des bruits ambiants. » Longtemps gardien en foot valide, Jérémy Sauffisseau peinait au départ à se faire comprendre par ses camarades. « Alors, j’ai mis un masque sur les yeux, et je me suis posté en défense, raconte le portier de 38 ans, vice-champion du monde avec les Bleus en 2011. Ensuite, ça a été beaucoup plus simple. » La précision acquise au cécifoot l’a rendu « plus efficace » dans sa mission de coach des gardiennes des féminines du Stade rennais.

Sur un week-end de stage, on doit aider chacun à s’habiller, lui décrire les plats au self du petit-déjeuner pour qu’il se serve…

Benjamin Guibal, gardien France Espoirs B1

Moins attendu, le gardien du cécifoot devient aussi la vigie de ses coéquipiers hors du terrain, dans les lieux publics, peu adaptés aux déficients visuels. « Dans les rassemblements, les staffs et les joueurs sont parfois séparés, note Allan Castel. Donc c’est le seul qui peut nous aider à aller du vestiaire au stade. » Une responsabilité de « grand frère » que Benjamin Guibal, son coéquipier en bleu, honore avec sérieux : « Sur un week-end de stage, on doit aider chacun à s’habiller, lui décrire les plats au self du petit-déjeuner pour qu’il se serve… » Ce qui occasionne du bizutage, de temps en temps. « Quand il y en a quatre qui veulent encore du café, ils font exprès d’attendre que je revienne avec une tasse pour me demander d’y retourner, continue-t-il. Et je les vois se marrer. » Ces moments d’entraide et ces souvenirs communs instaurent un lien, confirme Allan Castel, coéquipier de Benjamin Guibal en bleu. « À force de passer du temps ensemble et qu’il nous aide, on reconnaît mieux la voix du gardien et on lui fait confiance pendant le match. »

« Avant, le gardien, c’était “le petit gros” »

Au fil des années, le rôle du portier s’est pourtant complexifié. « Avant, les buts avaient les mêmes dimensions que ceux du handball, mais les instances ont décidé d’agrandir la cage. » Une évolution actée en 2018 pour augmenter le nombre de buts et le spectacle. « Au départ, ça a creusé l’écart entre les nations, remarque Jérémy Sauffisseau. Mais les équipes nationales ont progressé : maintenant, il y a moins de gros écarts de score. »

Si au Brésil, la Seleção est cinq fois championne paralympique et professionnelle, le cécifoot reste amateur en France. Pas assez de terrains, d’équipes, de financements, et les gardiens ne sont pas en reste. Chez les espoirs, Benjamin Guibal a longtemps été le seul portier de l’effectif. « Avant, le gardien, c’était “le petit gros”, les gardiens étaient mous et lents, remarque Jérémy Sauffisseau, rempart tricolore à Tokyo. En 2021 encore, on n’avait pas d’entraîneur spécifique : on n’était pas en situation de handicap, donc on se sentait mis de côté. Mais si on veut qu’on performe, on a aussi besoin de moyens. »

Je me souviens d’un stage où certains voulaient qu’on joue à FIFA. J’étais sceptique, jusqu’à ce qu’un des malvoyants branche sa PSP, et qu’un autre, non-voyant, se mette à jouer grâce au son.

Jérémy Sauffisseau, rempart tricolore à Tokyo en 2021

Depuis 2021, Jérémy Sauffisseau note une augmentation des moyens chez ses compères, avec l’ajout d’un entraîneur spécifique chez les Bleus. « Il y a eu plus de stages et plus de préparation spécifique. Avoir les Jeux à Paris a sûrement aidé. » Médiatisation, sponsors, affluence, les Paralympiques sont perçus comme une opportunité. « Quand t’as joué devant 200 personnes, le fait de passer à 11 000, ça change, en matière de confiance. » Mais pour Jérémy Sauffisseau, ses anciens coéquipiers ont toujours de la ressource pour affronter de futures difficultés. « Je me souviens d’un stage où certains voulaient qu’on joue à FIFA. J’étais sceptique, jusqu’à ce qu’un des malvoyants branche sa PSP, et qu’un autre, non-voyant, se mette à jouer grâce au son. En France, rien n’est fait pour les personnes non-voyantes. Mais c’est fou comme elles peuvent être inventives et nous surprendre. »

Dans cet article :
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par Assia Hamdi

Tous propos recueillis par AH

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