- Billet d'humeur
- Affaire Aurier
Jeune est Serge
La polémique engendrée par la vidéo salée de Serge Aurier a enflé en 48 heures, autant que le nombre de téléchargements de l’application Périscope, au point d’accoucher de débats puants…
Jusqu’ici, tout est normal. Le buzz quasi immédiat, déclenché au cœur de la nuit de samedi à dimanche pendant que tout le monde se faisait chier devant On n’est pas couché? Normal. Les clashs, les bonnes et les mauvaises vannes, les parodies, les tweets de Pierre Ménès ? Normal. L’emballement médiatique qui court depuis dimanche matin ? Normal. La position du PSG, en quête de respect, d’institutionnalisation et de stature internationale ? Normal, et la sanction pourrait s’avérer, sans surprise, encore plus lourde. Les excuses de Serge Aurier, les tonnes d’excuses de Serge Aurier, à tel point qu’elles en deviennent plus embarrassantes que la vidéo qui fait tache ? Normal. La réaction de Laurent Blanc ? Normal, surtout pour un entraîneur qui a dû passer tout le début de son mandat à rendre des comptes sur son autorité, son charisme et son contrôle du vestiaire. La stupéfaction de ses coéquipiers ? Normal. L’inquiétude des supporters craignant que cette histoire ne laisse des traces sur le groupe à quelques encablures du match le plus important de la saison du club ? Normal. Que Guy Roux dérape et demande de « la prison » pour l’Ivoirien ? Hyper gênant mais, fort malheureusement, prévisible…
Mais au fond, le plus normal dans tout ça, ne serait-ce pas de voir un joueur finir par déborder ? Par déborder au point de déraper ? Comme des millions de gens, Serge Aurier a bavé sur son patron et ses collègues, un soir entre amis en rentrant du boulot. Sauf que, comme peu de gens, Serge Aurier et son pote à bonnet connaissent Périscope, et que ses mots – aussi tendancieux, insultants et blessants soient-ils – ont une portée et une visibilité autrement plus grandes que ceux d’un individu lambda. Dans un contexte où toute la communication est verrouillée, vérifiée, conditionnée par des chartes et des clauses dans les contrats, où chaque prise de parole est épiée, décortiquée, approuvée, cette séquence ne peut que choquer. Dans un monde parfait, cela ne devrait sans doute pas aller aussi loin. Guère plus loin qu’un « oh le con ! » , et une belle sanction pour punir l’idiotie. Mais ce n’est pas un monde parfait, c’est 2016. C’était prévisible, les débats ont donc pris une ampleur démesurée et une tournure quasi idéologique. Tous les clichés sont là : manque d’éducation, 93, entourage, salaire, exemplarité… Comme si personne ne se chambrait au fin fond de la Bretagne ou dans le 16e arrondissement. Mais, au fait, pour qui Serge Aurier devrait-il être un exemple ? Il ne s’agit pas de minimiser la bêtise du joueur du PSG. Juste de laisser Serge Aurier à sa place et de ne pas l’ériger en mascotte des maux d’une époque où les âneries des candidats de télé-réalité font des millions de vues sur les réseaux sociaux, et où les Chevaliers du Fiel parlent « d’émission de pédés » en direct sur D8… Une semaine avant l’incident, tout le monde voulait être Serge Aurier, après la diffusion d’un reportage consensuel en forme d’opération de communication sur le latéral droit au Canal Football Club. Serge Aurier qui se cogne une heure de route pour rejoindre ses potes d’enfance, son entourage et les gamins du ter-ter à Sevran après chaque entraînement. Serge Aurier, le footballeur millionnaire qui n’oublie pas d’où il vient – comme Benzema, d’ailleurs. Six jours plus tard, tout le monde se rend compte qu’être Serge Aurier, c’est aussi passer des samedis soir bien guez derrière un écran, entre un Velux, un maillot de Rabiot encadré et les effluves de chicha, à dire des conneries. Pour faire marrer les autres. Pour faire le malin, sur une vidéo qui se juge sur une échelle qui va de la bêtise à la connerie. Mais en quoi gagner près de 400 000 euros par mois dispenserait-il Serge Aurier, 23 ans, bon client des médias, d’un naturel plutôt franc et visiblement chambreur, de faire des boulettes ? Et des grosses, de celles qui vous coûtent une carrière au PSG. Après tout, Aurier le dit lui-même dans sa vidéo : il n’est « que » le meilleur arrière droit de Ligue 1. Personne ne lui demande d’en être le plus intelligent.
Par Pierre Maturana