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« J’espère monter en Premier League avec Darren Bent »
Après une aventure de dix-huit mois riche en émotions avec Angers, Abdoul Razzagui Camara a pris la décision cet hiver de s’envoler pour l’Angleterre. Direction Derby County, formation actuellement à la lutte pour monter en Premier League. Des premiers pas que l’international guinéen savoure et nous raconte en toute décontraction.
Avec Derby County, vous avez été éliminés vendredi au quatrième tour de la FA Cup par Manchester United (1-3), qui a marqué deux buts en position de hors-jeu. Dans quelle mesure es-tu déçu de ce résultat ?C’est sûr qu’on était un peu déçus à la fin du match. Après, eux, je pense qu’ils avaient le couteau sous la gorge parce que leur entraîneur est dans une situation compliquée. Mais ils ont fait un bon match. Même si on leur a tenu tête, leur victoire est plutôt logique sur l’ensemble du match. J’ai joué une demi-heure au cours de cette rencontre. Depuis que je suis arrivé, le coach me dit qu’il veut me mettre progressivement dans l’équipe, même si on traverse une passe difficile actuellement. À chaque match, j’ai de plus en plus de temps de jeu. Donc, franchement, c’est très bien.
Mais de quelle manière as-tu vécu cette rencontre ? Car ce n’est pas tous les jours qu’on affronte un club du calibre des Red Devils en Angleterre… C’est un peu comme le PSG en France, même si évidemment, ils n’ont pas remporté autant de trophées que United. C’était un vrai plaisir de jouer contre eux. J’espère juste maintenant qu’on va monter en Premier League et qu’on aura la chance de pouvoir rejouer face à eux (rires). C’est ça l’objectif. Parce que pour moi, le club a vraiment tout pour évoluer dans l’élite. Quand on voit les structures, combien le président s’investit dans le club, je pense que le club est prêt. Tu as signé pour Derby County début janvier. Comment se déroule ton acclimatation en Angleterre ?Vraiment bien. Je pense que ça me correspond vraiment de rejoindre une équipe qui souhaite monter plutôt que d’arriver directement en Premier League et de finir aux oubliettes comme certains ont pu le vivre… (rires) Ça me paraît être une bonne chose de se faire d’abord connaître en Championship. Le club fait vraiment tout pour que je sois bien, tout pour que je sois à l’aise. Je le sens tous les jours. Puis le coach est passé en France (Paul Clement, ancien adjoint d’Ancelotti au PSG, ndlr), en Espagne. Il a connu pas mal de choses et sait comme gérer son effectif. Mais ce qui m’a vraiment frappé ici, ce sont les infrastructures. Je les ai testées et tu peux voir qu’ils vivent pour le football. Il y a je ne sais pas combien d’employés, l’endroit où on travaille est immense, il y a beaucoup de terrains. Tu arrives à 9h du matin et tu rentres chez toi à 15h. Moi, en tout cas, ça, c’est le football que j’aime. Tu viens, tu prends ton petit déjeuner et tu vas travailler. Puis tu manges aussi à midi avant de rentrer chez toi. Après, tu as juste à faire la sieste et profiter de ta famille. On joue tous les trois jours aussi, ce qui change pas mal de la France.
Même si tu as peu joué en Championship (seulement trois entrées pour un total de 57 minutes de jeu), quelles sont justement tes premières impressions à propos de ce championnat ?
Ce n’est pas aussi tactique qu’en Ligue 1. Ça court vraiment d’un bout à l’autre du terrain. Faut vraiment être prêt à courir, prêt à faire les efforts. C’est presser, attaquer, défendre. Je pense que c’est un championnat qui me correspond. Les défenseurs ne vont pas très vite, j’ai pu le remarquer assez tôt. Si tu es vif et que tu vas vite, c’est beaucoup plus facile pour toi. Après, en ce qui concerne l’ambiance, tu sens qu’il y a des choses qu’ils aiment ici. Bien sûr ils aiment les joueurs qui accélèrent, qui centrent et qui dribblent. Mais ils apprécient un autre aspect du foot auquel on fait moins attention en France. Quand tu vas presser et tacler un mec, ils kiffent ça. L’ambiance est terrible !
En revanche, tu as débuté comme titulaire face à Hartlepool United en FA Cup (1-2), délivré une passe décisive et été élu Man of the match. Des premiers pas plutôt encourageants donc…
Je venais juste d’arriver et j’ai joué directement ce match. Je ne m’étais pas frotté au football anglais, mais j’ai rapidement vu quel était le style adopté. J’ai eu la chance que ça se passe super bien. J’ai fait un bon match, et comme je t’ai dit, les défenseurs ne sont vraiment pas rapides. Quand je prenais le ballon et que je percutais, ils avaient du mal. Jusqu’à présent, pour les minutes que j’ai disputées en championnat, ça s’est bien déroulé. J’espère que ça va continuer dans ce sens.
Chez les Rams, tu fréquentes Darren Bent, un attaquant autrefois redouté en Premier League… Ah, ça fait des années que je regarde la Premier League, donc je le connaissais un peu déjà ! Darren Bent, c’est un joueur que j’aime beaucoup. Aujourd’hui, je joue tous les jours avec lui. C’est quelqu’un qui est toujours en train de rigoler, de taquiner les gens. C’est un mec vraiment sympa. Franchement, c’est un plaisir. J’espère qu’on va réussir à aller en Premier League ensemble et que je vais lui faire quelques passes décisives, même si en ce moment, il est un peu dans le dur, car il ne joue pas.
Tu en parlais tout à l’heure : à Derby County, tu joues sous les ordres de Paul Clement, ancien assistant de Carlo Ancelotti à Chelsea, au PSG et au Real Madrid. Quel genre de manager est-il ?Il est proche des joueurs. Il nous parle, rigole avec nous. Il est tranquille dans sa tête. De ce que j’ai vu, il sait gérer les hommes. Directement quand je suis arrivé, il m’a dit ce qu’il attendait de moi et de prendre mon temps. J’aime bien la personne en tout cas. Et je trouve qu’il est différent des autres managers ici. Il est plus porté sur l’aspect tactique que d’autres dans le championnat. Je suis arrivé dans une équipe qui joue, contrairement à certaines ici. Lui veut vraiment que ça joue, que ça dédouble sur le terrain. Il a ses idées en tête et ses valeurs. Même si on perd trois ou quatre zéro, il souhaite qu’on garde notre style de jeu.
Ton départ d’Angers pour l’Angleterre a quelque peu surpris, puisque tu avais annoncé que ta priorité était de rester en France. Pourquoi avoir fait ce choix ?C’est certain que je voulais rester à Angers, parce que je m’y sentais bien et que j’y ai vécu mes meilleurs moments dans le foot jusqu’ici. Dans ma tête, je n’étais pas dans l’optique d’un départ. J’arrivais à six mois de la fin de mon contrat. Et cet hiver, le club a reçu pas mal de propositions. Celle de Derby County était très intéressante pour moi, mais aussi Angers (le transfert est estimé à 2 millions d’euros, ndlr). Je dois beaucoup au club, je suis très reconnaissant envers lui. Que ce soit pour moi ou pour le club, c’était une bonne opportunité. Je suis content d’avoir pu leur offrir cela. Je ne voulais pas partir comme un voleur. J’y tenais parce que je m’entendais bien avec le président, le manager général et le coach. J’ai pu leur dire un mot à mon départ, donc c’était sympa. Mais c’était quand même bizarre de partir comme ça… (rires) L’année dernière, au même moment, Derby me voulait déjà. À l’époque, on luttait pour monter en Ligue 1 et je ne voulais pas entendre parler de départ. Là, comme Angers a sans doute assuré son maintien et réalisé une superbe première partie de saison, c’était un peu plus facile.
Mais est-ce que tu aurais fait le même choix si tu n’avais pas eu l’opportunité de franchir la Manche ?Si ça avait été un autre championnat, je ne serais sans doute pas parti. Je voulais réellement aller en Angleterre. C’est ce que j’ai toujours souhaité, c’est mon rêve. Je suis satisfait de mon choix, car je me suis aussi dit que disputer six mois en Angleterre va me permettre de m’adapter.
Et partir en cours de saison, cela ne t’a pas effrayé, toi le papa d’une petite fille qui a fêté il y a peu son premier anniversaire ?Non, la vie est comme ça. Bien sûr que j’ai pris en compte l’avis de ma famille. J’ai signé un contrat de trois ans et demi, ce n’est pas rien quand même. Ma famille est avec moi et me suit. Après, disons que ma petite va s’adapter, hein (rires). Comme moi. Ce serait d’ailleurs bien qu’elle apprenne l’anglais assez tôt pour être bilingue. Elle est toute petite, donc ça peut également être le bon moment.
Les dix-huit mois passés à Angers restent à tes yeux pour l’instant la meilleure expérience dans ta carrière. Tu as récemment confié que « la dalle angevine est dans (t)on cœur » et que « c’était magique, rare de vivre des choses aussi fortes » .
Ça reste jusqu’ici la meilleure expérience de ma carrière. J’avais vécu une belle aventure avec le PAOK Salonique où on s’était qualifiés pour les tours préliminaires de la Ligue des champions. Mais en un an et demi avec Angers, on est montés en Ligue 1. Ce qu’on a réussi à faire, c’était formidable. Personne ne nous attendait là. Collectivement, c’était juste génial. Il n’y avait pas de phases mauvaises.
Qu’est-ce qui a rendu cette aventure si singulière en Maine-et-Loire ?Parce qu’on avait des joueurs revanchards qui avaient connu des parcours compliqués. On avait tous cette envie d’arriver au premier plan. Tout le monde était concerné, on se sentait tous bien. Que ce soit avec les coachs ou les directeurs sportifs, c’était une famille. Ce n’était pas du semblant. On travaillait tous main dans la main et je pense que ça s’est notamment vu durant les six premiers mois en L1. On a défendu comme des fous, on ne voulait pas lâcher le steak comme on dit (rires). Dans les gros matchs, on était très costauds. On pouvait tous se regarder et être fiers de nous. On n’était pas l’équipe qui jouait le mieux au foot, mais on avait cette volonté de se maintenir et surtout de travailler ensemble. Là-bas, tu as laissé l’image d’un joueur plutôt technique. Les supporters angevins ont notamment en mémoire ce match contre le PSG (0-0, 1er décembre 2015) où tu effaces Maxwell d’une virgule… Ah ça, c’est parce que vous ne connaissez pas mon côté technique (rires) ! Je pense que je suis plutôt un joueur technique, même si on parle plus souvent de ma vitesse. Quand tu es à l’aise dans ta tête, c’est le genre de choses que tu peux tenter. En plus, c’était un match où on n’avait rien à perdre. J’avais envie de prendre du plaisir. Si on monte en Premier League, peut-être que j’essaierai de reproduire ce genre de gestes.
Camara ce violeur de défense #SCOPSG pic.twitter.com/oXhWYhHOf2
— Pierre Perez (@PierrePerez0) 1 Décembre 2015
Il se dit qu’on te surnommait aussi « beau gosse » . C’est vrai, ça ? C’est vrai (rires). C’était juste pour taquiner, c’était gentil. Dans le groupe, on avait tous des surnoms. C’est Thomas Mangani qui m’appelait comme ça. On se charriait pas mal. Par exemple, Romain Saïss, je crois que tout le monde a oublié qu’il s’appelait Romain. Tout le monde le surnommait « Mokhtar » , même le coach ! Avant de découvrir l’élite française avec Angers, tu avais déjà pu évoluer en Ligue 1 avec Rennes, ton club formateur, et Sochaux. Avec du recul, quel regard portes-tu sur tes passages là-bas ?Rennes, j’ai tout appris là-bas. J’y ai fait toute ma formation. Après, je pense que j’étais trop impatient, à l’image de ma génération (avec notamment M’Vila, Brahimi et Le Marchand, ils ont gagné la Gambardella en 2008, ndlr). On voulait tous jouer. À ce moment-là, j’aurais pu prendre beaucoup plus de temps et grandir là-bas… C’était trop précipité de partir. Et Sochaux, que ce soit dans la façon de jouer ou l’environnement, ce n’était pas fait pour moi. Je n’étais pas à l’aise dans la vie de tous les jours. C’est vraiment un endroit… C’est Sochaux, quoi (rires). Pour un jeune comme moi, ce n’était pas l’endroit idéal pour faire ses gammes. C’était un peu compliqué, ça ne s’est pas bien passé du tout. Mais je pense que c’est quelque chose qui m’a également permis de grandir. J’étais un jeune garçon et je sais désormais un peu plus ce qu’il faut faire et ne pas faire dans le foot. Ça m’a servi, notamment à Angers.
Dans ton parcours, il y a aussi deux expériences à l’étranger, au PAOK Salonique et à Majorque…Comme je l’ai dit, le PAOK reste aussi l’une de mes plus belles expériences. J’ai passé six mois là-bas, il y avait une ferveur incroyable. Le public ne vit que pour le foot. C’est l’un des meilleurs que j’ai connus, d’ailleurs. Sur le terrain, ça s’est bien passé. Je m’entraînais très bien avec le coach avant qu’il ne se fasse virer à la fin (Georgios Donis, ndlr). Parce que c’était un club avec pas mal de stress et d’engouement autour. Ils voulaient que je reste, mais ils n’avaient pas trop les moyens (rires). Avec Majorque, j’ai joué en Liga Adelante. Mais je suis blessé durant plus de trois mois, ça m’a un peu tué. Après cela, j’ai dû rebondir. Et c’est là qu’a commencé mon aventure avec Angers…
Tu es international guinéen depuis janvier 2012, après avoir connu les catégories de jeunes en équipe de France. Est-ce que tu as hésité au moment de faire ton choix ?J’ai joué avec les jeunes en équipe de France, fait une Coupe du monde (avec les U17 en 2007, ndlr) et je compte deux sélections en Espoirs. En fait, si j’ai opté pour la Guinée, c’est parce que mes grands-parents sont décédés. J’ai fait ce choix pour mon pays, en leur mémoire. C’est eux qui m’ont éduqué en Guinée. Porter ce maillot, représenter le pays, je le fais pour eux. J’ai grandi dans la ville de Mamou jusqu’à mes neuf ans avant de venir en France pour rejoindre ma mère. J’ai quelques souvenirs de mon enfance là-bas. J’étais dans un petit village. C’était une jeunesse à l’africaine, dans la rue. C’était bien. J’ai commencé à jouer au foot là-bas et j’allais déjà vite. Je me faisais beaucoup courser parce que je commettais pas mal de bêtises (rires). Avec le « Sily National » , tu as déjà participé à deux CAN en 2012 et 2015. Remporter un titre avec ton pays, ce serait la plus grande fierté pour toi ? Ce serait une grande fierté, quelque chose de génial. Mais j’ai dernièrement fait une pause pour être concentré sur le football en club. Puis j’ai parfois eu des expériences avec la Guinée où ce n’était pas trop ça en ce qui concerne l’organisation. C’était parfois très compliqué, donc j’avais préféré me concentrer avec Angers. Je suis allé plusieurs fois en sélection et ça ne change pas. C’est toujours la même chose. Tu rentres, tu es épuisé, tu te blesses. Au final, tu n’es pas bon en club. Depuis que j’ai mis ça entre parenthèses, j’ai retrouvé un bon niveau et je pense avoir fait le bon choix. Ce n’est pas pour autant que je tire un trait sur la sélection. J’aimerais juste que ce soit mieux organisé.
Propos recueillis par Romain Duchâteau