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Jeronimo Diaz : « L’image de la FIFA s’est beaucoup détériorée »
Jeronimo Diaz était le manager général du Deportes Temuco, un boulot qui lui a permis de travailler main dans la main avec le président du club, la légende Marcelo Salas. Et puis, il a tout plaqué pour postuler à la FIFA et à l’UEFA. Sa lettre de motivation ? Un voyage en vélo de 25 jours. Interview.
Tu as entrepris un voyage un peu fou pour postuler à l’UEFA et à la FIFA, raconte-nous…Cela fait huit ans que je travaille dans le football et j’ai toujours voulu travailler à la FIFA ou à l’UEFA. Cela fait déjà quelques années que je postulais sans jamais obtenir de réponses, je me disais qu’il fallait savoir être patient, je postulais donc régulièrement tout en travaillant dans le football. Mais voilà, je n’avais toujours pas de retours, donc j’ai décidé d’enfourcher mon vélo, pour déposer en mains propres mon CV et ma lettre de motivation au siège de l’UEFA, à Nyon, et à celui de la FIFA, à Zurich. Je suis parti de Toulouse, au final j’ai roulé 1215 kilomètres en 25 jours. Et je suis rentré en train.
Pourquoi avoir entrepris ce voyage ?C’est un voyage qui symbolise pour moi un voyage plus long, mes huit ans de travail dans le monde du football.
En 2008, j’étais directeur marketing de la Coupe du monde U17 féminine au Chili. Ensuite, j’ai été brand manager de la sélection chilienne à l’époque de Bielsa, j’étais en charge de la publicité et de l’image de marque de la sélection. Après cela, l’équipe dirigeante du football chilien a changé, je suis allé en Australie et j’ai travaillé pour la Fédération australienne de football. Pendant la Copa América 2015, je m’occupais d’assister l’équipe qui organisait la compétition pour la ville siège de Temuco. Puis, mon dernier poste, c’était manager général du Deportes Temuco, le club présidé par Marcelo Salas.
À Temuco, tu travaillais donc quotidiennement avec Salas, c’est un type sympa ?En fait, Marcelo ne vit pas à Temuco, donc au quotidien, je ne travaillais pas avec lui. Il habite à Santiago, à 700 kilomètres, donc il s’occupait de cela « de loin » . Mais le fait de travailler avec Marcelo Salas, tout ce qu’il représente pour le Chili est très motivant. C’est une personne qui a des idées, une vision, qui mène à bien des projets pour le club. Je crois que c’est aussi pour cela que le club de Temuco est remonté en première division. Il a fait la différence par rapport à l’ancienne équipe dirigeante.
Tu as décidé de faire ce voyage quand précisément ?Je me suis marié à une Française en fait, donc je suis venu m’installer en France il y a peu. Nous sommes installés à Toulouse, pendant l’Euro j’ai pu travailler dans l’équipe de marketing de la compétition. Cela a duré uniquement le temps de la compétition, et puis c’était du volontariat. Mais je savais que c’était une opportunité pour connaître des gens, me faire un réseau aussi. Donc j’ai profité d’être à Toulouse pour travailler pendant l’Euro, pour connaître des gens de manière plus formelle aussi et tous me disaient qu’il fallait postuler via la page de l’UEFA. Je me suis rendu compte de manière définitive qu’il fallait que je fasse ce voyage.
Pourtant, sur le papier, tu as déjà un bon CV pour travailler à la FIFA.Oui, j’ai accumulé les expériences, quand je suis arrivé à l’UEFA ou à la FIFA, c’est ce que je leur ai dit : je ne suis pas juste un fan de foot un peu fou qui a pris son vélo, car mon rêve est de bosser avec vous. Je sais que j’ai l’expérience nécessaire pour oser postuler de cette manière, et travailler avec vous.
Pourquoi, à ton avis, ne t’avait-on jamais répondu avant ?Ce qui se passe, en fait, c’est que le système de postulation est quelque chose de très moderne, tout est automatisé, informatisé, tu envoies ton cv par mail, une lettre de motivation et ensuite tu reçois une réponse automatique qui te dit « merci beaucoup, mais nous ne recherchons personne en ce moment » .
Pour moi, c’était extrêmement frustrant de ne pas pouvoir m’asseoir face à quelqu’un, et lui raconter mes motivations, mon histoire. Dès que j’ai postulé, j’ai reçu ce genre de réponses, donc j’avais cette sensation amère que je ne pouvais pas entrer dans la compétition sainement, car peut-être que certaines personnes avaient un meilleur CV, des références, avaient fait de meilleures écoles. Mais je crois que la motivation est quelque chose qui, dans ce type de système automatisé, est un peu secondaire. J’aurais pu télécharger un modèle sur Google : « Comment faire une bonne lettre de motivation en Suisse ? » pour faire quelque chose qui correspond à leurs attentes, mais bon… Bref, j’ai voulu contourner un peu ce système et avoir l’opportunité d’être écouté directement pendant trois ou quatre minutes par les gens des ressources humaines, les recruteurs.
Ce voyage, c’est donc aussi pour toi une manière d’interpeller, une lettre de motivation ?Évidemment, car je sais que si quelqu’un enfourche son vélo seul pendant 25 jours, la personne qui est en face de toi comprend mieux ta motivation. J’ai voulu donner du poids à mes paroles, y joindre les actes. Car à travers une postulation informatisée, tout un chacun peut dire qu’il veut absolument ce travail, écrire de jolies choses, mais ce sont juste des mots. Si je le dis après 1300 kilomètres de voyage, c’est autre chose, la signification est plus puissante. Je sais que personne ne fait cela et donc tu engendres une certaine curiosité.
Comment s’est passé ton dépôt de candidatures ?Je suis d’abord allé à l’UEFA, car c’était à Nyon la première étape sur la route de Zurich. À l’UEFA, comme je m’étais fait des amis à Toulouse, j’ai été invité à la cafétéria, et mes amis m’ont aidé à aller en personne au bureau des ressources humaines pour remettre ma lettre de motivation en mains propres. J’ai réussi à parler quelques minutes avec la personne chargée du recrutement.
La personne avec qui j’ai parlé a bien sûr été surprise, car c’est sans doute la première fois que cela lui arrive. Mais c’était plutôt une bonne nouvelle, je voulais surprendre. Après, je sais qu’à ce niveau, institutionnellement, il y a beaucoup de codes, il y a une manière de le faire, de la transparence avec le système de postulation en ligne. J’ai juste pris trois minutes à la personne concernée, pour bien lui expliquer que ma démarche était sérieuse, pas caricaturale. Le jour suivant, je suis allé à Lausanne au C.I.O, là-bas je ne connaissais personne, donc c’était plus difficile, j’ai déposé un courrier à l’accueil adressé aux personnes des ressources humaines. Et enfin à la FIFA, là-bas aussi, on m’a aussi ouvert les portes grâce aux collègues que je connaissais depuis le Mondial féminin de 2008. Dans ce cas-là, j’avais déjà postulé un poste particulier, donc j’en ai profité pour leur rappeler ma motivation, mais j’étais déjà dans les tuyaux pour un post de brand manager. Ces trois institutions me font rêver, car elles ont un impact sur des millions de personnes.
Les scandales de corruption de la FIFA ne t’ont pas rebuté ?Quand j’étais en chemin et que je discutais avec les gens, beaucoup étaient surpris par le fait que je veuille travailler à la FIFA. On peut sentir du coup que l’image de la FIFA a beaucoup changé pour les gens. Elle s’est détériorée. On me regardait avec des gros yeux en me demandant pourquoi je voulais travailler pour une institution corrompue ; mais pour moi, même s’il y a de la corruption, ça n’est pas plus le problème de la FIFA que d’une autre institution, ça n’est pas la faute du football, il y a des gens corrompus partout.
Et au niveau du voyage, les paysages t’ont plu ?Honnêtement oui, c’était spectaculaire. De Toulouse à la Méditerranée, j’ai suivi le Canal du Midi, c’était merveilleux. Fabuleux ! J’ai eu deux semaines avec énormément de chaleur, mais très peu de pluie pendant le voyage. Je pédalais tous les jours le matin en essayant de terminer mon étape avant que le soleil ne tape trop. Ensuite, j’ai fait Montpellier-Lyon, il y a une voie cycliste le long du Rhône, j’ai rencontré beaucoup de gens sympas qui faisaient le même voyage, qui font du tourisme, tu rencontres des gens sympas le long du chemin. Je dormais dans une tente, dans des campings. Et puis, sur la route entre Lyon et Genève, lors d’une étape, j’avais peur de ne pas pouvoir trouver d’endroit pour dormir et finalement j’ai été accueilli par une famille à Optevoz, c’était super.
Et tu as trouvé les Français accueillants, honnêtement ?Ah oui, vraiment. Ils étaient ouverts et curieux avec moi. Tu leur dis bonjour et ensuite la conversation est lancée.
Tu as rencontré des difficultés pendant le voyage ?J’ai fait quelques étapes de montagne assez difficiles, le col de la Furka, notamment, c’était le passage plus dur.
Mais en fait, à la fin du voyage, je n’étais pas si fatigué que cela, je pensais que cela serait plus dur physiquement, maintenant j’ai les jambes un peu mortes, mais ça va quand même. Parfois, pendant le voyage, tu doutes bien sûr, tu remets en cause ton idée, tu te dis : « Est-ce que j’ai vraiment raison de faire cela, est-ce que ça en vaut la peine ? » Mais je n’ai jamais pensé à renoncer. Non, à aucun moment..
Tu es dans quel état après ce voyage ?Je me sens très léger et tranquille, car désormais, j’ai tout fait à 100% pour accomplir cette volonté, je n’ai rien à regretter, je suis allé au bout de mon idée, et le sort n’est pas entre mes mains, je ne peux rien faire de plus. J’ai fait tout le nécessaire. Dans ce sens, j’ai la sensation du devoir accompli, et j’ai prouvé que c’était une vocation. Je me suis rendu compte que je voulais vraiment le faire, puisque pendant le voyage, j’ai eu le temps de réfléchir aussi. Quoi qu’il en soit, ça n’est pas le point final de quoi que ce soit, c’est une étape de la route que j’ai empruntée. Et en attendant, je vais aussi commencer à postuler dans les différents clubs sportifs toulousains. Le TFC, ça pourrait aussi être une bonne idée, je vais les contacter.
Propos recueillis par Arthur Jeanne