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Jérôme Durain : « Tout bascule dans le sécuritaire »
À l'occasion d'une récente PPL (proposition de loi) « anti-casseurs » venu du groupe LR du Sénat, un vif échange a opposé François Grosdidier (l'homme qui a mené la charge sur Benalla) à Jérôme Durain, élu PS de Saône-et-Loire. La raison de ces algarades : l'amalgame abusif entre manifestants et black blocks qui rappelait étrangement celui communément établi entre supporters et hooligans. Un débat d'invectives qui rappelle à quel point, dès lors qu'il s'agit de légiférer sur des textes concernant la sécurité publique, les tribunes du foot ne sont jamais très loin des esprits des représentants de la nation. Bref, l'occasion de causer avec un élu de la République de sécurité, de répression, de l'OM et même d'e-sport, dont il est spécialiste.
Est-il fréquent de voir intervenir la question des supporters lors des débats parlementaires ?Oui. Cela se produit notamment dès que nous abordons des problématiques sécuritaires. Dans ce cas précis, une PPL au sujet des black blocks qui ont défrayé la chronique récemment. Il existe une tentation de vouloir utiliser ces violences pour restreindre la liberté de manifester. Et de fait cette logique sécuritaire s’apparente vraiment à ce qu’il a été possible d’observer dans le football, avec tout l’arsenal législatif qui s’est construit au fil du temps à propos de la lutte anti-hooligans. C’est pour cette raison que j’ai établi cette analogie en séance. Nous sommes confrontés à une tendance lourde. On évoque trop souvent la sécurité dans l’espace public uniquement en termes de moyens de répression, sans s’interroger sur les dynamiques sociales à l’œuvre, à les comprendre, les mécanismes qui expliquent les problèmes. Ce qui ne signifie évidemment pas d’excuser ni de ne pas combattre les diverses formes de violence. On ne se pose plus la question – la principale – de l’efficacité et de la proportion de la réponse. Tout bascule dans le sécuritaire. Les supporters en sont un bon exemple. C’est la même perspective, comment faire pour aboutir au meilleur résultat ? Pourquoi ne regarde-t-on pas davantage le modèle allemand avec son sens du dialogue, qui n’occulte pas de lutter contre le hooliganisme ? Les supporters comme les manifestants restent des citoyens et doivent être traités comme tels…
À vous entendre, c’est une tendance générale ?Dans notre société, l’individualisation et la commercialisation gagnent sans cesse du terrain. Toutes les formes d’organisation collective semblent déranger, sortir du cadre, du moins quand elles paraissent non monétisables. On ne semble plus capable ou on ne cherche plus à gérer ce type de phénomènes sociaux, comme si tout devait se réduire au consumérisme. On le voit dans les stades avec le changement de public qui s’opère de plus en plus. Regardez à l’étranger, en Angleterre par exemple avec des enceintes sans âme, dont les fans historiques ont été chassés, des lieux transformés en lieux de visite touristique. Donc on comprend bien pourquoi les supporters et les ultras s’avèrent si difficiles à saisir. Cela n’excuse évidemment pas la violence, mais la seule réponse ne peut consister dans davantage de répression et surtout de la généraliser. Toutes ces problématiques se retrouvent aussi dans un domaine qui paraît éloigné, mais que je connais bien : l’e-sport.
L’e-sport est quand même très commercial dès le départ, non ?Oui, mais on retrouve les mêmes tensions. Il existe également une communauté de gamers très forte, passionnée et informelle, soumise à une tension forte avec l’intervention d’acteurs privés et l’instrumentalisation purement économique, plus structurée et utilitariste. Il faut protéger dans l’e-sport comme dans les tribunes l’exception sociale. Bien sûr, je ne regrette pas l’arrivée d’acteurs économiques comme les clubs de foot, mais il faut s’assurer que les dimensions sociales et culturelles persistent.
Vous êtes un supporter de l’Olympique de Marseille. Avez-vous entendu parler de la création d’un groupe de parlementaires fans de l’OM ?Je sais qu’il existe un certain nombre de députés et sénateurs derrière les Phocéens. Mais ce n’est pas mon inclination de m’inscrire dans ce type de démarche. Je fais partie de l’équipe de foot du Sénat et cela me suffit largement. Je n’ai pas envie d’aller au-delà et de mettre en avant mon penchant pour l’OM.
Et comment regardez-vous malgré tout ce début de saison des Marseillais ?C’est dur. Surtout si vous vous rappelez la fin de saison dernière, cette inattendue finale en Ligue Europa. Je suis presque un peu inquiet. Même les joueurs entre eux ne semblent plus se comprendre, comme on l’a vu entre Adil Rami et Dimitri Payet lors de la rencontre contre la Lazio. Ils n’ont pas montré grand-chose pour l’instant.
Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov