Aviez-vous anticipé la démission de Sepp Blatter ?
Non, je suis sous le choc, j’ai été surpris. Je suis même triste de cette décision.
Comment interprétez-vous ce changement de posture radical en quatre jours ?
Ne me posez pas des questions auxquelles je ne peux pas répondre. Je n’en sais rien. Qui le sait d’ailleurs ?
Sepp Blatter a parlé d’un besoin de réformes de la FIFA, mais il a été président pendant 17 ans, ce n’est pas paradoxal ? Cet argument ne devrait pas sortir de la bouche d’un opposant ?
C’est le fond du problème. Cela pointe du doigt ce que j’ai soulevé depuis plusieurs années, à savoir le contrôle du comité exécutif par les confédérations. Le paradoxe que l’on souligne aujourd’hui, à savoir que Blatter a été président 17 ans sans faire les réformes nécessaires, cela s’explique par les blocages venus des confédérations. On parle de scandales de la FIFA, mais ce sont les compétitions et contrats de sponsoring des confédérations qui sont concernés. Je le dis depuis trois ans mais on tombe toujours dans la simplification : les confédérations ne sont pas membres de la FIFA, elles n’en sont pas des filiales, sont autonomes et pire, refusent l’autorité de la FIFA. Le paradoxe, c’est qu’elles contrôlent le comité exécutif. Quand on dit par exemple que Jeff Webb est vice-président de la FIFA, il l’est car il est président de sa confédération comme Michel Platini en Europe. Ils sont au gouvernement exécutif de la FIFA mais ils sont avant tout des membres de leur confédération. Le problème de la FIFA, c’est que son gouvernement est la plate-forme des confédérations. Aujourd’hui Sepp Blatter est libéré de contraintes électorales et dit « je veux faire changer ça » . Je crois que c’est une bonne initiative.
Pour vous, Blatter démissionne pour faire bouger les lignes ? Il sacrifie son mandat pour faire du concret ?
Je ne rentre pas dans un raccourci comme celui là, je ne sais pas pourqoi il démissionne, mais quand je lis le texte de la conférence de presse de mardi, je comprends qu’il dit « il faut lancer les réformes » . Dans une démocratie, quand le peuple élit un président, celui-ci a le droit de choisir son gouvernement, ce n’est pas le cas à la FIFA. Ce sont les confédérations continentales qui contrôlent tout, c’est le problème. Tous les scandales mentionnés ces dernières années, notamment sur le vote de 2010, ce sont des problèmes de confédérations. Cela ne veut pas dire que Blatter n’est pas responsable, que la FIFA n’a aucune responsabilité, mais dans le simplisme actuel, on oublie d’expliquer que le gouvernement de la FIFA est contrôlé par des non-membres, et visiblement c’est ce qu’il a été proposé de changer.
Vous avez déjà évoqué la question de la succession de Blatter, et l’impression qui en découle c’est qu’aucun candidat crédible ne se dégage à vos yeux…
Je n’ai pas complètement dit cela, j’ai dit que les candidats déclarés en face de Blatter n’avaient pas de programme, n’étaient que des marionnettes pour garder la place au chaud. Aujourd’hui, on ne connaît pas la liste des candidats, attendons de voir. Je pense que le prochain président de la FIFA doit comprendre le football mais aussi le monde. Il faut comprendre ce qu’il se passe dans les quatre lignes du terrain, mais il faut encore plus comprendre ce qu’il se passe au-delà. Les questions économiques, géo-stratégiques, les inégalités… On ne va pas élire un ancien entraîneur ou un commentateur de matchs. Ce n’est pas ça la présidence de la FIFA. On n’est pas dans la gloire du passé mais dans la compréhension et le management de la complexité du monde, c’est une autre dimension.
La FIFA est un animal institutionnel incompréhensible, le pouvoir appartient aux fédérations nationales, au congrès, mais le gouvernement est contrôlé par des non-membres : les confédérations
Est-ce que vous êtes un potentiel candidat ?
Oui, j’y réfléchis depuis mardi. C’est une question qui m’est arrivé au visage rapidement. Je n’ai pas pris de décision mais je n’exclue rien. On a besoin d’un candidat capable de réconcilier. Quels sont les clivages ? Il y a un isolement très fort des plus riches et puissants d’Europe de l’ouest, ils pensent qu’ils ont un droit naturel à diriger le football mondial car ils organisent la Ligue des champions. C’est une philosophie qui ne passe plus, l’Européo-centrisme, une forme de condescendance, cela ne passe plus dans un monde qui a changé. On a besoin de quelqu’un qui soit capable de réconcilier, et qui comprenne le football des grands clubs. Mais les grands clubs doivent comprendre qu’ils se développent grâce au talent qui viennent des autres territoires. Il faut sortir des 20 ans de rivalité stérile entre la FIFA et l’UEFA.
Donc le prochain président doit savoir parler à tout le monde ? Y compris les petites fédérations…
C’est exactement ce qui a été le cas avec Blatter. Il faut savoir parler aux petits et aux grands. Le Brésil, la France, ils ont soutenu Blatter. Ce n’est pas un clivage simple. Pendant longtemps, on a cru que le football devait être continentalisé, mais quels points communs y a-t-il entre le football de l’Angleterre et celui de la Moldavie ? Entre celui de l’Afrique du Sud et celui du Rwanda ? On a pensé en termes continentaux, alors qu’il faut rétablir la primauté du football national.
Mais ce sont tout de même les fédérations nationales qui déjà élisent directement le président de la FIFA…
Elles choisissent le président mais ce sont les confédérations qui élisent le gouvernement. En mars 2013, il y a un accord entre la FIFA, son président et cinq des six confédérations pour limiter le nombre de mandats à trois, donc douze ans, pour les dirigeants de la FIFA. Qui a bloqué ? L’UEFA. Il y a plein d’exemples de blocages de réformes par les confédérations quand elles jugeaient leurs intérêts en danger. La FIFA est un animal institutionnel incompréhensible, le pouvoir appartient aux fédérations nationales, au congrès, mais le gouvernement est contrôlé par des non-membres, les confédérations. Comment se passent les élections au niveau des confédérations ? Tout est arrangé. Si un membre de Fédération nationale dit, lors d’une réunion du comité exécutif de la FIFA quelque chose qui n’est pas en ligne avec la position de sa confédération, il risque d’être black-listé. Ce sont les confédérations qui contrôlent les élections, il va falloir renverser ça et les annonces de mardi vont dans le bon sens.
Vous avez parlé de l’absence de programme des candidats contre Sepp Blatter, qu’en est-il de vous ?
J’ai été candidat pendant un an, si vous allez sur mon site de campagne, tout est dessus, détaillé et chiffré. Avant d’être candidat, j’avais envoyé trois courriers à toutes les fédérations dont un intitulé « Quelle FIFA pour le XXIe siècle » dans lequel j’analysais les travers du football. Sur JeromeChampagne2015.com, vous pouvez tout retrouver. Après l’annonce de ma candidature en janvier 2014, j’ai envoyé neuf lettres mensuelles aux fédérations nationales, chacune correspondant à un thème. J’ai un programme détaillé et chiffré basé sur l’expérience.
On parle beaucoup de Michel Platini depuis mardi. Surtout du côté de l’UEFA, où on dit qu’il est le meilleur candidat. Vous en pensez quoi ?
Je ne rentre pas dans le débat franco-français. Je relève aujourd’hui que l’ONG Transparency International, en charge de la lutte contre la corruption, a fait des déclarations extrêmement fortes en ma faveur. C’est une ONG mondiale reconnue pour son travail contre la corruption qui m’a présenté comme le candidat le plus solide. Je ne dis que ça…
Lucas, Digne de confiance