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Jérôme Champagne : « Les égos et la jalousie ont pris le dessus »
Figure du Clermont Foot depuis le rachat du club par Ahmet Schaefer en 2019, Jérôme Champagne aurait quitté ses fonctions de conseiller du président d'après un communiqué officiel publié en début de semaine. Un point de vue que ne partage pas du tout le principal concerné. Selon lui, il aurait tout simplement été chassé du club. L'ancien membre de la FIFA présente sa version des faits.
D’après le communiqué du club publié ce lundi, vous quittez Clermont par choix. Comment l’avez-vous vécu de votre côté ? Le communiqué est totalement mensonger. On ne quitte pas son enfant. Le Clermont Foot est un projet qu’on a monté à trois : Ahmet Schaefer, Yannick Flavien et moi-même. J’ai une carrière assez longue, dans la diplomatie, à la FIFA, avec des projets passionnants au Kosovo, en Palestine, à Chypre… Mais Clermont a été la plus belle expérience professionnelle de ma vie. En collaboration avec d’autres, j’ai pu mettre en place ce que je pense être un club de foot, avec un mode de fonctionnement horizontal où la priorité est le sportif, mais pas que. Clermont est désormais un club impliqué dans son territoire alors que la ville est plutôt marquée rugby avec l’ASM. On voulait faire du Clermont Foot une entité qui assume ses responsabilités sociales et sociétales. On a énormément travaillé en collaboration avec les quartiers autour du stade Gabriel Montpied pour tenter d’insérer le club dans le tissu social local. Cela correspond à une philosophie que je défends. Je n’aurais jamais quitté Clermont.
Depuis quand les relations avec votre président Ahmet Schaefer ont commencé à se dégrader ?Il y eu deux moments cruciaux. D’abord début avril, Ahmet Schaefer nous a annoncé qu’il voulait remodeler la cellule de recrutement française qui fait pourtant un travail magnifique avec Philippe Vaugeois. On s’y est opposé avec Yannick Flavien. Ensuite, il y a eu le transfert de Cédric Hountondji cet été. On lui avait promis un bon de sortie en cas d’offre intéressante. Mais pas à Angers, pas chez un concurrent direct alors qu’il y a quatre descentes cette saison. D’autant que le joueur vaut bien plus que les deux millions pour lesquels il a été bradé. Je dirais que les liens se sont sûrement distendus petit à petit. En fin de saison dernière, on a enchaîné une séquence décisive avec Metz, Troyes et Montpellier à domicile un peu plus tard. Il fallait vraiment gagner pour se maintenir, mais Schaefer n’est pas venu…
Vous avez eu une explication avec votre président avant votre départ ?
On a eu plusieurs discussions avec Ahmet Schaefer, mais ce qui m’arrive est tristement banal. C’est l’histoire d’une start-up qui n’a pas vraiment d’argent au début. On a travaillé pour créer un mode d’organisation avec une forme de collégialité à trois avec Yannick Flavien. Un système original sans directeur général, ni directeur sportif, mais la start-up a grandi et à partir de là, arrivent les questions d’égo, d’autorité et de jalousie. Yannick Flavien et moi étions vraiment présents à Clermont. Il fallait être tout le temps là parce qu’un club de foot n’est pas qu’une question de résultats sportifs. Il fallait aussi innover sur la communication. Je suis fier de cette originalité parce que je l’ai construite. Mais tout cela, c’est du gâchis.
Vous avez également évoqué une prime pour la montée en Ligue 1 non versée. Qu’était-il prévu ?Dans une start-up, on promet aux collaborateurs principaux d’être rémunérés en action quand on n’a pas d’argent. C’est ce qu’Ahmet Schaefer a fait en nous parlant d’une prime de montée de 5% à Yannick Flavien et moi-même. Les promesses n’ont pas été tenues. Mais ce n’est pas un problème, en tout cas pas de mon côté. Peut-être que pour Ahmet Schaefer, c’était plus simple de me faire partir pour éviter de me donner ces 5% comme le club vaut bien plus aujourd’hui que le prix d’achat en 2019, mais ce n’est pas un conflit financier qui a causé mon départ. On a essayé de créer un mode de fonctionnement original et horizontal… On retombe dans la verticalité.
Justement vous avez répété à plusieurs reprises au cours des trois dernières années qu’un fonctionnement vertical classique menait souvent à des querelles internes. Avec le recul, pensez-vous toujours que votre triumvirat était la meilleure option pour diriger un club ?
L’horizontalité est quelque chose d’essentiel car personne n’est capable d’appréhender à lui seul la complexité du monde du football. Je pense que le système que nous avons mis en place était le bon. On a regroupé la ville autour du foot. L’un des symboles de notre réussite c’est le taux de remplissage, le deuxième de Ligue 1 derrière le PSG avec plus de 95%. D’ailleurs les commentaires des fans sont les meilleurs révélateurs. Ils ne comprennent pas pourquoi j’ai été poussé vers la sortie. Dans quel club les ultras défendent un dirigeant ? Pour moi c’est la meilleure des récompenses et cela me donne du baume au cœur.
Les relations entre le coach Pascal Gastien et la direction ont-elles été impactées par votre conflit ?Non absolument pas car on a tout fait pour protéger le groupe avec Yannick Flavien. On était très proche du vestiaire. C’était la différence entre Ahmet et nous. Lui venait peu. Quand il était là, il arrivait à 14h30 pour un match à 15h, il faisait des photos et si ça se passait bien, il montait sur la table du vestiaire pour distribuer les primes avant de disparaitre. Nous, on était tout le temps là. Je n’ai cependant aucune animosité contre Ahmet. Je le connais depuis 16 ans. Ce sont malheureusement des questions d’égo et de jalousie qui ont pris le dessus.
Est-ce la plus grosse déception de votre vie professionnelle ?Ce n’est pas une déception, c’est une douleur. La FIFA, c’était une déception professionnelle (Jérôme Champagne a visé la présidence de l’instance mondiale en 2014, NDLR). J’étais face à des obstacles politiques. Là, ce n’est pas pareil. Moi qui suis diplomate, j’ai visité 138 pays dans ma vie mais depuis trois ans, Clermont m’a permis de découvrir une vingtaine de villes françaises que je ne connaissais pas. En Auvergne, j’ai découvert des gens passionnants et attachants. Il suffit de voir ce que les supporters disent de moi : j’étais là, j’allais leur dire bonjour et je venais boire des bières avec eux. Ce départ est un arrachement, même si en réalité, je sais que c’est plutôt banal. Dans une start-up, quand le succès arrive il faut dégager un certain nombre de personnes. Ça ne me surprend pas.
Vous dîtes que Yannick Flavien avait globalement tenu les mêmes positions que vous face aux décisions d’Ahmet Schaefer. Comment expliquer que vous seul ayez été poussé vers la sortie ?
Dans le trio, on avait chacun nos compétences. Ahmet gérait le marketing et les droits TV, Yannick était le banquier qui s’occupait des finances et moi c’était plutôt le sportif, le politique et la communication. Au début, le président s’est entouré pour bénéficier de conseils variés. Mais au bout d’un moment, il décide de virer certaines personnes car il pense qu’il peut faire leur boulot tout seul. Si Ahmet a gardé Yannick Flavien, c’est aussi parce qu’il ne maîtrise pas son domaine de compétence. Je pense aussi qu’Ahmet n’aimait pas que je sois le visage du Clermont Foot.
Maintenant que votre expérience à Clermont est terminée, pourriez-vous vous investir dans un autre club à l’avenir ?Je ne crois pas que mon histoire avec le Clermont Foot soit terminée. Comment ? Je ne peux pas vous dire. Il peut se passer des tas de choses dans un club. Quant à penser à un autre club, évidemment c’est bien trop tôt. Je viens de perdre un enfant. Je ne suis pas en train de me demander si j’en veux un autre. J’aime profondément Clermont et je crois que le recrutement qui a été fait est bon. Il y a la volonté de se maintenir pour la deuxième fois de suite, ce qui serait historique. Mon histoire est triste mais ce qui compte, c’est d’être à fond derrière le groupe parce que c’est le club de mon cœur.
Propos recueillis par Gabriel Joly