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Jérémy Clément : « J’étais devenu le cliché du footballeur déconnecté de la réalité »
Deux ans après avoir raccroché les crampons, Jérémy Clément fait son apparition au rayon sports des librairies. Dans Pour le plaisir (Amphora), celui qui a cumulé 329 apparitions en Ligue 1 retrace sa carrière, débutée sous la tunique d’un OL alors tout-puissant et conclue chez les amateurs de Bourgoin-Jallieu, qu’il entraîne désormais. L’ex-Parisien et Stéphanois évoque aussi sans pudeur ses failles, ses erreurs, ses galères. Et c’est précisément ce qui a piqué notre curiosité.
Alors, qu’est-ce que ça fait de se retrouver face à une page blanche ?Au départ, il y a beaucoup de doute, d’incertitude : à qui vais-je m’adresser, que vais-je raconter ? Je suis un compétiteur, donc j’étais partant pour écrire un livre, mais à condition que ça marche, que ça plaise. L’idée, c’était de faire quelque chose de transparent, honnête, authentique. À mon humble niveau, je voulais faire passer des émotions dans le livre. Que les gens soient touchés par mon histoire, mais aussi par celle de ceux qui ont accepté de témoigner.
Justement, ton autobiographie est agrémentée de témoignages divers et variés : des proches, des anciens coéquipiers, d’autres personnalités n’ayant rien à voir avec le foot… Pourquoi ce choix ?Pour mélanger les genres. Je ne voulais pas juste parler de foot, de ma carrière et tirer un bilan à la fin. Le projet, c’était de partager les échanges, les avis, autour de ma carrière et de mon expérience personnelle. On fonctionne tous différemment, on a tous des parcours différents. Autant ne pas prétendre détenir la vérité absolue.
Parmi les témoignages marquants, il y a notamment celui de ta sœur, qui avoue avoir été jalouse de l’attention que toute la famille te portait, et celui de ta femme, qui insiste sur les difficultés rencontrées à chaque déménagement. Est-ce que tu te rendais compte de ces problèmes pendant ta carrière ?Non. Je pense qu’on est vraiment égoïste quand on est footballeur professionnel. Tout est mis en place pour que l’on soit dans les meilleures conditions, que l’on ait juste à se concentrer sur nous. Et ça, quelque part, ça nous encourage à ne penser qu’à notre carrière. Pour ma sœur, je ne m’en étais pas aperçu. Mais son témoignage est intéressant, parce qu’elle explique que grâce à ça, elle a évolué et forgé son caractère. Ma femme, je me doutais que c’était difficile pour elle de ne pas travailler, d’avoir une vie sociale remise en cause à chaque déménagement. Mais elle a tout fait pour que je puisse vivre mon rêve. Et c’est pour cela qu’à la fin de ma carrière, on est retournés vivre non loin de sa famille. À mon tour de faire des sacrifices pour elle.
Tu as aussi donné la parole à Valentin Eysseric, qui t’avait gravement blessé en mars 2013…Son témoignage est super riche et touchant. Moi, j’ai été blessé physiquement, mais lui a terriblement souffert mentalement. On ne s’attarde jamais sur ceux qui causent les blessures, or ils le vivent très mal. Je voulais faire comprendre qu’il y avait des séquelles des deux côtés. Valentin a mis beaucoup de temps à récupérer, à tel point que quand on s’est retrouvés dans la même équipe, c’était dur pour lui de me voir.
Ta carrière a longtemps semblé linéaire, presque idéale. Qu’est-ce qui fait que tu as temporairement perdu le fil en 2010, alors que tu étais au PSG, au point de te séparer de ta femme ?Franchement, c’est un tout. J’avais peut-être perdu le goût de rentrer chez moi, d’être avec mes copains, ma femme, mon fils. Quand tu es footeux, on t’offre tout, tu es invité partout, tu es la star, tu t’achètes une belle voiture… Est-ce que ça m’est monté à la tête ? Peut-être. À un moment, j’étais devenu le cliché du footballeur déconnecté de la réalité. Le contexte de ce microcosme à part m’a fait perdre pied. Je me suis éloigné des choses importantes pour moi.
Tu reconnais d’ailleurs avoir été victime de dépression post-partum du père. De plus en plus de footballeurs révèlent avoir été dépressifs à un moment de leur carrière, comme Paul Pogba récemment. Est-on en train d’assister à la fin d’un tabou ?Vu de l’extérieur, on pense que le footballeur est indestructible, qu’il ne peut rien lui arriver. Et s’il est moins bien sur le terrain, on ne cherche pas à comprendre. Or, ça peut être dû à des problèmes mentaux. Il y a tellement de choses qui peuvent altérer la performance. Derrière le sportif, il y a l’homme, qui connaît des bouleversements dans sa vie. La naissance d’un enfant en est un. Il ne faut pas avoir honte, ni peur de dire qu’à un moment, on est moins bien. Mais ça, c’est de l’ego. On préfère se protéger plutôt que de reconnaître qu’on a des faiblesses. C’est très bien que les langues commencent à se délier, que des sportifs expriment enfin ce qu’ils ressentent. Aux clubs d’en prendre la mesure et de travailler avec les joueurs sur l’aspect mental.
Autre sujet rarement abordé dans le vestiaire : les escroqueries financières, dont tu avoues avoir été toi-même victime. C’est encore quelque chose qui peut nuire au bien-être ou à l’épanouissement personnel. Les problèmes financiers, ça te marque. Je suis bien placé pour le savoir, puisqu’on m’a enfumé sur des investissements immobiliers. Mon erreur, ça a été de déléguer, parce que ça me faisait un peu chier de penser à ces placements financiers. Sauf que je suis tombé sur une mauvaise personne. Maintenant, je maîtrise beaucoup mieux ces sujets, parce que j’ai fait des études pour comprendre. Les joueurs doivent avoir conscience qu’en plus de se consacrer à sa carrière, il faut rester connecté à la réalité, faire les choses par soi-même. Car après le foot, il y a aussi une vie.
En fil rouge, il y a cette notion de plaisir, qui t’a guidé pendant toute ta carrière. Mais si tu étais entraîneur d’un club de Ligue 1, accepterais-tu de voir l’un de tes joueurs skier pendant la trêve hivernale et un autre débarquer à l’entraînement en Harley Davidson, comme tu l’as fait à l’époque ?Oui. Je l’ai fait, donc je ne vais pas changer ma façon de voir les choses ! Bien sûr, il faut rester raisonnable et assumer ses actes. Moi, ce que j’aime, c’est que mes joueurs soient bien dans leur tête (Il entraîne l’équipe première de Bourgoin-Jallieu, en N3, NDLR). Je crois vraiment au bien-être, au plaisir. Et à partir du moment où le collectif n’est pas mis en péril, chaque sportif peut faire ce qu’il veut.
Deux entraîneurs ont particulièrement compté dans ta carrière, à savoir Paul Le Guen et Christophe Galtier. Qu’est-ce que tu retiens de l’un et de l’autre pour grandir en tant que coach ?Paul, c’est l’entraîneur qui m’a lancé. Il m’a offert mes premières titularisations (à Lyon, NDLR), m’a fait venir dans d’autres clubs (aux Glasgow Rangers puis au PSG, NDLR). Avec lui, j’ai compris qu’il n’était pas toujours nécessaire de parler pour faire confiance à quelqu’un, que ce sentiment n’était pas forcément palpable. Christophe, c’est le meilleur entraîneur français en ce moment. Il m’a marqué parce que je l’ai côtoyé à un moment où j’étais mature, performant, avec une réflexion différente sur le jeu. J’ai pris un pied monstre avec lui (à Saint-Étienne, NDLR). Je me nourris principalement de ce que j’ai connu avec eux, mais je n’oublie pas les autres entraîneurs que j’ai croisés pendant ma carrière.
Dans ton livre, tu mets aussi en avant un amour prononcé pour la chanson française des années 1980, Didier Barbelivien et Pierre Bachelet figurant parmi tes artistes préférés. Est-ce que l’ambiance qui règne dans le vestiaire berjallien colle avec tes goûts musicaux ?Non, pas du tout ! Mes joueurs écoutent du rap. Leur star, c’est JUL, donc bon… Je me fais pas mal chambrer, d’ailleurs. Mais il faut vivre avec son temps, dans le respect des goûts de chacun. Si ça leur plaît et que ça leur permet de bien rentrer dans leur match, alors ça me va !
À lire : Pour le plaisir, à retrouver ici.
Propos recueillis par Raphaël Brosse