- Interview Jérémy Clément
Jérémy Clément : « En termes d’ambiances, j’ai été servi »
Du grand Olympique lyonnais à l'Écosse en passant par le Parc des Princes d'avant, le renouveau vert et Marcel-Picot, Jérémy Clément a disputé près de 500 matchs professionnels. À 35 ans et après une dernière pige à Bourgoin-Jallieu (National 3), celui qui a remporté les quatre trophées français a dû se résoudre à prendre sa retraite. L'occasion de faire le bilan d'une carrière passée entre Juninho, Claude Makélélé et Loïc Perrin.
Avec l’arrêt des championnats amateurs, tu as pris la décision de ranger les crampons… Finalement, ce n’est pas un stop trop brutal. Bourgoin m’a permis de faire une année de transition après deux saisons compliquées à Nancy, et de me préparer à ce moment. Avec l’arrêt du championnat et le confinement, la décision a été plus facile à prendre.
Pour la première fois de ma carrière, j’ai senti que mon corps et ma tête n’avaient plus envie de faire grand-chose. Je ne me voyais pas aller refaire une préparation et courir tout seul, après quatre mois d’arrêt. Le club voulait que je continue, mais j’ai été honnête avec eux, je me sens plus utile en dehors du terrain.
Ce n’est pas trop frustrant, de terminer de cette façon ?Je n’ai pas eu la sensation de vivre mon dernier match – une victoire contre la réserve de Lyon-Duchère – en sachant que c’était le dernier et même si j’aurais certainement perdu tous mes moyens, je n’ai pas pu organiser de petite fête… Donc oui, ça fait bizarre. Ça aurait été sympa de marquer le coup avec mes proches, je le ferai peut-être à l’avenir.
Quel sentiment prédomine, lorsque tu fais le point sur ta carrière ? La fierté d’avoir joué dans de grands clubs, et d’avoir remporté des titres. Depuis mon entrée au centre de formation de l’OL à treize ans, je me suis créé plein de beaux souvenirs. J’ai vécu beaucoup d’émotions, et fait de très belles rencontres. Ce fut 22 ans de bonheur.
Est-ce que le milieu qui a débuté à 19 ans à l’OL se l’imaginait comme cela ?
Je n’ai jamais été très ambitieux, je voulais faire une belle carrière, mais tant de facteurs influencent ton parcours que je ne m’étais pas fixé d’objectif. On voit tellement de joueurs talentueux qui n’ont pas le parcours qu’ils méritent… J’ai avant tout pris mes décisions dans le but d’être épanoui, j’ai toujours cherché le club qui me correspondait à un instant T. En fonction de mon âge, de mon feeling et de mes performances.
En débutant avec le grand OL, tu as tout de suite plongé dans le très haut niveau.C’est l’équipe la plus forte dans laquelle j’ai joué, et c’est presque dommage, car j’étais trop insouciant pour savourer mes trois titres de champion. Je ne me rendais pas compte de ma chance et de la difficulté de ce qu’on faisait, on commençait chaque match en étant convaincu qu’on allait le gagner. C’était quelque chose d’incroyable, on faisait jeu égal avec les meilleures équipes européennes. Je reste persuadé qu’en Ligue des champions, il ne nous a pas manqué grand-chose, à part peut-être un peu d’expérience, pour aller au bout.
Qu’est-ce que t’ont apporté ces trois années pros à Lyon ?À l’OL, dès le centre de formation, on te rabâche qu’il faut tout gagner. À l’entraînement comme en match.
Donc cela m’a forgé un esprit de compétition et un niveau d’exigence très élevés. Les gens ne le réalisaient pas, mais c’était hyper dur de se remettre en question pour gagner chaque année. Forcément, on progresse beaucoup en côtoyant des joueurs comme Juninho, Essien ou Djila Diarra, qui étaient en plus de très belles personnes. L’été dernier, l’OL a joué son premier match amical contre le Servette Genève ici, à Bourgoin. Quand Juni m’a reconnu, il m’a pris dans ses bras et m’a demandé des nouvelles de ma famille. J’ai ressenti une vraie émotion, il était sincèrement content de me voir. À l’image des joueurs qui composaient ce groupe.
En 2006, pourquoi décides-tu de rejoindre Paul Le Guen au Glasgow Rangers ?J’avais d’autres propositions en France, mais c’est un entraîneur en qui j’avais confiance et il a eu les mots pour me convaincre.
Même si sur une carte de l’Europe, tu réalises que Glasgow est loin, les Rangers m’avaient accueilli deux jours avant de signer avec ma femme et mon agent. J’ai été charmé, c’est un club mythique et populaire. On est allé faire une tournée en Afrique du Sud, et on avait des groupes de fans dans le monde entier. J’aimais la passion qui anime les supporters écossais, et je n’ai pas été déçu.
Même si tu n’y es resté qu’une demi-saison…J’ai beaucoup aimé mes six mois, là-bas. Le championnat écossais m’a permis de grandir, et de progresser dans l’engagement. À cette époque, il y avait beaucoup de francophones. Julien Rodríguez, Lionel Letizi, Dado Pršo… Mais début janvier, Paul Le Guen venait de se faire licencier et m’a indiqué qu’il souhaitait que je le suive au PSG. Et même si les Rangers voulaient me conserver, je ne pouvais pas refuser un aussi grand club français.
Pourtant, tu vas y passer quatre saisons agitées.Tumultueuses. (Rires.) Mais c’est Paris, le club de la capitale et ses excès, beaucoup de pression médiatique et une ambiance moins bienveillante que celle que j’avais connue à Lyon. Sportivement, c’est incompréhensible, mais on a alterné les bons parcours en coupes et les saisons difficiles en Ligue 1…
C’est marrant, j’en parlais avec Édouard Cissé dernièrement : il y a des anciens du club et des supporters qui nous disent qu’ils préféraient notre époque à celle d’aujourd’hui. Je leur réponds à chaque fois : « Vous rigolez, vous gagnez tout, vos joueurs sont des génies… » Mais même si les saisons étaient dures et les joueurs moins bons, on s’identifiait plus facilement à nous. Les relations étaient plus humaines. En tout cas, ce passage à Paris reste une superbe expérience. Je pense qu’il ne nous manquait pas grand-chose, mais il y a tellement d’incertitude dans le foot que c’est difficile à analyser. Pour un poteau rentrant ou sortant lors du premier match d’une saison, la vie d’un groupe sera totalement différente.
Quel est ton meilleur souvenir, au PSG ? La chance d’avoir évolué deux saisons à côté de Claude Makélélé. Peu de temps avant, il jouait aux côtés de Zidane et Beckham. Donc c’était incroyable pour moi de former un duo avec l’un des meilleurs joueurs du monde à mon poste, il m’a énormément apporté.
Finalement, Saint-Étienne restera-t-il comme le club auquel tu es le plus associé ?Je savais qu’une grosse équipe allait être constituée à Paris et à 26 ans, je voulais jouer tout en restant dans un club prestigieux et populaire. Sainté s’est présenté, j’ai foncé, et le mariage a marché. Le club sortait d’une période compliquée, et avec Christophe Galtier, nous avons réussi à le réinstaller en haut du classement. Que ce soit l’ambiance, le groupe, mes performances, j’ai tout donné pour les Verts et j’ai adoré faire partie de cette belle ère du club pendant six ans. Même si j’étais blessé pour la finale de la Coupe de la Ligue 2013, ce fut un incroyable moment. On joue pour rendre heureuse une ville et offrir aux supporters le premier titre depuis 32 ans, pour leur première au Stade de France, c’est une immense fierté.
Tu es un des rares joueurs à être apprécié à la fois des Stéphanois et des Lyonnais, non ? Je ne suis pas suisse, mais ce sont deux clubs très importants pour moi et envers lesquels j’ai une immense reconnaissance. J’ai eu la chance de jouer dans les deux plus grands clubs de la région et d’avoir une belle relation avec eux, même s’ils se détestent. Aujourd’hui, j’ai des amis dans les deux clubs et je leur souhaite sincèrement le meilleur.
Tu as la particularité de n’avoir joué presque que dans des clubs avec une grosse ambiance. On fait du foot pour vivre des émotions, de la passion et cela a beaucoup compté dans le choix de mes clubs.
Que ce soit les fêtes lors des titres à Lyon, le respect et les applaudissements des Écossais pour un tacle, les ambiances de folie au Parc des Princes avec les deux kops… Je me souviens notamment d’un match de Coupe UEFA contre Twente, lors duquel il nous faut un miracle pour se qualifier. On s’est imposé 4-0, c’était énorme. À Geoffroy aussi, c’était souvent le feu et je me rappellerai toujours l’ovation du stade à mon retour de blessure. C’était très fort. En matière d’ambiances, j’ai été servi.
Quel est le coéquipier qui t’a le plus impressionné, pendant ta carrière ?J’ai eu la chance de jouer avec des joueurs magnifiques : Juninho était énorme, Pauleta exceptionnel et Loïc Perrin un défenseur incroyable.
Mais en matière de talent pur, celui qui m’a le plus impressionné est Hatem Ben Arfa. Il était hallucinant. Plus subjectivement, cela m’a fait très bizarre de jouer avec Marcelo Gallardo, car j’étais totalement fan de lui à Monaco. Même si ça ne s’est pas très bien passé pour lui à Paris, sur quelques actions, un petit pont, c’était encore la très grande classe.
Ton adversaire le plus pénible à jouer ?Mathieu Valbuena m’a toujours posé des problèmes, avec son centre de gravité bas. Il était roublard, provoquait beaucoup de fautes, gardait bien le ballon et se déplaçait toujours bien dans les espaces. C’était très chiant de jouer contre lui.
Propos recueillis par Ken Fernandez