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Jérémie Suissa : « Cette accusation de greenwashing est une tache sur la chemise d'Infantino »
Ce mercredi, la Commission suisse pour la loyauté (CSL), instance helvète de régulation de la publicité, a déclaré la FIFA coupable de greenwashing, après une plainte de plusieurs ONG européennes pour « fausses promesses climatiques ». Celles-ci estiment qu’à l’heure des défis climatiques et environnementaux, il faut repenser les événements culturels et sportifs. Entretien avec Jérémie Suissa, délégué général de l'association Notre Affaire à tous.
Cette condamnation est-elle un réel coup dur pour la FIFA ?
Aujourd’hui, c’est important pour ces fédérations-là, de pouvoir afficher leur prise en compte des questions environnementales et humanitaires. Elles ne le font pas pour rien. C’est un caillou dans sa chaussure parce qu’elle ne va plus pouvoir utiliser ce levier de promotion. C’est un peu une tache sur la chemise de Gianni Infantino. On pense que ça peut commencer à devenir gênant. Ça ne va pas bouleverser tout l’écosystème de la FIFA, mais c’est sans doute une première étape.
C’est aussi et surtout symbolique, puisque la Commission suisse pour la loyauté n’a pas le pouvoir d’infliger une amende ou de condamner la FIFA…
Ça ne suffira pas. Il y a des intérêts économiques, donc cet avis ne suffira pas à lui seul à révolutionner l’approche des grandes opérations économiques et sportives. C’est un premier signal, fort. Il est envoyé par une juridiction de régulation de la publicité. C’est-à-dire que ce sont des professionnels de la publicité qui disent à leurs pairs qu’ils vont trop loin. Ça veut dire que le secteur lui-même envoie un message très clair à la FIFA, en Suisse, dans son périmètre d’implantation. On court après le score sur ces opérations parce qu’on est obligé de dénoncer la manière dont les compétitions sont à la fois désignées et ensuite organisées. On a réduit la marque. Aujourd’hui, c’est l’autorité suisse, demain ça sera peut-être dans d’autres tribunaux que ça pourra se jouer et peut-être qu’à un moment donné, on sera sur des décisions qui seront moins symboliques, qui prêteront plus à conséquence. Ce sont encore des choses qu’il faut expertiser, mais la remontada est lancée.
Vous envisagez de saisir d’autres actions en justice à l’avenir ?
On y réfléchit évidemment, puisqu’on est une ONG de juristes. On utilise le droit pour mener des combats climatiques. On ne peut pas faire n’importe quoi, mais on n’écarte pas de trouver d’autres leviers pour faire cesser le greenwashing, que ça soit contre la FIFA ou d’autres organisateurs d’événements, d’ailleurs, qui font un peu n’importe quoi. Il n’y a qu’à voir cette Coupe du monde que la FIFA a préparée pour 2026 sur un territoire beaucoup trop large (au Canada, États-Unis et Mexique, NDLR), qui va nécessiter un nombre de déplacements colossal et non nécessaire…
Aujourd’hui, est-ce possible d’organiser de grands événements sportifs climatiquement acceptables ?
C’est toute la question structurelle qu’il y a derrière. On est tellement loin que toute avancée sera bonne à prendre. Il faut repenser de fond en comble tous les grands événements, pas que les sportifs, pour les tourner davantage vers les populations locales. Regardez les JO : combien de Français, combien d’habitants du 93 ont les moyens de se payer des places pour y assister ? Est-ce que c’est une bonne chose que l’essentiel des spectateurs des JO soit des gens très riches, capables de prendre l’avion, de polluer pour venir sur le territoire, consommer pendant deux semaines et ensuite rentrer chez eux ? Il y a un travail de révolution des événements sportifs et culturels à faire pour prendre la mesure des enjeux. Ce n’est pas possible de déménager un parquet entier de NBA pour un seul match, et de lui faire prendre l’avion, alors qu’il y a des parquets de très haut niveau sans problème à Bercy. Il y a sûrement des manières pour qu’il puisse encore y avoir ces communions sportives internationales au XXIe siècle, mais il faut un vrai effort des fédérations et des confédérations.
Comment intégrer les enjeux climatiques quand des compétitions se tiennent dans des pays non adaptés ?
La première chose, c’est qu’on ne fait pas des compétitions dans des pays qui ne sont pas adaptés. Donc, on ne fait pas des Jeux d’hiver en Arabie saoudite. On ne fait pas du sport de plein air en plein désert pour être juste obligé de climatiser des stades, même si la Coupe du monde a eu lieu en hiver et que ça aurait été pire en été. On choisit des lieux qui s’y prêtent. Peut-être que demain, si les jeux sont un petit peu plus en phase avec les enjeux du XXIe siècle, ils attireront à nouveau un peu plus des pays qui ont autre chose à faire que de la diplomatie à travers le sport. Une compétition sur un espace extrêmement étendu, comme pour la prochaine Coupe du monde aux États-Unis et au Mexique, ça génère des déplacements qui ne peuvent se faire qu’en avion. Le but, c’est de faire des compétitions compactes qui limitent au maximum les déplacements, notamment en avion. Essayer de faire des compétitions qui réutilisent des enceintes déjà existantes, qui ne nécessitent pas d’artificialiser, de construire de nouveaux équipements. Il faudrait se tourner vers les habitants locaux.
Propos recueillis Gnamé Diarra