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Jérémie Boga : « C’est compliqué de changer de pays à onze ans »
Arrivé à Sassuolo à l'été 2018 après avoir passé presque dix ans à Chelsea, Jérémie Boga a trouvé dans la banlieue de Modène le calme et la sérénité qu'il cherchait depuis ses débuts en pro. À 22 ans, l'international ivoirien né à Marseille revient sur son départ vers l'Angleterre, ses multiples prêts et cette nouvelle étape en Italie chez les Neroverdi.
Tu es né à Marseille, ville où tu as passé toute ton enfance. Raconte-nous.J’ai commencé à jouer au foot vers 5-6 ans à l’ASPTT Marseille. J’habitais au Bengale, et comme tout jeune de quartier, je jouais tout le temps après l’école. On n’avait pas de city à l’époque, on jouait entre les voitures, entre les bâtiments. On utilisait les entrées d’immeuble pour faire les cages. J’ai toujours joué avec les plus grands. Avec les petits de mon âge, c’était « trop facile » , du coup, j’allais toujours avec eux.
Dans ta vie, tu as toujours été surclassé en étant jeune. Comment as-tu géré ça ?À l’ASPTT Marseille comme à Chelsea, je n’ai pratiquement jamais joué avec ma catégorie d’âge. Je jouais toujours avec les 95 ou 96 (Boga est né en 1997, N.D.L.R.). Ça te fait grandir plus vite, c’est une chance. C’était une motivation supplémentaire. Je n’ai jamais pris la grosse tête pour autant, car j’ai un entourage qui a toujours veillé à ce que je garde les pieds sur terre.
Tu as quitté la cité phocéenne à onze ans après un essai réussi à Chelsea. Dans quel état d’esprit étais-tu ? J’étais encore jeune, donc je n’avais pas les détails du transfert. C’était lors d’un match face au Burel FC de mémoire, on m’avait dit que des recruteurs allaient venir me voir jouer. Mais je ne savais pas de quel club. J’ai terminé le match, et à la fin de celui-ci, mon entourage m’a dit : « La semaine prochaine, tu vas faire un essai à Chelsea. » La veille de mon départ, j’étais en tournoi sur deux jours avec l’ASPTT et nous étions arrivés en demi-finale le samedi. Il nous restait donc deux matchs à jouer le dimanche pour gagner le tournoi, que je n’ai pas pu faire, car je devais partir pour Londres. À ce moment-là, pour être honnête, je ne voulais pas aller faire l’essai. À Chelsea, les deux premiers jours ont été compliqués à gérer. Je ne parlais pas la langue, le style de jeu était déjà très physique. Mais ensuite, l’essai s’est bien déroulé et ils ont décidé de me signer.
Quand tu as compris que c’était Chelsea qui te suivait, j’imagine que tu l’as dit à tous tes amis dans la foulée ?
Je l’ai directement dit à mes amis du quartier. Après, je n’ai pas non plus eu beaucoup de temps pour leur en parler, car j’ai fait ma valise le samedi et je suis parti pendant une semaine là-bas. Lorsque je suis revenu, ils m’ont tous demandé : « Mais t’étais où ? » Je leur ai répondu : « Ouais les gars, je reviens de Londres, j’ai fait un essai à Chelsea. » Ça a choqué un peu tout le monde, la nouvelle a vite fait le tour de Marseille. On parlait de ce jeune qui a signé à Chelsea à onze ans, ce n’était pas facile à gérer. Heureusement que ma famille était là.
Ton transfert à Chelsea avait notamment été pris en exemple à l’époque, pour illustrer le départ précoce des jeunes français vers l’étranger. Tu as réussi à être protégé de cet emballement médiatique ?J’ai réussi à être bien protégé, même dans une période où j’entendais que je partais trop tôt, que des gens se demandaient si j’avais réellement fait le bon choix, que j’allais me cramer là-bas. J’avais vu deux-trois articles sur Internet, mais sans plus. J’étais très jeune. Pour préparer le terrain, mon père était parti à Londres trois mois avant que le reste de la famille Boga ne le rejoigne.
Comment as-tu digéré ce changement ?Mes deux premières années ont été très compliquées. Lorsque tu quittes un petit quartier où tu as tous tes amis, que tu les vois en permanence à l’école et en dehors… C’est compliqué de changer de pays à onze ans. Heureusement que j’étais pas mal cadré avec le foot, que ça me donnait du plaisir, car en dehors, ce n’était pas toujours simple. Là où on habitait, ce n’était pas un quartier comme j’en avais l’habitude en France. Je ne pouvais pas, en rentrant de l’école, aller voir quelqu’un et lui dire : « Viens, on va faire un foot en bas. » Du coup, je faisais des grosses journées Play’ avec mon grand frère et mon cousin ou j’avais des cours d’anglais le soir. Mais je n’avais plus cette vie sociale qui était la mienne à Marseille.
Tu as rapidement gravi les échelons à Chelsea, au point de signer ton contrat pro à 17 ans. Oui, ça s’est fait rapidement. Dès ma signature, j’ai toujours eu en tête de jouer ce premier match en pro avec Chelsea. C’était mon rêve. Je voulais m’imposer dans ce grand club, même si c’était difficile.
Avant de jouer ce fameux premier match le 12 août 2017 face à Burnley, tu as enchaîné deux prêts à Rennes et Grenade. Tout ça avant d’être prêté à Birmingham cette même année. Tu n’aurais pas aimé t’inscrire dans un projet dans la durée plus tôt ?J’ai un sentiment partagé. Parfois, je me dis que ça aurait été pas mal de m’inscrire dans un projet ou faire un prêt de deux ans. Lorsque tu pars en prêt dans un club pour une seule année, la mentalité du coach ou de l’encadrement n’est pas forcément la même envers toi que lorsque tu es inscrit dans un projet sur la durée.
Ce serait la seule chose que j’aurais potentiellement aimé changer, car pour le reste, je ne regrette rien de mes autres expériences. Il y a eu des hauts et des bas, et c’est cela qui m’a aidé à grandir. Quand j’ai su la nouvelle, que j’allais être titulaire avec Chelsea, j’étais fou. Après, avec le carton rouge de Cahill dès la 18e et mon remplacement, ça a un peu gâché ce moment magique, mais j’ai relativisé. Je me suis dit que même s’il y avait deux absents à mon poste ce jour-là (Hazard et Pedro), j’avais mérité d’être dans le onze de départ par rapport à ce que j’avais fait en pré-saison. Je repense souvent à ce moment. Le stade était rempli, je me revois sur la pelouse en tant que titulaire devant ma famille qui était au stade. C’était magique.
Rennes, c’était ta première expérience justement. Dans quel état d’esprit étais-tu au moment de retrouver la France ?J’étais assez excité, car j’allais toucher du doigt le monde pro pour la première fois. C’était parfois dur d’être sur le banc, car j’avais réellement envie de jouer. Je pense aussi que, comme beaucoup de jeunes, j’étais impatient. Mais j’ai beaucoup appris avec le coach Courbis, notamment à diversifier mon jeu. Et puis, j’ai marqué mon premier but en professionnel face à Reims. C’était aussi mon premier match en tant que titulaire, j’avais la pression et l’envie de bien faire. Ça m’a libéré.
L’an dernier, tu es arrivé à Sassuolo de manière définitive. C’était le moment de quitter Chelsea pour voir autre chose de manière durable ? Avant de signer à Sassuolo, j’avais dit que je ne voulais plus partir en prêt. Après avoir discuté avec le coach, j’ai senti que le projet était parfait pour mon style de jeu. Dès que je suis arrivé, je n’ai pas été déçu.
L’entraîneur, Roberto De Zerbi, a une identité de jeu très marquée. Comment est-ce que tu le juges par rapport aux autres coachs que tu as connus ?Ça fait un an que je suis avec lui, et c’est un entraîneur très exigeant. Il crie beaucoup, mais c’est toujours pour aider son joueur, pour essayer d’en tirer le maximum. Comme on le voit depuis l’an dernier, on a un jeu de possession avec une bonne finition. C’est ce qu’il aime, il insiste énormément sur la passe, sur les contrôles, sur le dernier geste. Pour un joueur offensif comme moi, tu ne peux prendre que du plaisir dans une équipe comme celle-ci. En dehors, lorsqu’il te parle, c’est pour te demander de te libérer, de jouer ton jeu. En match, j’ai toujours au moins trois options qui s’offrent à moi. Il insiste là-dessus, sur cette multitude de possibilités qu’on a. Mais si j’ai envie de prendre l’initiative de faire un dribble et donc de ne choisir aucune de ces trois options, il va me laisser cette liberté.
Propos recueillis par Andrea Chazy, à Sassuolo