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Jérémie Bastien : « Je ne perçois pas de risque de faillite pour le LOSC »

Propos recueillis par Adrien Candau
Jérémie Bastien : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je ne perçois pas de risque de faillite pour le LOSC<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Incapable de faire face à l'endettement du LOSC, Gérard Lopez, propriétaire des Dogues, a confirmé le 16 décembre qu'il allait céder le club nordiste au fonds d'investissement luxembourgeois Merlyn Partners. Décryptage des tenants et des aboutissants d'une vente qui fait jacasser tout le football français avec l'économiste du sport Jérémie Bastien, maître de conférences à l’université de Reims Champagne-Ardenne.

Êtes-vous surpris de voir le LOSC changer aussi soudainement de propriétaire ?Je travaille depuis très longtemps sur la financiarisation du football donc, pas vraiment, non. Les investisseurs mobilisent de plus en plus d’endettement pour racheter des clubs et ce n’est pas sans conséquences, évidemment. Dans le cas particulier du LOSC, on parle d’un club dont la chaîne de propriété est divisée en un nombre impressionnant de filiales. À observer l’ensemble, ça fait même penser à la crise des subprimes de 2008, où on essayait de comprendre la véritable structure des actifs et d’endettement des banques. Ça illustre pleinement ce phénomène de financiarisation.

Ce changement de direction et cette vente seraient souhaités par le fonds Elliott Management et la banque JPMorgan – auxquels le LOSC doit plus de 120 millions d’euros. Pourquoi ne laissent-ils pas aux Nordistes plus de temps pour rembourser intégralement leur dette ? Lille est tout de même parvenu à s’acquitter de 102 des 225 millions d’euros qui auraient été empruntés par le club, non ?On peut supposer que ces organismes s’interrogent quant à la capacité de Gérard Lopez et du club à rembourser cette dette. Ce doute est probablement grandement engendré par le contexte actuel, où la crise de la Covid-19 va peut-être remettre en cause le marché des transferts et plus spécifiquement la valeur des plus gros actifs du club, à savoir les joueurs. En résumé, on peut penser que l’anticipation que font Elliott et JPMorgan, c’est que la valorisation des joueurs va plonger et que cela va plomber sur une longue période les revenus d’un club comme le LOSC.

Cette anticipation est-elle partagée par d’autres fonds d’investissement et créanciers du foot français ?Pas forcément, non. On le voit en Ligue 1 comme en Ligue 2, avec Bordeaux, Caen et Toulouse, qui ont été rachetés par des fonds américains. Ces fonds font une anticipation foncièrement différente de celle d’Elliott et de JPMorgan. Ils semblent estimer que le marché des transferts devrait se maintenir ou repartir à la hausse à moyen terme, si l’on compare avec la dynamique pré-coronavirus. On voit la même chose à l’étranger : les clubs de Serie A ont approuvé en novembre l’entrée de fonds d’investissement dans une nouvelle société chargée d’accroître les revenus issus des droits TV du calcio. On sait également que la Bundesliga négocie avec des fonds pour essayer de mettre en place un prêt gagé sur des revenus futurs que va engendrer le championnat.

Cet optimisme serait-il partagé par le futur nouveau propriétaire du LOSC, le fonds d’investissement Merlyn Partners, qui devrait devenir l’actionnaire majoritaire du club ?Ce qui est sûr, c’est que des fonds d’investissement – on le voit avec Lille ici – continuent de vouloir faire affaire avec des ligues ou des clubs. Là encore, le marché des transferts est la donnée centrale de leur réflexion. Personnellement, je pense que le marché des transferts va se contracter encore lors du prochain mercato, voire lors de la prochaine saison. Mais qu’on retrouvera ensuite rapidement le niveau de transactions qu’on connaissait auparavant. Le cas échéant, ce sera une bonne nouvelle pour le LOSC, dont la politique de trading ne fructifie que quand le marché est actif et pratique des prix élevés.

Peut-on néanmoins s’inquiéter pour le LOSC ? Concrètement, le club est très endetté : fait-il face à un risque de faillite ?Je ne le pense pas. Les faillites sont quand même extrêmement rares dans le foot. On le sait, c’est un secteur atypique, déficitaire, ultra-endetté, et l’immense majorité des clubs ont survécu, alors qu’ils ont tous ou presque été confrontés à ce type de problématique. Je ne perçois pas de risque de faillite à court terme pour le LOSC.

Le problème lié à la dette du club date d’avant la période Lopez, même si ce dernier a lourdement accentué les déséquilibres financiers des Dogues.

Le niveau d’endettement du club n’est-il pas structurellement grave ?Attention, le problème lié à la dette du club date d’avant la période Lopez, même si ce dernier a lourdement accentué les déséquilibres financiers des Dogues. L’endettement total était déjà très élevé avant qu’il ne reprenne le club (la dette financière du club avait atteint un montant record de près de 60 millions d’euros lors de la dernière année de la présidence de Michel Seydoux, en 2016, N.D.L.R.). Ensuite, on constate effectivement une explosion de la dette sous le mandat de Lopez. Le club est confronté à un déficit qui se creuse les saisons qui suivent, avec une perte de 142 millions d’euros et une dette financière de 242 millions d’euros à l’issue de la saison 2017-2018. On observe un petit rétablissement par la suite, avec un résultat net déficitaire de 66 millions d’euros en 2018-2019, et un endettement qui diminue, autour de 200 millions d’euros au total. Ça reste néanmoins très élevé, et le LOSC fait partie des moins bons élèves de la Ligue 1 en matière d’équilibre financier.

En 2018, Nicolas Pepe est vendu 80 millions d’euros à Arsenal, Rafael Leão part à l’AC Milan pour 35 millions, et Thiago Mendes signe à Lyon contre 22 millions d’euros. Un an plus tard, Victor Oshimen est vendu 80 millions d’euros au Napoli. La politique de trading du club était-elle insuffisante pour lui permettre de rembourser la totalité de ses dettes ?On peut se demander si le club a trop misé sur les transferts, effectivement, et pas assez sur d’autres modalités de financement. Ses revenus de sponsoring et de produits dérivés ne sont peut-être pas suffisants. En inaugurant le domaine de Luchin en 2007, il y avait certes eu une tentative de professionnalisation des structures du club. Ce dernier reste cependant locataire de son stade à la municipalité, ce qui lui coûte six millions d’euros par an. Mais ces problématiques ne se posent pas qu’à Lille, mais à la quasi-totalité des clubs de Ligue 1.

À quelles problématiques spécifiques Gérard Lopez et le club n’ont-ils donc pas pu faire face ?Déjà, on parle d’un taux d’intérêt à deux chiffres sur le remboursement de la dette contractée par Gérard Lopez auprès du fonds Elliott. Si c’est confirmé, c’est énorme. Ensuite, certains transferts n’ont peut-être pas rapporté autant que le suggérait leur montant nominatif.

Osimhen est un bon joueur, mais on peut toujours se demander si le montant annoncé n’a pas été gonflé un peu artificiellement.

Le transfert de Victor Osimhen à Naples, par exemple ?Osimhen est un bon joueur, mais on peut toujours se demander si le montant annoncé n’a pas été gonflé un peu artificiellement. J’ai les même informations que vous à ce sujet. Apparemment, quatre joueurs du Napoli ont été inclus dans la transaction et vendus au LOSC (dont le gardien Oréstis Karnézis et trois jeunes joueurs, prêtés au club italien par les Dogues dans la foulée, N.D.L.R.). Le bénéfice sur la cession du joueur est aussi minoré par les accords de pourcentage sur la revente. Charleroi a pris 7 millions d’euros sur le transfert d’Osimhen, par exemple.

On évoquait plus haut le taux d’intérêt à deux chiffres du prêt contracté par le LOSC et Gerard Lopez, pour rassembler 130 millions d’euros auprès du fonds Elliott en 2017. Pourquoi recourir à une telle solution, si elle semble aussi onéreuse ?Je dirais qu’on observe que les banques sont de plus en plus frileuses à l’égard des clubs de football, qui sont constamment déficitaires. L’endettement des clubs se fait donc de plus en plus auprès d’acteurs non bancaires, comme les fonds d’investissement, qui exigent parfois des taux d’intérêts très élevés. En résumé, pour trouver des financements, les clubs doivent dépasser les canaux traditionnels, qui leur sont de plus en plus fermés. C’est à mon avis aussi ce qui a poussé Gérard Lopez à se diriger vers ce type de fonds.

Mais pourquoi ces fonds d’investissement tiennent-ils tant à investir dans un secteur réputé risqué et déficitaire ?Les fonds savent qu’ils ne pourront pas être rentables via l’activité football, que ça ne leur permettra pas de verser des dividendes. Qu’est-ce qui pourrait motiver leur venue, alors ? Une chose, très élémentaire, selon moi. La plus-value à la revente. Ça, c’est le seul élément rentable dans le foot.

La montée en puissance des fonds d’investissement dans le football n’est-elle pas inquiétante ?Ce qu’on peut craindre, et on le voit avec Lille, c’est qu’un fonds propriétaire d’un club s’en aille rapidement, s’il se rend compte qu’il est incapable de dégager de la rentabilité. On peut aussi se méfier de leur multiplication dans un futur proche : dans un contexte où la valeur des clubs doit avoir diminué à cause de la crise de la Covid-19, c’est d’autant plus tentant pour ces fonds d’acheter un club, pour espérer le revendre avec plus-value à l’avenir.

Quels sont les leviers d’action de la DNCG face à ces organismes financiers, qui semblent volatiles et dont la nature exacte des fonds reste parfois obscure ?Les économistes du sport ont longtemps identifié qu’un des problèmes majeurs de la DNCG, c’est qu’elle ne contrôle pas l’origine des fonds : elle surveille seulement les comptes des clubs, pas la provenance des financements qui les alimentent. À ce niveau-là, le fair-play financier est plus intéressant, puisqu’il est basé sur l’idée que les revenus qui viennent du foot – dont on connaît la provenance, donc – doivent contrebalancer en partie ce qui est dépensé. Ça limite l’influence de l’apport des actionnaires, notamment de contributeurs et d’acteurs peu ou mal connus. Néanmoins, si la DNCG contrôlait l’origine des fonds, elle limiterait éventuellement les investissements d’un ensemble d’acteurs qui sont aujourd’hui parmi les seuls à vouloir investir dans les clubs. La DNCG raisonne peut-être en ce sens, en se disant que si elle surveillait de très près la nature des fonds des clubs, certains d’entre eux risqueraient de vraiment se casser la gueule. Car elle désinciterait ces investisseurs de venir placer leurs liquidités, dans ces clubs en question.

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