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Jefferson, du nez rouge à la Seleção
Titulaire dans les buts du Brésil depuis le retour de Dunga, Jefferson est l'une des rares satisfactions de son équipe depuis le début de la Copa. Pourtant, c'est presque un miracle de retrouver à ce niveau un gars qui, il y a 20 ans, était clown dans un cirque de São Paulo.
Comme souvent quand il s’agit d’un footballeur brésilien, l’histoire commence dans les quartiers populaires d’une des plus grandes villes du pays. En l’occurrence la plus vaste, São Paulo. C’est là, plus précisément dans la zone d’Assis, que Jefferson de Oliveira Galvão tape ses premières balles avec l’ambition secrète d’embrasser une carrière de footballeur professionnel comme ses pieds caressent le sol poussiéreux du quartier. Si son rêve est de représenter la Seleção comme attaquant, c’est bien dans les mains que le gamin a le plus de force. Après les cours et entre deux parties de foot, le jeune Jefferson éclate ses potes au « bafinho » , un jeu de cour de récréation dont le but est de retourner la figurine (représentant la plupart du temps des gloires de la Seleção) de l’autre d’un seul et solide coup de main à plat sur la table. Le Pog du Brésilien pauvre, quoi. « Le gagnant repartait avec la figurine de l’autre, et comme je gagnais tout le temps, j’avais une énorme collection » , se souvient le portier de Botafogo à l’antenne de la radio portant le même nom.
Hyperactif, le môme ne tient pas en place et ajoute très vite la capoeira à sa liste d’activités. À dix ans, il se met au 100m, gagne la médaille d’or de son quartier et est invité à courir contre les meilleurs de l’État de São Paulo. Le gamin a le temps pour tout sauf pour l’école et le domicile familial. « Le jour, c’était foot et bafinho. Ensuite, je rentrais pour me laver… Mais comme j’avais la flemme, je me contentais souvent de me laver les pieds. Ma mère m’engueulait tout le temps, mais ça ne durait jamais longtemps comme je partais rapidement pour la capoeira. On se réunissait sur une grande place et on dansait toute la soirée. » Mais bientôt, ses amis délaissent la place publique pour emprunter d’obscurs sentiers. « Il y en a qui ont commencé à fumer, à boire, à se droguer. À ce moment-là, j’avais plusieurs options. Les suivre, ou faire autre chose » , racontait-il il y a un an sur Globo, avant le Mondial.
Profession : clown assistant
Jefferson restera dans le droit chemin malgré la vie difficile de sa mère qui commence à avoir besoin d’argent. À 12 ans, l’adolescent travaille sur un chantier où il charge et décharge des brouettes de pierres qu’il transporte de droite à gauche quotidiennement. Le tout, à mains nues. Le boulot ingrat ne dure pas longtemps. Il sera remplacé par un job inattendu. À 13 ans, l’international brésilien intègre un cirque sauvage après avoir approché son propriétaire. « Je n’ai pas fait ça par défaut. Voir les gens, adultes comme enfants, rire et être heureux, même temporairement, c’était quelque chose qui me plaisait. » Pendant plus d’un an, Jefferson endosse le costume de clown comme assistant. Au début, le nouveau-venu est très peu mis en avant et se contente de ranger la penderie des artistes, de choisir leurs vêtements. Puis, il fait quelques apparitions au milieu des scènes du clown titulaire, à qui il sert principalement de faire-valoir.
Qu’importe son statut, il accepte toutes les tâches, pourvu qu’il fasse rire les autres. « Je pouvais simplement défiler sur des échasses très hautes comme je pouvais être amené à faire des numéros acrobatiques. La plupart du temps, je réalisais des pirouettes sur trampoline, mais je me souviens d’un numéro au sol où je devais réaliser des saltos arrières. Sur le dernier, je ne pouvais pas me rater, il fallait que je traverse un cerceau. Bon, c’était pas très difficile vu que ce sont des figures que je maîtrisais déjà grâce à la capoeira. Mon seul regret, c’est de n’avoir jamais fait de trapèze » , explique-t-il, nostalgique, aux journalistes de Globo. « Le cirque m’a beaucoup marqué » , comme en témoigne le petit trampoline dont Jefferson dispose dans son jardin, en mémoire du bon vieux temps.
L’appel du football
Seul un univers le fascinait plus que celui du cirque. Seul un rêve passait avant tout. Devenir footballeur professionnel. C’est pour lui que Jefferson raccroche le nez rouge et enfile les gants, même si, au début, il s’accroche à son poste de numéro 9. Après de nombreuses et vaines tentatives, son entraîneur au Futebol Escolinha de Clélio le persuade de quitter la surface adverse pour défendre les buts de son équipe. L’année où il travaille au cirque, le funambule explose. « Il était infranchissable. Et comme il était plus fort que les gamins de son âge, personne n’osait se frotter à lui quand il sortait » , témoigne un ami d’enfance pour O Globo. Jefferson est tellement au-dessus du lot qu’on lui propose un essai à Cruzeiro. Il hésite. Pour passer les tests, il doit mettre de côté le cirque et laisser sa mère à São Paulo. Mais un rêve est un rêve et l’ado fonce tête baissé. Sans surprise, il intègre le centre de formation du dernier champion du Brésil. Pendant trois ans, il fait face à la discrimination raciale qui touche le poste de gardien au pays du football.
Le gardien noir a mauvaise réputation, et malgré une progression certaine, le natif de São Paulo en fait les frais. Pistonnés, ses rivaux au même poste jouent plus fréquemment. Obligé de se contenter des miettes, il n’abdique pas. Après tout, il a promis à sa mère qu’il deviendrait professionnel. À la fin du XXe siècle débarque l’homme qui changera sa vie. Luiz Felipe Scolari est l’un des rares entraîneurs à se foutre de la couleur de peau de ses gardiens et n’a aucun doute quant à la valeur du jeune homme de 17 ans, qu’il envoie directement s’entraîner avec les pros. Une douzaine d’années plus tard, et bien que Jefferson ait réussi à accéder à la Seleção sans l’aide de personne, Felipão lui permet de réaliser un autre rêve en le convoquant pour la Coupe du monde 2014. Un autre coup de piston notable, puisque le gardien de Botafogo est aujourd’hui titulaire de la Canarinha dont il défend plutôt bien les cages. C’est en tout cas loin, très loin d’être un clown.
Par William Pereira